Ha’aretz, 6 mai 2007

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Cela faisait longtemps que je ne m’étais senti aussi peu à ma place. Jeudi soir, j’étais place Rabin et j’écoutais les paroles douloureuses de Moshé Muskal, dont le fils Rafanel a été tué pendant la deuxième guerre du Liban. Il a parlé avec passion des échecs de cette guerre et a appelé Ehoud Olmert à démissionner immédiatement. Autour de moi, il y avait des gens qui portaient des yarmulkas [[yarmulka : « kippa » (ou calotte) souvent brodée, signe en général distinctif des religieux nationalistes]], des colons et des partisans du Likoud. Leurs yeux brillaient et ils chantaient : « Olmert, démission! ».

Ils n’étaient pas là pour renvoyer un premier ministre qui avait échoué au Liban. Ils étaient là pour prendre leur revanche sur l’homme qui avait été derrière le plan de désengagement de Gaza, qui avait soutenu Ariel Sharon, qui avait conçu le défunt « plan de convergence » et qui ose parler encore d’un Etat palestinien. Ils se battent toujours pour Pithat Rafiah et Homesh [[Pithat Rafiah (bande de Gaza) et Homesh (Cisjordanie) : deux des colonies évacuées lors du désengagement de 2005.]]. Ils veulent lui donner une leçon, et à nous aussi : quiconque ose lever le petit doigt contre les colons aura la main coupée.

Uzi Dayan [[Uzi Dayan : ancien chef du Conseil national pour la sécurité, neveu du Moshé Dayan, il a créé un parti, « Tafnit » (tournant), dont le programme était très proche de celui de Kadima. Résultat aux dernières élections : moins de 19.000 voix, soit bien en-dessous du seuil d’éligibilité.]], qui espère capitaliser au maximum avec cette manifestation, a brodé avec poésie sur la nouvelle alliance surgie sur cette place entre la droite et la gauche, entre les religieux et les laïques, entre les partisans et les opposants aux désengagement, entre Yossi Beilin et Effie Eitam. Mais cette alliance n’existe pas, et ne peut pas exister. Là, il s’agissait d’une autre alliance, étrange, entre un cheval et son cavalier. La gauche était le cheval.

Si la droite est venue manifester, ce n’était pas parce qu’elle s’était opposée à la guerre. Elle est venue parce qu’elle l’a soutenue avec enthousiasme. Personne n’a oublié les cris d’encouragement de Benjamin Netanyahou à Olmert dans l’enceinte de la Knesset, l’exhortant à annihiler, détruire et exterminer le Hezbollah, et à ne pas s’arrêter avant la victoire totale.

Si la droite est venue manifester, c’était parce qu’elle était déçue de la manière dont cette guerre a été menée. Elle aurait souhaité une guerre plus réussie, plus destructrice, qui aurait balayé l’autre côté. Elle est venue manifester pour couronner d’avance Netanyahou, avec les partis d’extrême droite (Union nationale, Parti national religieux).

Le mot « paix » n’a quasiment pas été prononcé par les orateurs, et lorsque Meir Shalev a osé dire que l’armée n’était pas prête à faire la guerre, parce qu’elle était « occupée aux check points, à procéder à des arrestations et à protéger des colonies illégales dans les territoires », il s’est fait huer par la foule des manifestants.

J’ai posé la question à un partisan du Likoud : si le premier ministre qui a échoué lors de la guerre avait été bien à droite, aurait-il coopéré avec la gauche pour le jeter dehors? Il m’a regardé avec un petit sourire et a répondu : « Bien sûr que non. Nous ne sommes pas des imbéciles. »

Alors, que faisaient sur cette place tous ceux qui croient à un processus de paix avec évacuation de territoires? Qu’y faisaient-ils, ces gens qui pensent qu’il était possible de négocier avec le Liban pendant les six ans qui ont suivi le retrait d’Israël du Liban et de parvenir à un accord qui aurait compris la Syrie? Ceux qui pensent que nous nous jetons tête la première dans la guerre, mais délibérons des milliers de fois, faisons notre examen de conscience et débattons à l’infini des intentions de l’autre côté quand celui-ci ose annoncer qu’il souhaite la paix, que faisaient-ils là-bas?

Le rapport Winograd, qui a envoyé manifester 150.000 personnes, n’a pas recommandé la démission du premier ministre, au moins dans la partie de ce rapport qui a été publiée. Il a dit, en revanche, que le processus démocratique devait suivre son cours, tout en utilisant 160 fois le terme « échec ». .

Cela est dangereux parce que ce rapport dit à tout futur premier ministre : ne prenez aucun risque. Jouez la prudence. Ne faites pas de vagues. Car si vous décidez de faire quoi que ce soit de risqué, que ce soit le fait de partir en guerre ou d’entamer un processus de paix, vous allez en prendre plein la figure. La commission d’enquête qui sera nommée par la suite vous reconnaîtra coupable et vous serez jeté dehors.

Donc, mieux vaut ne prendre aucune décision qui comporte un risque, sur la guerre comme sur la paix. Jouez sur le velours, repoussez tout et restez au pouvoir, comme Itzhak Shamir [[Itzhak Shamir : 1er ministre (Likoud) de 1983 à 1984, puis de 1986 à 1992. « Dur de chez les « durs » au sein du Likoud, il mena une politique d’évitement systématique, mais fut néanmoins forcé à participer à la conférence de Madrid (1991), qui constitua dans une certaine mesure le début du processus de paix et préluda aux accords d’Oslo.]]. A ceux qui vous succèderont de nettoyer les dégâts que vous aurez laissés derrière vous.

Il n’y a pas si longtemps, quand le Hezbollah a bombardé le nord d’Israël et même tué des soldats, Sharon a dit qu’il préférait « la paix pour les Bed & Breakfasts en Galilé » plutôt que de donner une leçon au Hezbollah ». Et aucune commission d’enquête n’a vu le jour.

Nous avons besoin d’un dirigeant qui prenne des risques, qui soit capable de prendre des décisions impopulaires. Je me serais senti bien plus à l’aise dans cette manifestation si le mot d’ordre « Olmert démission » avait été plutôt celui de reprendre le processus de paix, ou même le « plan de convergence », et de négocier avec la Syrie pour éviter une nouvelle guerre.