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Ha’aretz, 5 octobre 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Dans un ouvrage passionnant,  » The March of Folly, l’historienne Barbara Tuchman examine les énormes erreurs commises par des dirigeants israéliens trop sûrs d’eux-mêmes et psychorigides. Dans cette période propice aux examens de conscience, y réfléchir est un exercice salutaire, qui ne passe pas forcément par un examen de la deuxième guerre du Liban, mais plutôt par celui d’un événement plus lointain : la guerre du Kippour de 1973.

Un examen du comportement imbécile du gouvernement de Golda Meir – un gouvernement qui a refusé d’entamer des négociations avec le président égyptien Anouar Sadate un an avant la guerre – se justifie aujourd’hui par la proposition de la Syrie d’entamer des pourparlers de paix. Cette ouverture a été rejetée par le premier ministre Ehoud Olmert, comme par Ariel Sharon avant lui.

La rigidité d’esprit du gouvernement Golda découlait d’une confiance en soi exagérée, et de l’idée que la profondeur stratégique qu’offrait la péninsule du Sinaï était préférable à la paix. Sadate avait approché Israël en 1972 (là aussi, par l’intermédiaire de la presse étrangère : un journal autrichien) et avait dit : « Nous sommes prêts à faire la paix avec Israël. Si Israël repousse notre offre, je mobiliserai un million de soldats et je ferai la guerre. »

Golda dédaigna les termes de Sadate avec le mépris qui la caractérisait : « Ils ne sont même pas capables de traverser le Canal (de Suez). »

Et Moshe Dayan, le ministre de la défense d’alors, expliqua l’importance stratégique du Sinaï dans sa célèbre déclaration : « Mieux vaut Sharm el-Sheikh sans la paix que la paix sans Sharm el-Sheikh. »

Golda Meir et Moshe Dayan commirent une erreur historique en ne testant pas la volonté de paix des Egyptiens. Fidèle à sa promesse, Sadate partit en guerre un an plus tard. La conception Golda-Dayan s’était écroulée, et 2.700 soldats israéliens payèrent de leur vie cette arrogance et cette stupidité.

Il aura fallu un premier ministre courageux comme Menahem Begin pour renoncer au Sinaï en échange de la paix et de la sécurité sur le front égyptien. La paix avec l’Egypte est l’un des héritages stratégiques les plus importants que nous ait laissés Begin. Récemment, le président Bachar Assad a réitéré son offre d’entamer des négociations de paix avec Israël. La réaction d’Olmert a été la même que celle que Golda donna à Sadate. La seule différence, c’est que Sharm el-Sheikh a remplacé le plateau du Golan.

Qu’est censé penser le président syrien quand il entend Olmert déclarer que le Golan “ »restera dans les mains d’Israël pour toujours »? Peut-être sera-t-il tenté de suivre la voie de Sadate et de lancer une campagne militaire limitée qui nous coûterait très cher.

Les dirigeants nous expliquent leur inflexibilité par le slogan : « La Syrie n’a pas changé ». Ce jugement fait peu de cas d’importants développements, le plus important étant la décision de la Ligue arabe (adoptée par la Syrie à Beyrouth) de soutenir une paix pleine et entière avec Israël et la normalisation des relations en échange des territoires conquis [en 1967].

Autre nouveauté : le souhait formulé par la Syrie d’entamer des pourparlers sans conditions préalables. Jusqu’à présent, c’était Israël qui le demandait à ses voisins. Mais maintenant que la Syrie est d’accord, c’est Israël qui pose des conditions préalables.

Il suffit d’écouter les rationalisations du gouvernement Olmert pour se rendre compte de la rigidité de sa pensée. L’une consiste en « la solidarité entre amis » : les Etats-Unis ne parlent pas à la Syrie, donc nous non plus. Mais les Etats-Unis ne parlent pas à la Syrie parce que nous ne parlons pas à la Syrie, et inversement.

Deuxième rationalisation : la Syrie est militairement faible et isolée sur le plan diplomatique, alors pourquoi lui donner une légitimité? En fait, c’est précisément parce que la Syrie est faible qu’il est temps de faire la paix avec elle.

Il est vrai que le Golan constitue un atout stratégique, et qu’y renoncer n’est pas sans risque, mais avoir le courage de reprendre les négociations avec la Syrie présente aussi des avantages stratégiques potentiels : éviter une guerre avec la Syrie, éliminer le Hezbollah, mettre un terme au soutien syrien aux organisations terroristes, isoler l’Iran, stabiliser le cessez-le-feu au Liban, renforcer la position stratégique d’Israël au Moyen-Orient, et permettre de consacrer nos ressources à nos besoins intérieurs.

Un processus de paix avec la Syrie entraînerait le Liban, l’Arabie saoudite, les Palestiniens et d’autres pays arabes et musulmans dans une nouvelle dynamique de réconciliation avec Israël. L’analyse de ces opportunités, mises en regard des risques, justifie la reprise des négociations avec la Syrie.