Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
pour un Palestinien de Gaza ou de Cisjordanie, la routine quotidienne aujourd’hui est faite de séries sans fin de catastrophes, de leurs conséquences presentes, et de la peur de nouvelles catastrophes à venir.
En une nuit, la vie de la famille Al Hilo, du quartier de Tufah dans la bande de Gaza, a été détruite. Au cours de l’une des actions de routine de Tsahal contre les fabricants de roquettes Qassam, mardi dernier, 18 février à 10h00, des véhicules blindés sont entrés à l’est de la ville de Gaza. Plus tard, dira le rapport de routine de Tsahal, 11 Palestiniens armés ont été tués.
Les blindés étaient accompagnés d’hélicopterès, et d’une grosse puissance de
feu. Une heure plus tard environ, les soldats de l’un des hélicoptères tirèrent un missile sur une voiture qui transportait trois membres des services secrets palestiniens ; des souces palestiniennnes affirmeront plus tard que les trois hommes étaient à la poursuite d’autres Palestiniens qui se dirigeaient apparemment vers les Qassam.
Entre temps, un groupe de blindés, comprenant des tanks, s’approcha de la
maison de la famille Al Kata, à Tufah. Le chef de famille possédait un atelier de métallurgie au premier étage du bâtiment. Les soldats demandèrent à tout le monde de sortir. Quelques uns entrèrent dans la maison d’à côté, celle de Nahed Al Hilo, et ordonnèrent à son fils de 2 ans, Ala, de les accompagner pour une perquisition pièce par pièce afin de s’assurer que personne n’était resté dans le bâtiment.
Les soldats ordonnèrent alors aux deux familles, liées par un mariage, de quitter leur domicile. Elles furent envoyées, avec une autre famille de voisins, attendre dans un verger proche. Malgré le froid très vif, les soldats ne leur permirent pas de se réfugier chez des parents, non loin de là, pour se tenir au chaud.
Pendant l’heure et demie qui suivit, quelque 35 personnes, dont des femmes
et des enfants, ont tremblé dans le verger, alors qu’à 50 metres de là, des
explosions se produisaient dans l’atelier de métallurgie. Vers 3 heures du
matin, les troupes commencèrent à se retirer, et tout redevint calme. Les
gens dans le verger crurent qu’ils pouvaient s’en retourner chez eux. Aucun
soldat ne les avait avertis de ne pas le faire.
Said Al Hilo, 25 ans, et son frère Ala, étaient joueurs de football. Ils ont meme joué une fois contre une équipe israélienne, aux premiers temps du processus de paix, en Norvège. Ils dirigeaient une épicerie, que leur père leur avait achetée avec les économies qu’il avait réalisées en tant que negociant en farine, en Israël. Avec leur cousin Tamar Darwish, ils coururent devant tout le monde et pénétrèrent dans la maison. A 3h45, ils se tenaient devant l’atelier de métallurgie quand une énorme explosion se produisit. Ils furent ensevelis sous les décombres du bâtiment, devant leurs parents et leurs proches, dont certains furent blessés par l’explosion.
Les véhicules de secours ne purent pas atteindre la zone assez vite, car Tsahal avait creusé des tranchées en travers des routes, qui de toute façon n’etaient pas bitumées. Le père, lui-même blessé en même temps que son plus jeune fils Sami, se mit à creuser à mains nues dans les décombres, à la recherche des corps. Il ne prêta aucune attention au fait que sa propre maison avait été à moitie detruité par l’énorme explosion.
Le propriétaire de l’atelier de métallurgie revenait le même jour d’un voyage en Arabie Saoudite, et était entré par Rafah. S’il existait une information concernant la fabrication de roquettes Qassam, pourquoi n’a-t-il pas été arrêté, afin d’obtenir de meilleures informations sur l’identité des commanditaires de roquettes? Peut-être n’existait-il aucune information précise, du genre de celles dont Tsahal prétend disposer, mais simplement une information d’ordre général sur un atelier de métallurgie?
Il s’agit d’un seul exemple, pris pratiquement au hasard, de la routine des
catastrophes. Avec l’atelier de métallurgie, les économies de toute une vie et d’ années de travail se sont évanouies. Des milliers de familles ont vu de cette manière leurs vies détruites. Sinon directement par une démolition, au moins indirectement, par la démolition d’une maison voisine. Ou celle d’une tour, d’un champ, ou d’une serre.
Les familles Kata et Hilo n’eurent même pas le temps de saisir ce que signifiait la démolition de leurs maisons, avant que les trois jeunes n’aient perdu la vie. Pas dans une bataille. Ni en tentant de s’introduire dans une colonie, ou d’effectuer un suicide à la bombe, mais à quelques mètres de leur maison. Ainsi, Tsahal continue à tuer des civils, chaque jour. Ainsi, des jeunes gens sont poussés à choisir la mort pour se venger des Israéliens. Et, pour perpétuer le cercle vicieux, les troupes reviennent démolir leurs maisons et arrêter leurs proches;
Les catastrophes, quand la vie d’une personne, d’une famille ou d’une société est bouleversée, sont des événements considérables, inhabituels, et n’ont lieu qu’une fois dans une vie. Le contraire de la routine. Mais par nature, quand il s’agit d’affronter les séries de raids de l’armée israéienne, les Palestiniens doivent passer, de façon routinière, d’une catastrophe à l’autre. Le temps manque pour s »habituer aux effets d’un désastre que déjà le désastre suivant est là. Et chaque jour, cette routine empire. Mais comme il s’agit de routine, personne n’y prête grande attention.
En Israël, les gens sont persuadés que c’est ainsi qu’on combat le terrorisme et qu’on le défait, comme l’armée le promet depuis 28 mois. Mais au cours de cette même période, 3,5 millions de gens l’ont payé d’une terrible détresse matérielle, économique et émotionnelle, sans répit. Ils s’attendent constamment à ce qu’un coup les frappe, dix fois plus fort que le précédent, et si ce n’est pas demain, alors ce sera après-demain, et il sera encore pire, et il ruinera leur vie.