« On ne peut pas récompenser le 7 octobre avec un État », entend-on dans la presse d’opinion depuis plusieurs semaines. Avec la reconnaissance par la Norvège, l’Irlande et l’Espagne de l’État palestinien, cette formule est devenue un élément de langage du gouvernement de Netanyahou, qui a même ajouté « this evil cannot be given a state ». Cette rhétorique est illogique, infondée et dangereuse.
La logique de la récompense ne tient pas.
Le Hamas et les factions armées palestiniennes qui ont tué 1200 Israéliens et fait 252 otages le 7 octobre ne sont pas des partisans de la solution à deux États. Ce sont des groupes irrédentistes qui réclament une Palestine de la mer au Jourdain, une Palestine dépouillée de ses Juifs. Le Hamas a toujours rejeté la solution à deux États et continue de le faire depuis le 7 octobre, par la voix de Khaled Mechaal. La reconnaissance par des chancelleries européennes d’un État palestinien grève ces rêves irrédentistes, les met devant le fait accompli d’un État« réduit » et les oblige à reconnaître Israël. Où se trouve la récompense ici ? Les déclarations du Hamas remerciant la Norvège sont des provocations qui instrumentalisent ce geste diplomatique. En effet, dans cette même déclaration, le premier ministre indique expressément s’opposer au Hamas et appelle à la libération inconditionnelle des otages. Par ce geste, la Norvège, l’Irlande et l’Espagne réduisent à néant les prétentions à reprendre toute la Palestine à terme. C’est justement forcer les Palestiniens à se soumettre à une solution à deux États. Et puis, si les Palestiniens peuvent se dire que cet État est une solution temporaire permettant de mieux se préparer pour, in fine, récupérer toute la terre, il faut aussi se dire que le prix du maintien des Palestiniens sans État est exorbitant, tant militairement et stratégiquement qu’en termes d’éthique.
En repoussant toute perspective d’un État palestinien pour des raisons sécuritaires, Israël s’aliène tous ses alliés, épuise ses forces et se met en danger à terme.
La partition est le seul horizon politique pour sauvegarder un État juif et démocratique
Ces déclarations de reconnaissance d’un État palestinien, si elles ne règlent pas la question de la gouvernance de cet État, des frontières, du démantèlement partiel des colonies, du droit au retour des réfugiés et de Jérusalem-Est — et d’autres questions encore — ont au moins le mérite de définir un horizon politique constructif dont les deux peuples ne peuvent se passer. Ça n’est évidemment pas conçu dans l’intérêt d’Israël d’abord chez ces États, c’est un geste vis-à-vis de la Palestine, pour l’autodétermination des peuples mais ça n’en reste pas moins une opportunité unique pour Israël. C’est « la voie la plus sûre pour promouvoir la sécurité à long terme d’Israël ainsi que son acceptation et sa reconnaissance au niveau régional et mondial » (JStreet). C’est la voie la plus sûre pour la continuation de l’État juif et démocratique pour Israël.
Il n’y a pas d’autre possibilité que l’annexion ou la séparation. La séparation est la voie la plus sûre pour une véritable indépendance d’Israël. L’annexion signifierait ou bien la fin du caractère juif de l’État ou bien la fin de la démocratie par la confirmation et l’extension des logiques d’apartheid en cours en Cisjordanie et dans les secteurs arabes de Jérusalem-Est. Dans un État binational, les Juifs seraient en minorité. En cas d‘annexion, la préservation du caractère juif de l’État impliquerait la privation des Palestiniens de leurs droits civiques.
En réalité, la droite et l’extrême-droite ne veulent annexer que la terre, pas les hommes. De même que les Palestiniens déclarant vouloir la cohabitation dans un État binational : il s’agit pour eux de revenir sur la terre que leurs parents et grands-parents ont quittée, pas de cohabiter avec ceux qui y vivent aujourd’hui. Parler de récompense signifie qu’Israël est responsable des Palestiniens
Dans tous les cas, un État unique signifierait l’abolition formelle de la ligne verte et donc une cohabitation complète avec les Palestiniens. Or, s’il ne faut pas récompenser le Hamas, si les Palestiniens ne peuvent mériter un État alors à plus forte raison comment cohabiter avec eux ? S’il est impossible de trouver un partenaire de paix chez les Palestiniens, comment imaginer régenter leur destin et assumer des responsabilités à leur endroit ? Comment maintenir la fiction d’une Jérusalem unifiée quand aucun Juif ne met les pieds dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est et que ses résidents ne jouissent d’aucuns droits civiques ?
