« Le Kotel haMaaravi symbolise tout, aujourd’hui, excepté l’idéal monothéiste dont le judaïsme a un jour voulu faire don au monde », écrit ici Dror Etkes, qui considère que la lutte légitime des femmes pour leur droit à vivre leur judaïsme à égalité avec les hommes ne devrait pas se cristalliser autour du Mur occidental – pour médiatiques que soient les lieux.

Ce choix a procuré aux revendications quant au statut des femmes dans le judaïsme, portées en Israël comme en diaspora par les mouvements réformé ou massorti et dont LPM est solidaire [1], une attention et des résultats plus difficiles à gagner autrement. Mais, par-delà quelques traits d’ironie auxquels l’auteur se laisse entraîner par sa verve, il nous a paru important de vous faire part de ses critiques à l’encontre d’une scénographie venant conforter le conglomérat national-religieux qui peuple les colonies.

C’est du Mur occidental et de l’usage qui en est fait de nos jours que nous parle ici Dror Etkes, nullement opposé à la réforme, voire la révolution du statut religieux de la femme dans le judaïsme. Et de suggérer aux femmes du Kotel de mieux cibler leur combat, leur recommandant d’abandonner « la lutte autour des lieux saints » pour se joindre à « la lutte autour des valeurs sacrées ».


Le but premier des Femmes du Kotel consiste à « obtenir la reconnaissance de jure et de facto de nos droits, en tant que femmes, à prier collectivement et à voix haute, à lire la Torah et porter des châles de prière dans l’emplacement réservé aux femmes devant le Mur occidental ». Voilà ce qu’on peut lire sur le site des Femmes du Kotel. Les gens comme moi, qui détestent la bonne société du rabbinat orthodoxe en Israël telle qu’elle est, devraient semble-t-il soutenir avec enthousiasme ce combat obstiné des femmes pour prier comme elles en ont coutume sur l’esplanade au pied de la muraille. Et je me demande pourquoi leur lutte m’apparaît vaine, pour ne pas dire dommageable.

On peut comprendre comment, au fil des générations, au temps où Jérusalem était sous domination étrangère, les Juifs ont pu considérer le Mur occidental comme un symbole religieux et historique. Mais ces temps sont bien loin de nous, et le Kotel haMaaravi symbolise tout, aujourd’hui, excepté l’idéal monothéiste dont le judaïsme a un jour voulu faire don au monde.

Quelques semaines après la guerre des Six-Jours, le quartier dit maghrébin [moghrabi] qui jouxtait le Mur occidental fut démoli. L’étroite allée où les Juifs venaient prier jusqu’en 1948 fut alors remplacée par une esplanade, laquelle sert de place de parade à un empire régional qui doit encore apprendre à séparer la religion de l’État, comme les traumatismes du passé de l’espoir en l’avenir. C’est cette esplanade qui symbolise aujourd’hui tout ce qu’il y a de néfaste en ces lieux et cette société.

Elle symbolise, fondamentalement, les liens tissés entre un nationalisme inflexible et la violence des ultra-orthodoxes. La laideur des six chandeliers en forme de bougies qui les toisent veille à ce que cet endroit ne soit pas, lui non plus, épargné par le kitsch dont l’Israël officiel aime à parer la Shoah.

Telle qu’elle est, la symbolique du Kotel haMaaravi, comme il advient de tout symbole et toute idée, s’est corrompue et délitée avec le temps. De même que tant d’autres symboles du pays et de la société qui l’entourent, le Mur occidental a vu faiblir sa force symbolique. Les valeurs qui représentèrent un temps les nobles idéaux à l’accomplissement desquels les générations passées, vivant dans une situation radicalement différente, avaient dédié leurs vies, sont maintenant devenues, des années après que ces aspirations se furent muées en réalité, un membre inutile qui gangrène et corrompt le corps tout entier. Il n’est pas de « libératrices du Kotel », ainsi que ces femmes se décrivent – description destinée, et ce n’est pas une coïncidence, à faire écho au nationalisme israélien. Le sentiment de malaise ne fait que croître lorsqu’on ouvre leur page internet et qu’on y trouve côte à côte la fameuse photographie prise par David Rubinger des parachutistes atteignant le Mur occidental en juin 67, et celles de plusieurs dirigeantes de la lutte des Femmes du Kotel.

La mise en place de toute une campagne qui a récemment enrôlé trois députées de l’aile gauche de la Knesset […] marque le point ultime du combat de ces femmes. Il serait bon que les branches progressistes du judaïsme en Israël et aux États-Unis – qui subventionnent la plupart des activités religieuses progressistes en Israël – abandonnent la lutte autour des lieux saints et se joignent à la lutte autour des valeurs sacrées.

Il est impossible de se battre contre le monopole des orthodoxes en Israël sans se battre contre les symboles de l’orthodoxie cléricale et nationaliste qui les révère. La lutte civique doit s’appliquer à forger toute une série de nouveaux symboles. Au lieu d’un judaïsme chauvin, violent et insulaire prenant le Mur occidental pour symbole et fortin, un mouvement religieux réformé doit se lever ici, qui luttera pour un ensemble de valeurs alternatives. Avec tout le respect que nous leur devons, le combat pour le droit de diverses femmes portant de drôles de kippas à s’enrouler dans des châles de prière colorés et porter les phylactères, tout cela à côté d’un mur de pierre entourant une voie hérodienne vieille de 2 000 ans, n’intéresse personne en dehors des media en quête de sensationnel. Cette lutte n’affectera pas vraiment le quotidien des Israéliens qui viennent une fois tous les dix ans au Kotel, un petit bout de papier à la main et une kippa en carton sur la tête.

Concentrez-vous sur le droit des peuples à vivre et mourir libres des chaînes de la hiérarchie rabbinique. Battez-vous pour le droit des communautés [religieuses] à nommer des rabbin(e)s non-orthodoxes de genre tant féminin que masculin. Et surtout, combattez l’alliance entre le cléricalisme orthodoxe et le nationalisme raciste qui, en Israël, menace la paix de la région tout entière.

Le Mur occidental, chères amies femmes, n’a nul besoin d’être libéré. C’est à nous de nous libérer du Mur occidental.


NOTE

1] À l’appui du combat des Femmes du Kotel, on pourra lire avec profit le texte du rabbin massorti Y. Dalsace : [