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Haaretz, 3 decembre 2004

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La droite a toujours prêché l’unité nationale, tout en développant et en
diffusant en meme temps une idéologie de guerre civile. Cela a été le cas
partout en Europe, et cela est valable également pour Israël. Pour les gens
de droite, le mot d' »unité » n’a qu’un sens pratique : être d’accord avec
leur opinion. Pour eux, quiconque a un point de vue opposé, et ne se
contente pas de l’exprimer mais essaie aussi de le mettre en pratique,
est un traître. Quand la droite est au pouvoir, elle aime à procéder à des
innovations importantes : la seule signification qu’elle attache à la notion
de démocratie est la loi de la majorité. Selon cette approche, la majorité a
tous les droits, y compris celui de contrôler la conscience du citoyen.
Cette intéressante doctrine dit aussi que personne, en aucune circonstance,
n’a le droit de s’opposer à un gouvernement démocratiquement élu, et que ce
gouvernement a le droit de bafouer les droits de l’homme, d’ignorer les
normes de la loi et de la morale naturelle, et de se moquer du principe
d’égalité. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement de la majorité a le
droit d’exiger que tout citoyen endosse un uniforme et prenne part à des
actes qui sont à la limite de crimes de guerre.

Voila la logique selon laquelle le refus de participer au fait de tuer des
civils, femmes et enfants, au cours d’activités de guerre, est perçu par
beaucoup comme équivalent au refus de participer à l’évacuation d’une
colonie. Il est pourtant clair que, dans le premier cas, le refus est une
révolte de l’individu dont le système de valeurs ne lui permet pas de
prendre part à une campagne meurtrière moralement injustifiée, tandis que le
second cas de refus est purement de la résistance politique.

L’objectif du refus de droite est d’empêcher la mise en oeuvre d’une
politique qu’elle rejette totalement, tandis que celui du refus de gauche
est de préserver une image humaine, même en temps de guerre. Le gouvernement israélien n’est pas le seul a avoir été elu démocratiquement et à avoir ordonné à ses forces armées d’accomplir des actes que la conscience
réprouve. La France de la 4ème République et les Etats-Unis pendant la
periode de la guerre du Vietnam étaient des democraties qui ont forcé leurs
soldats à commettre des crimes de guerre, ou qui ont ignoré la perpétration
de ces crimes.

Aujourd’hui plus que jamais, il faut réiterer ces idées fondamentales, parce que
les tirs sur les manifestants près de la clôture, vendredi dernier,
annoncent le goût de ce qui est susceptible d’arriver à l’avenir. De fait,
plus l’occupation durera et s’intensifiera, et moins la vie aura de valeur,
et plus la culture du factionalisme l’emportera. Cette culture ne fait pas
la différence entre un citoyen ordinaire et un combattant. Ainsi, l’incident
de la semaine dernière ne devrait pas être considéré comme une surprise.

La seule différence entre lui et des centaines, sinon des milliers,
d’incidents précédents dans les territoires n’est en fait qu’une question de
hasard : si un juif n’avait pas ete blessé, et si l’événement n’avait pas
ete filmé et vu par des dizaines de témoins israéliens, il n’aurait pas eu
droit à une ligne dans la presse. Aujourd’hui, à cause de la « bavure »,
chaque Israélien sait comment et pourquoi des centaines de Palestiniens,
dont des enfants, qui participent à des manifestations mais non à des
actions violentes, se font tuer chaque année à balles réelles.

Ce que ce cas a d’intéressant, c’est qu’il n’a rien d’inhabituel. Les
soldats ont réagi instinctivement, comme on les a instruits et encouragés à
le faire. La culture du factionalisme a réponse à toutes les questions.
Elle a aussi la réponse à la question que posait Zeev Schiff dans son papier
du 8 août, quand il examinait les chiffres officiels des ennemis tués. A
cette date, 2.341 Palestiniens avaient été tués, et 14.000 autres blessés.
« D’après les calculs du Shin Bet, 551 des personnes tuées étaient des
terroristes. Qui donc étaient les autres? », demandait Schiff. L’incident de
la clôture fournit la reponse.

Il n’y a donc nul besoin d’enquête. Tout découle du fait que l’armée est au
service de l’entreprise de colonisation, ses officiers expriment leur
admiration vis-à-vis des Israéliens qui vivent au-delà de la ligne Verte, et
ils frappent la population palestinienne sans problèmes de conscience.
Certains d’entre eux ne cachent pas leur animosité envers la gauche. Les
tirs sur la clôture ont ete le résultat d’une accumulation d’hostilité
envers les « belles âmes », les « criminels d’Oslo et de Genève », et envers
tous ceux qui refusent d’accomplir leur service miliaire dans les
territoires.

Ceux qui désirent aller à la racine du problème doivent se rappeler la
proximité intellectuelle et parfois physique entre le haut commandement de
l’armée et les dirigeants des colons. Si l’on veut comprendre ce qui est
arrivé à Tsahal depuis le début de l’occupation, il faut lire les journaux,
et en particulier les interviews données ces derniers mois par des officiers
de haut rang, les officiers en charge de brigades d’infanterie, le
commandant sortant de l’armée de l’Air, l’homme qui dort bien la nuit et
qui, quand il largue une bombe au coeur d’une population civile, ne ressent
qu’un léger « frémissement » de son avion. Sa conscience, en revanche, ne
ressent aucun tressaillement.

L’insensibilité qui règne au plus haut niveau menace de transformer nos
jeunes en uniforme en une armée de robots : voilà l’autre leçon qu’on peut
tirer de l’incident de la clôture.