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San Francisco Chronicle, 10 janvier 2005

Le chemin qui attend les Palestiniens

par Samir Rantisi [[Samir Rantisi est ancien conseiller de l’Autorité palestinienne pour les médias, et co-fondateur de la Palestinian Peace Coalition, parti
palestinien totalement engagé dans le soutien aux Accords de Genève.]]

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Compte non tenu des élections de dimanche dans les territoires, ni du fait
que Mahmoud Abbas soit, oui ou non, un modéré et un pragmatique, la société
palestinienne semble encore très loin d’être prête à faire son examen de conscience à propos de son histoire récente, sinon même des 40 dernières années du pouvoir de Yasser Arafat.

Aucun Palestinien ne peut nier le rôle qu’a joué Arafat dans notre histoire, et les résultats qu’il a pu obtenir, mais ces 40 dernières années furent aussi une longue suite d’échecs, de tragédies et de catastrophes.

Aujourd’hui encore, on semble mettre l’accent sur la manière de poursuivre
l’intifada activiste, un activisme qui nous a apporté, non seulement des tragédies humaines, mais,à tous les sens du terme, ce qui équivaut à une deuxième « naqba » [[Naqba : « catastrophe », désigne pour les Palestiniens la victoire d’Israël dans la guerre de 1947-49, la création de l’Etat juif et la fuite de centaines de milliers de Palestiniens, devenus réfugiés.]].

Le problème est que mon peuple manque encore de perspective et de stratégie,
et bien entendu d’une direction composée d’hommes d’Etat qui sachent l’amener à la place qu’il mérite depuis longtemps, parmi les nations démocratiques et pacifiques.

Concernant la perspective : depuis plus de 50 ans d’une lutte épuisante pour la liberté et l’indépendance nationale, il n’y a toujours pas d’accord sur les objectifs de la lutte. Alors que l’OLP a défini ses objectifs, à savoir un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza (22% de la Palestine du Mandat britannique), les mouvements islamistes (le Hamas et le Djihad) qui bénéficient tous deux d’un large soutien sur le terrain, considèrent que l’objectif de cette lutte est la création d’un Etat sur toute la Palestine mandataire (dont Israël). Une troisième conception, répandue surtout parmi les Palestiniens de l’étranger, consiste à créer un Etat bi-national sur la totalité de la Palestine mandataire, où Juifs et Arabes pourraient vivre ensemble avec les mêmes droits.

Mais la réalité est là, nette et dure. Malgré les réalités incontournables sur le terrain, qui tout au plus peuvent permettre l’émergence d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza dans un futur prévisible, certaines écoles de pensée, importantes et dominantes, continuent à s’accrocher à des aspirations irréalistes, comme la libération complète de la Palestine mandataire et la destruction finale de l’Etat juif, ou la défaite du sionisme.

De pareilles idéologies ont malheureusement provoqué la prolongation des
souffrances de mon peuple. Un leadership palestinien nouvellement élu doit
avoir l’honnêteté et le courage de prendre le contre-pied de cette forme de
pensée politique, à commencer par un effort dans le domaine de l’éducation, pour encourager une pensée politique modérée. L’objectif d’un Etat palestinien qui vivrait en paix au côté d’Israël requiert une nouvelle forme d’endoctrinement fondé sur l’acceptation du peuple israélien, à la condition que celui-ci mette fin à son occupation militaire du territoire palestinien et reconnaisse les droits de mon peuple à la liberté et à l’indépendance.

Et il sera demandé bien davantage à la nouvelle direction palestinienne. Une
nouvelle perspective, cela doit d’abord commencer par un nettoyage chez soi.
La corruption, sous toute forme que ce soit, ne doit plus être tolérée. L’une des raisons qui expliquent le soutien dont jouissent les mouvements islamistes est la colère qui gronde des masses paupérisées devant une corruption officielle généralisée. Depuis dix ans, plusieurs officiels ont transformé leur fonction en source de revenus personnels. Des dons privés et des subventions gouvernementales ont été plusieurs fois détournés vers des sociétés privées, et les sommes n’ont jamais atteint ceux à qui elles étaient destinées. Même une partie des subventions accordées aux ONG ont été détournées vers des comptes privés.

De façon générale, le Conseil législatif palestinien (le parlement palestinien) n’a pas su assumer son rôle qui consistait à fixer des règles et des standards. La législature qui va s’ouvrir [[les élections législatives sont prévues pour juillet 2005]] devra assumer de larges responsabilités, non seulement en tant que corps législatif, mais comme instance de contrôle de l’Autorité palestinienne.

Concernant la stratégie : il est devenu très clair que l’activisme radical et les moyens violents adoptés pour atteindre nos objectifs nationaux, n’ont pas seulement échoué à nous rapprocher de ces objectifs, mais ont provoqué des reculs et des tragédies humaines. Si les Palestiniens ont le droit de résister à l’occupation militaire, ils doivent en même temps choisir les moyens les moins coûteux et les plus efficaces pour le faire.

Mon peuple doit reconnaître que la résistance violente a échoué et que seule
une stratégie non violente et pacifique peut le rapprocher de ses objectifs. Tous les résultats qu’il a obtenus (à commencer par la création de sa propre Autorité) ont découlé de stratégies non violentes, et non de la violence et de l’activisme radical.

Enfin, mon peuple a besoin d’un leadership qui ait une stature d’Etat; qui puisse se fixer comme objectif la création d’un véritable Etat palestinien indépendant, avec des institutions structurées, un système et des lois qui fonctionnent pour le bien du peuple tout entier, et non pour celui de l’élite au pouvoir. Un leadership qui s’engage à ouvrir grand les fenêtres pour assurer un meilleur avenir économique aux générations futures. Et, non moins important, un leadership qui saura faire le pas nécessaire pour placer mon peuple parmi les nations démocratiques et pacifiques. Le chemin est encore long, mais un vrai chef d’Etat peut entamer le voyage.