en anglais sur le site du Jerusalem Post

Jerusalem Post, 7 mars 2005

Le jour d’après le retrait de Gaza

par Gershon Baskin [[Gershon Baskin est le co-directeur israélien du Israel/Palestine Center for Research and Information. www.ipcri.org]]

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


En supposant que le Premier ministre Ariel Sharon réussisse à passer l’épreuve du vote du budget la semaine prochaine, le plan de désengagement devrait se dérouler comme prévu. Il est temps aujourd’hui de réfléchir à ce qui s’ensuivra.

Les scénarios d’après désengagement sont à l’étude. Les options sont nombreuses, et faire coïncider les intérêts stratégiques avec des orientations stratégiques possibles n’est pas chose facile.

Sur le plan de la politique intérieure, il est probable que l’histoire d’amour entre le Likoud et les travaillistes va virer à l’aigre. Le Parti travailliste va éprouver le besoin de trouver une identité différente de celle d’un Likoud post-désengagement. Dans la perspective de nouvelles élections, le conflit entre Sharon et Netanyahou va s’enflammer, ce qui pourrait conduire à une telle recomposition du paysage politique qu’il deviendrait quasiment méconnaissable, avec l’émergence de nouvelles coalitions et de nouvelles alliances.

Sur le plan international, les pressions pour en revenir à la Feuille de route vont augmenter, une fois que le désengagement sera accompli, et ces pressions seront exercées essentiellement sur Israël. Si les Palestiniens remplissent leurs obligations définies par la Feuille de route dans le domaine de la sécurité et des réformes économiques et politiques, Israël se verra requis de remplir les siennes concernant le gel de la colonisation, le démantèlement des avant-postes et un retrait sur les positions de décembre 2000.

Le président Bush évite d’exercer une pression sur Israël jusqu’à ce que le désengagement de Gaza soit effectif ; mais alors, la communauté internationale, emmenée par les Etats-Unis, dira probablement que la Phase 2 de la Feuille de route devrait commencer à être mise en œuvre.

Cette phase 2 s’ouvre sur l’option de la création d’un Etat palestinien avec des frontières provisoires. Aucune autre option n’est envisagée, et puisque Bush a déclaré qu’il devait y avoir un Etat palestinien, il semble probable qu’aucune autre option ne sera proposée.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dit que la case phase 2 devrait être sautée pour se rendre directement à la phase 3 : des négociations sur un statut définitif. Pour Abbas, un Etat palestinien avec des frontières provisoires serait encore un accord intérimaire à long terme qui provoquerait de la frustration et pourrait mener à un nouveau cycle de violences.

Oslo nous a appris que rien n’est plus définitif qu’un accord intérimaire. Est-il logique de passer directement à la fin du jeu? Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, de l’Initiative de Genève, soutiennent l’idée que la fin du jeu est connue, les problèmes et les solutions clairement définis, et que les remettre à plus tard n’aboutirait à rien. [cf. notre article [ ]]

Cela est loin d’être absurde. Mais on ne peut s’empêcher de poser la question : sommes-nous réellement prêts ? Pouvons-nous, Israéliens et Palestiniens, nous faire suffisamment confiance pour faire les concessions nécessaires pour faire advenir une vraie paix après plus de quatre années de violences sanglantes? Si nous nous engageons dans des négociations sur un règlement définitif, pouvons-nous aboutir à un accord, ou bien va-t-on voir une répétition de Camp David?

Avec la soi-disant ambiguïté constructive de la Feuille de route, qui laisse tant de choses dans le flou, il est difficile de déterminer ce qu’il faut faire. Qu’est-ce qu’un Etat aux frontières provisoires ? Quelles vont être ces frontières? Cet Etat sera-t-il viable? Y aura-t-il continuité territoriale? Y a-t-il des avantages à négocier un règlement définitif d’Etat à Etat ?

Abbas craint que la création d’un Etat palestinien aux frontières provisoires ne fasse disparaître la question palestinienne de l’ordre du jour de la communauté internationale, alors que de nombreux problèmes non réglés risquent d’envenimer la situation. Israël prétend qu’avant d’aboutir à des accords définitifs sur les frontières et sur des questions comme Jérusalem, il faut d’abord voir comment les Palestiniens se comportent en tant qu’Etat.

L’existence d’un Etat palestinien limitera la capacité d’Israël à envahir le territoire palestinien. La communauté internationale a agi contre l’Irak quand il a envahi un Koweït souverain. Bien qu’il soit probable que les Américains utiliseraient leur droit de veto au Conseil de sécurité, Israël n’a aucune envie d’assister à un débat sur des sanctions possibles suite à l’invasion d’un autre Etat souverain, en particulier un Etat que la communauté internationale soutient et à la création duquel elle travaille.

La naissance de l’Etat de Palestine provoquera un changement important dans l’environnement politique international. Ce changement influera indubitablement sur les relations bilatérales entre Israéliens et Palestiniens, même si l’occupation ne sera pas complètement terminée.

Au bout du compte, il semble qu’il soit assez sage d’avoir un autre accord provisoire avant de rechercher une solution de « fin de conflit ». Il y a assez peu de chances qu’Ariel Sharon soit capable de faire les concessions nécessaires pour aboutir à un tel accord. De même, la direction palestinienne a besoin de temps pour convaincre son opinion de faire des concessions sur la question des réfugiés afin de parvenir à un accord avec Israël.

Ainsi, il paraît sage de ne pas emballer le processus, il faut encore du temps pour soigner quelques-unes des blessures ouvertes qui saignent encore. Les dirigeants israéliens et palestiniens doivent se démontrer les uns aux autres qu’ils sont capables d’avoir des relations de respect et de dignité. Ils doivent arrêter de renforcer les extrémistes à chaque fois que ces derniers agissent contre les intérêts des deux peuples.

Les parties ont encore du mal à résoudre le problème du transfert de l’autorité aux Palestiniens à Jéricho et dans d’autres villes de Cisjordanie. Il n’est pas encore évident aux yeux d’Israël que les Palestiniens agissent réellement contre le terrorisme. Peut-on les imaginer se confronter au problème du partage de la souveraineté sur Jérusalem?

Le temps doit jouer son rôle dans la reconstruction des relations. Mais le temps seul ne suffit pas. Les parties ont pris des engagements, endossé des responsabilités. Il y a la Feuille de route et le Quartette pour diriger le processus. Tout cela doit concourir à nous permettre d’aller au-delà de ces tout premiers pas hésitants, qui consistent à recréer un processus de paix avant de passer à sa résolution définitive.