Imaginer qu’Israël puisse récompenser les Palestiniens par un État, c’est concevoir Israël comme responsable du sort des Palestiniens. Il faut sortir de cette logique. Israël doit se séparer des Palestiniens, pas être davantage responsable d’eux.
Il importe de le dire et de le redire : « Sur le plan des principes, conditionner la reconnaissance d’un État palestinien à la négociation avec Israël, donc à son accord, n’a simplement pas de sens. Le droit naturel des peuples à l’autodétermination n’est pas un don gracieux de leurs adversaires. » (Elie Barnavi). C’est selon ce même principe d’auto-émancipation qu’Israël a été établi, sans récompense à attendre des nations.
Par ailleurs, l’État palestinien existe de facto. Il était reconnu par plus de 140 pays avant que ces trois pays européens ne le fassent. Il participait aux institutions internationales, en particulier à la CPI, ce qui a permis à cette cour de requérir contre des dirigeants israéliens. Il existe pour permettre de condamner Israël mais n’existe pas quand il s’agit de responsabiliser ses leaders. Certains s’appuient même sur sa proto-existence pour nier le régime d’occupation et la qualification d’apartheid. Il existe et il n’existe pas, cet État de Schrödinger, pratique pour harceler Israël estiment certains, pratique aussi pour responsabiliser Israël estiment les mêmes. Cela ne peut continuer ainsi, l’ambiguïté est délétère. Elle doit être résolue par l’établissement véritable d’un État.
Le refus israélien met le pays dans l’impasse
Le gouvernement israélien semble vouloir saboter toutes les possibilités de résolution du conflit par la séparation, en annexant formellement Kyriat Arba, en développant la colonisation dans les territoires occupés, la semaine dernière encore en révoquant la Disengagement Law pour les colonies évacuées de Kadim et Ganim près de Jénine, en se déclarant « l’unique État de la Mer au Jourdain » (Elie Cohen). Il est du devoir des chancelleries occidentales de ramener Israël sur le chemin de deux États.
On ne le dira jamais assez : ces nouvelles reconnaissances ne sont une conséquence du 7 octobre que parce que le gouvernement israélien a délibérément choisi de ne prendre aucune initiative, de perpétuer le statu quo, de repousser l’inéluctable avènement d’un État palestinien, de ne fixer aucun cadre : cette stratégie de gestion du court terme est le moyen le plus sûr de se faire déborder par les évènements et de perdre toute maîtrise. Elle est aussi une invite aux Palestiniens à devenir responsables d’eux-mêmes. Le premier ministre espagnol l’a expressément rappelé : reconnaître un État va avec des obligations pour cet État.
Le rejet épidermique par le gouvernement Netanyahou de cette reconnaissance, qui choisit en sus de s’aliéner ces pays ayant reconnu la Palestine, en rompant les relations diplomatiques avec eux, en les présentant comme antisémites ou comme naïfs vis-à-vis de l’islamisme, est néfaste pour l’avenir d’Israël.
Il importe que les chancelleries européennes et américaines poursuivent leur pression sur Israël en vue d’un État palestinien et sur les Palestiniens en fixant un cadre clair pour l’établissement de cet État, des garanties de démilitarisation, en convoquant une conférence sur les frontières, en mettant un terme admis par les parties en présence à la question des réfugié, en revitalisant et réformant l’Autorité palestinienne, ses programmes éducatifs, son Martyrs Fund (qui finance les familles à la fois des victimes de l’occupation et des terroristes), en fournissant des contreparties concrètes de sécurité et de normalisation régionale pour Israël.
Alexandre Journo