Introduction au débat par Michèle Fellous (LPM)*
La rencontre de ce soir s’inscrit dans la suite des débats que nous avons initiés le 23 avril dernier, dans cette même salle. Nous continuons notre réflexion sur les thèmes que nous avions impulsés ce soir-là sur la complexité et la vitalité des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes, par-delà la désaffectation du politique et des politiques et sur la remise en question d’une société prétendument unie et uniforme, mais traversée de courants critiques et donc vivifiants. Nous nous élevons contre toute perception globalisante des uns et des autres.
Notre rencontre de ce soir, par un hasard que nous n’avons pas programmé, reprend des thèmes qui ont été au cœur de l’actualité la semaine dernière lors du vote de la résolution Maillard sur une définition renouvelée de l’antisémitisme. Nous nous interrogeons sur l’opportunité de ce vote :– Le contenu du texte, dans ses termes explicites, tout en condamnant l’antisémitisme, ne nous paraît pas empêcher le débat et la critique de la politique d’Israël. Cependant, si nous en approuvons la substance, le contexte de la proposition est lourd de malentendus et de polémiques qui ajoutent de la confusion à des débats déjà bien complexes. Était-ce le moment de voter une telle résolution, alors que le pays vit des crises sociales majeures ? – N’y a-t-il pas en outre un risque, en isolant l’antisémitisme des autres racismes, de nourrir les polémiques si vivaces sur la hiérarchisation des racismes (au profit de l’antisémitisme) ?
Revenons au débat qui nous réunit ce soir.
Si le diagnostic de la présence toujours active d’un vieil antisémitisme de droite nationaliste et xénophobe semble établi, les débats s’enflamment quand les agressions visant des Juifs, ou supposés tels, mêlent identité juive et identité israélienne : c’est en 2012 Mohamed Merah qui assassine un adulte et 3 enfants juifs au prétexte de venger les enfants palestiniens assassinés par les Israéliens; ce sont les manifestations sur la voie publique en faveur de la cause palestinienne au cours desquelles on a vu apparaître des panneaux sur lesquels était inscrit «mort aux juifs», ce sont les insultes devenues banales de « sioniste », comme si le terme était devenu une insulte en soi.
Nous nous interrogeons en conséquence :
Jusqu’à quel point et comment se construit la confusion entre identité juive et identité israélienne ? Sommes-nous face à un «nouvel» antisémitisme qui se nourrirait du conflit israélo-palestinien ? Où finit la critique légitime de la politique d’un pays, comme de tout autre pays, ou commence sa stigmatisation et sa mise au ban des Nations ?
Ces trois questions sont liées:
1) De part et d’autre, à la faveur des crispations communautaires, se construisent des identifications globalisantes aux Palestiniens ou aux Israéliens. L’identification aux Palestiniens peut parfois aboutir à forger une identité radicalisée au terme d’un cheminement complexe, nourri de frustrations sociales, économiques et existentielles, que rencontre une propagande venue de l’étranger. Analyser ce processus n’est pas l’excuser. Cette radicalisation se nourrit aussi d’une politique israélienne de plus en plus droitière (qui a abouti il y a un an à la loi sur l’État-Nation), une politique outrancière de soutien à la colonisation dans les territoires occupés, qui rend de plus en plus problématique l’émergence d’un État palestinien à côté de l’État israélien.
2) Côté juif, la confusion entre identité juive et identité israélienne est également entretenue par un certain parti-pris des institutions censées représenter « la communauté juive de France ». En adhérant totalement à la politique « officielle » d’Israël, ces institutions nourrissent le mythe d’une communauté juive unie, comme si tous les Juifs partageaient la même vision sur la résolution du conflit israélo-palestinien. Sans le vouloir, elles risquent de devenir un vecteur de cet antisémitisme qu’elles veulent dénoncer. Lorsque ces institutions qualifient d’antisémites ceux qui soutiennent la cause palestinienne, elles refusent par là même toute critique de la politique israélienne, qu’elles assimilent à un antisionisme délégitimateur.
3) Au sein de la société civile française, de nombreuses associations ou individus militent pour une solution politique au conflit ; certaines émettent des critiques virulentes vis-à-vis d’Israël tout en se défendant de tout antisémitisme. Pourtant, on peut s’interroger : où finit la critique légitime de la politique d’un pays, celle que nous partageons nous aussi à LPM, l’association qui organise ce débat, et où commence la délégitimation de l’existence d’Israël ? Ne peut-on voir dans cette délégitimation, pas toujours explicite d’ailleurs, le refus de concevoir que des Juifs puissent se constituer comme sujets politiques ayant droit à un État, par-delà leur religion et leur culture ?
Telles sont quelques-unes des questions dont nous souhaitons débattre ce soir, un débat que nous voulons serein, argumenté, où chacun écoute les arguments des autres…