[En l’absence d’Arafat, écrivait hier matin Danny Rubinstein, l’équilibre des pouvoirs à Gaza va se trouver bouleversé. L’article fait la part belle à la guerre des clans au sein des Forces de sécurité palestiniennes, et aux possibles désordres qui pourraient survenir. Comme en écho, résonnaient quelques heures plus tard les coups de feu tirés autour de Mahmoud Abbas [Abu Mazen] et Mohammed Dah’lan, par des dizaines de membres des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa [dépendant du Fatah]. La fusillade a fait au moins deux morts, dont le garde du corps personnel de Mahmoud Abbas et un membre de la Force de sécurité préventive de Mohammed Dah’lan. Tous deux ont cependant nié qu’il y ait eu tentative d’assassinat, attestant avoir vu tirer en l’air…]

[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/500108]

Ha’aretz, dimanche 14 novembre 2004

Trad. Tal Aronzon pour La Paix Maintenant


Des officiers palestiniens de haut rang admettent que l’attentat perpétré l’an dernier contre un convoi américain au carrefour de Beith Lah’iya était destiné à couper les ailes de l’homme le plus proche des États-Unis à Gaza.

L’attaque terroriste de l’an passé dans la bande de Gaza, qui ôta la vie à trois Américains d’une société de sécurité attachés aux diplomates de l’ambassade des États-Unis à Tel-Aviv suscita une vive colère aux plus hauts niveaux de l’administration américaine. Les diplomates faisaient partie d’une « délégation de paix », comme le dit un porte-parole du Département d’État, venus à Gaza offrir leur concours aux Palestiniens.

Au moment où il traversait le carrefour de Beith Lah’iya, le 15 octobre 2003, aux environs de 11 heures du matin, arrivant du croisement d’Erez [[Le barrage d’Erez marque la frontière entre Israël et la bande de Gaza. ]] en direction de la ville de Gaza, le convoi fut accueilli par une charge explosive de plusieurs dizaines de kilogrammes.

Les diplomates se trouvaient dans les voitures blindées de tête et de queue du convoi – muni de plaques diplomatiques – et s’en tirèrent sans dommages. Les policiers palestiniens de l’escorte furent blessés. Seuls les gardes du corps qui se trouvaient dans la seconde voiture – détruite dans l’explosion -, furent tués.

L’attaque du convoi américain sortait de l’ordinaire, des dizaines de délégations œuvrant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza sans être jamais prises pour cible. Les associations étrangères aident les Palestiniens et jouissent, tout comme les journalistes étrangers et leurs équipes, d’une quasi immunité dans les Territoires [occupés].

Divers responsables palestiniens se hâtèrent de condamner l’attentat – Yasser Arafat en premier lieu, qui déclara qu’il « n’était pas dirigé contre les Américains, mais contre le peuple palestinien ».

L’Autorité palestinienne et des équipes du ministère américain de la Défense lancèrent une enquête pour déterminer qui avait voulu attaquer le convoi, et si un véhicule militaire israélien était en fait visé, les gardes américains étant ainsi tués par erreur.

La première conclusion fut qu’il ne s’agit pas d’une erreur. La route où l’attentat se produisit n’est jamais utilisée par l’armée israélienne. C’est une route qui sert exclusivement aux déplacements des Palestiniens, des centaines de véhicules arabes l’empruntent chaque jour. Ceux qui placèrent la charge explosive savaient exactement à qui ils s’en prenaient. Ils étaient de toute évidence au bord de la route, repérèrent les voitures munies de plaques diplomatiques et les visèrent.

De source palestinienne, on tenta de battre cette conclusion en brèche, répétant avec insistance que les auteurs de l’attentat voulaient s’en prendre à une cible israélienne. Mais les Américains n’y crurent pas et exigèrent de l’Autorité palestinienne une enquête approfondie afin de faire toute la lumière […] et d’aboutir à un procès où les coupables seraient traduits en justice.

A la suite de l’incident, le gouvernement américain suspendit une grande part de son aide dans les Territoires, en particulier à Gaza, où les diplomates américains reçurent la consigne de ne plus se rendre. Le consul américain à Jérusalem et ses employés se contentent depuis lors de visites à Jérusalem, Ramallah, Abu Dis et Bethléem, évitant aussi les zones plus reculées de la Cisjordanie.

