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par Yitzhak Frankenthal[[Yitzhak Frankenthal est le fondateur du Forum des Parents Endeuilles, association qui reunit des Israeliens et des Palestiniens
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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Jusqu’il y a dix ans, le Jour du Souvenir (Yom haZikaron où l’on célèbre en Israël les victimes de toutes les guerres d’Israël, ndt) etait pour moi un jour de tristesse, où je ressentais de l’empathie et de la compassion pour les familles des soldats tombés. Depuis la mort de mon fils, Arik, ce jour est devenu pour moi un jour de douleur et de chagrin incommensurables. Parfois, j’ai le sentiment que nous sommes un peuple qui se construit sur les désastres, une nation consciente du prix d’un desastre imminent et prête à le payer.
La douleur de perdre un être cher est une douleur intérieure, qui explose comme un excès d’energie sur lequel je n’ai aucun contrôle. Avec les années, petit a petit, j’apprends à canaliser cette douleur. J’ai toujours été ému par la proximité entre le Jour du Souvenir, et le Jour de l’Indépendance, célébré le lendemain, ému par la commémoration du prix de notre renaissance. Ces dernières années, j’ai pris progressivement conscience que c’etait nous qui fixions les prix. Il peut apparaître que nous soyons les victimes, mais ce n’est pas le cas : nous sommes ceux qui avons le coeur dur. Nous nous fermons à la souffrance de la nation que nous dominons. Ce n’est pas que nous soyons mauvais ou sadiques, c’est simplement que nous ne comprenons pas que d’autres ont besoin d’empathie et de compassion, autant que nous. Nous ne saisissons pas ce que réconciliation veut dire, à commencer par la réconciliation avec nous-mêmes. La capacité de pardonner à nous-mêmes, de vivre en paix avec nous-mêmes, est un préalable. Chacun de nous doit savoir pardonner à lui-même. Nous avons tant de conflits, dans presque tous les domaines de la vie.
De nombreuses personnes merveilleuses sont enterrées à côté d’Arik. Là où elles sont aujourd’hui, elles ne connaissent ni querelles ni controverses. Devons-nous mourir pour comprendre que la mort d’un côté de la frontière est tout aussi douloureuse de l’autre? Toutes les victimes ont des familles et des parents aimants, et aucune ne reviendra. Le Jour du Souvenir etait pour moi un jour qui appartenait aux familles des victimes tombées au combat. Aujourd’hui, c’est aussi un jour fortement lié a la vie. Un jour qui nous rappelle toutes les victimes en notre sein, celles, dans les deux sociétés, qui souffrent de symptômes de phobies collectives. Un jour qui nous rappelle les terribles souffrances des deux côtés. J’ai vécu le deuil, j’en ai fait l’expérience de l’intérieur et de l’extérieur. Le dehors m’a toujours fait peur, bien plus que le dedans.
Mon deuil personnel ne me donne pas le choix, c’est mon ici et maintenant, il faut vivre le vide. Mais ma plus grande peur, c’est le deuil du dehors. Je n’oublie jamais mon deuil du dedans, comment le pourrais-je? Mais j’ai quatre autres enfants, et des petits-enfants, et c’est là où résident mes peurs du deuil. Si nous ne reprenons pas nos esprits, qu’adviendra-t-il de nous? La mort rôde à notre porte. Nos enfants n’ont pas ete tués sur les routes, ils ne sont pas morts de maladie. Ils sont morts parce qu’il n’y avait pas de paix. Cela me ferait du bien et m’apporterait un peu de réconfort, si, le Jour du Souvenir, mes dirigeants parlaient un peu moins de la douleur de perdre un être cher, et agissaient un peu plus pour apporter la paix.
Yitzhak Frankenthal, père d’Arik, et père de Hananel, Ayelet, Ofir et Hadar, puissent-ils vivre heureux et longtemps.