« Benny Gantz ne peut s’unir à un gouvernement dirigé par un leader qui a cherché à saper la démocratie et à corrompre l’Etat de droit. »
Traduction : Bernard Bohbot pour LPM
Photo : Benjamin Netanyahu prononce un discours lors d’une cérémonie officielle au Mont Herzl (Jérusalem), le 10 octobre 2019. ©Gali Tibbon/AFP
Auteur : Chemi Shalev pour Ha’aretz, 14 octobre 2019
Pendant la majeure partie de l’année écoulée, Israël a été en proie à un débat théorique et légaliste autour d’une question : un Premier Ministre peut-il rester à son poste alors qu’il fait face à des accusations criminelles ? Le différend oppose la lettre stricte de la loi, qui n’exige pas la démission du Premier Ministre, à son esprit, qui semblerait indiquer le contraire. L’objet du débat est, bien sûr, Benjamin Netanyahu, mais il en est aussi le principal bénéficiaire.
Non seulement la controverse constitutionnelle occulte la gravité réelle de la conduite répréhensible de Netanyahu, telle qu’elle est décrite dans le document accablant de pré-inculpation publié par le procureur général fin février, mais elle écarte les crimes beaucoup plus graves commis par Netanyahu contre la démocratie et l’État de droit tout cela pour échapper à la justice.
C’est pourquoi le refus par le centre-gauche de rejoindre un nouveau gouvernement avec Netanyahu à sa tête ne doit pas être fondé uniquement sur la probabilité qu’il sera accusé de corruption. Un Premier Ministre qui a brutalisé les enquêteurs de la police, sapé les procureurs de l’État, accusé le système judiciaire d’être partisan et soumis à des pressions extérieures et poussé à attaquer la presse libre qui couvre ses méfaits, n’est pas digne de poursuivre son mandat.
Un Premier Ministre démagogue qui « diabolise les minorités et ses ennemis politiques pour cacher son dévouement à l’art de l’entente louche« , comme l’a écrit E. J. Dionne à propos du Président américain Donald Trump dans le Washington Post du 11 octobre, n’est pas un partenaire valable pour établir des alliances politiques.
Un Premier Ministre qui cultive un culte de la personnalité qui corrode la loyauté de toute la droite israélienne envers l’Etat et ses lois, devrait être éjecté de l’arène politique. Un Premier Ministre qui s’en prend à son propre parti, qui lui arrache le cœur et transforme ses dirigeants en automates pathétiques est porteur d’un virus dangereux qu’il faut éradiquer. Un Premier Ministre dont les armes de choix sont la provocatio et la division devrait simplement cesser d’être Premier Ministre. Point final.
Contrairement au cri cynique de la droite qui invoque un « boycott personnel » contre Netanyahu – ce qui est ironique, étant donné sa maîtrise de l’attaque ad hominem – l’opposition à la continuation de son leadership n’est en rien personnelle. Le problème n’est pas Bibi en soi, mais le « bibisme » dont il a infecté le corps politique d’Israël. Tant que Netanyahu sera là, les chances de guérison complète seront minces.
À peine un mois s’est écoulé depuis les dernières élections, que déjà leur principale portée a été écartée. Le 17 septembre, la démocratie israélienne risquait sa propre destruction. Un léger mouvement d’une poignée de sièges de la Knesset vers la droite et Netanyahu aurait remporté sa majorité convoitée de 61 sièges, ce qui lui aurait donné carte blanche pour saper l’État de droit comme il l’entend.
Les élections n’ont peut-être pas décidé de la composition de la prochaine coalition, mais elles ont jeté une bouée de sauvetage à la démocratie. Remettre les rênes à Netanyahu revient à ré-enrouler la corde autour de son cou.
Benny Gantz et Kahol Lavan ne sont donc pas seulement obligés de résister aux appels à rejoindre un gouvernement dirigé par Netanyahu et d’essayer de former une coalition alternative quasiment à tous prix. Leur mission première et la plus urgente est de fortifier la démocratie et l’Etat de droit pour qu’Israël ne se retrouve plus jamais au bord de l’abîme dans lequel Netanyahu a cherché à le pousser.
Un nouveau gouvernement devrait donc limiter le mandat des Premiers Ministres, comme Gantz l’a déjà proposé. Il devrait construire un bouclier défensif autour des sentinelles et des gardiens de la loi et les immuniser contre toute intervention extérieure. Il devrait séparer le rôle de procureur général de celui de directeur des poursuites publiques, dont la fusion problématique est maintenant évidente aux yeux de tous. Et, si possible, il devrait réformer le système électoral qui, sous Netanyahu, a failli ruiner Israël.
La tâche est si impérative qu’elle annule toute autre considération, y compris le risque d’une nouvelle élection, la troisième cette année. Si quelqu’un doit craindre une nouvelle élection, c’est Netanyahu lui-même : sa magie s’épuise et la lassitude se répand dans ses rangs les plus loyaux. Etudiant passionné des tendances électorales, Netanyahu n’a qu’à regarder le graphique descendant du vote du Likoud dans les deux scrutins de cette année pour redouter un nouveau vote.
Si le Likoud en particulier et la droite en général refusent de se débarrasser du boulet pendu à leur cou et préfèrent s’enfoncer et couler avec lui, c’est leur prérogative. Israël, pour sa part, respirera beaucoup plus facilement.