Ce fut un grand coup porté aux Palestiniens. De nombreux projets soumis à l’avis d’experts américains se trouvèrent suspendus. Parmi ceux-ci, des équipements de désalinisation et de filtrage de l’eau dans la bande de Gaza. L’attribution des bourses aux lycéens en fut également compliquée, les entretiens avec les candidats étant rendus impossibles[…]. Selon les déclarations du porte parole de l’ambassade américaine à Tel-Aviv, non moins importante fut la perte de confiance entre l’administration américaine et les officiels de l’Autorité palestinienne. […]

De fait, l’enquête menée par les Palestiniens semble bien peu sérieuse. Pourquoi ? L’ampleur des dommages causés par l’interruption de l’aide américaine allant croissant, la curiosité grossit de même. Pourquoi les dirigeants palestiniens étaient-ils prêts à payer un tel prix pour éviter de dévoiler l’identité des coupables et de les juger ? […]

En février 2004, quatre habitants du camp de réfugiés de Jabalya furent inculpés et un procès organisé. L’acte d’accusation soutenait la thèse de l’erreur, l’intention ayant été d’attaquer des tanks israéliens. Ce que nul ne prit au sérieux. Des officiers de haut rang au sein des forces de Sécurité palestinienne soufflèrent eux-mêmes à des journalistes, en confidence, que le procès n’était qu’un show destiné à calmer les Américains. Tous les inculpés furent relâchés.

Il y a trois semaines, le général Moussa Arafat, responsable de la Force de sécurité nationale et du Renseignement militaire à Gaza, dit à un correspondant de l’agence Reuters que la police palestinienne connaissait les auteurs de l’attentat, et que l’information était également aux mains des Américains. Pourquoi, en ce cas, ne les arrêtait-on pas ? […] Agir contre les coupables, répondit-il, pourrait déclencher guerres et querelles intestines. Propos que le général Arafat démentit sitôt publiés.

Les officiels palestiniens de haut rang connaissent la solution du mystère, mais manquent de preuves. Qui plus est, ils redoutent d’en parler en public. Il est quasi certain que la charge explosive devait vraiment toucher des Américains ; mais les commanditaires de l’attentat voulaient en fait ternir le blason de celui que l’on considère comme le plus proche de l’Amérique dans la bande de Gaza. Il s’agit de Mohammed Dah’lan, autrefois décrit comme l’homme fort du cru. Le Service de Sécurité préventive mis en place et dirigé par lui a reçu une aide massive des États-Unis. Dah’lan a maintenu le contact avec l’administration et les autorités américaines, et chaque dérèglement des relations entre les Etats-Unis et l’Autorité palestinienne l’atteint.

L’identité de ceux qui souhaitent nuire à Dah’lan dans la bande de Gaza est également bien connue. Ce sont les chefs des autres forces de sécurité dépendant de l’Autorité palestinienne, à commencer par le généraux Moussa Arafat et Ghazi Jabali, ex-commandant de la police. L’année dernière, les chefs de ces forces ont mené une guerre totale à Dahlan, avec tirs, meurtres, enlèvements et occupation de quartiers généraux à la clef. L’attaque du convoi américain fut ainsi un épisode de ce violent conflit inter-organisations à Gaza, par gangs locaux interposés.

Les Palestiniens n’ont pu pousser l’enquête – et sont prêts aujourd’hui encore à le payer au prix fort, en termes de suspension de l’aide américaine – car ce qui se produirait en cas de procès des jeteurs de bombe n’est que trop évident. Ceux-ci sont susceptibles de révéler l’identité de leurs commanditaires, dirigeant ainsi l’enquête vers des personnalités de haut rang. Tout ceci était évidemment connu du président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, qui bloqua l’enquête.

Cette affaire pourrait avoir des conséquences jusque dans l’ère post Arafat. En l’absence du président, l’équilibre des pouvoirs à Gaza va se trouver bouleversé. Le statut de ceux à qui il accordait son plein soutien va se trouver amoindri, et celui des autres renforcé. La même chose va se produire à tous les niveaux dans toutes les structures palestiniennes, mais à Gaza, où les tensions entre organisations atteignent le point de rupture, le chaos pourrait s’instaurer.