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Ha’aretz, 7 septembre 2005
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
oudain, Talal, deux ans et demi, se serre contre les genoux de sa mère. Il dit qu’il a peur parce qu’il y a des Juifs. Pour de nombreux enfants, le mot « Juif » est synonyme du soldat au checkpoint, ou de l’attaque par hélicoptère. Talal est trop jeune pour comprendre pourquoi ses parents ont ri quand l’invitée leur a dit : « à part moi, il n’y a pas de Juifs ici ». Mais il a assez vécu pour que, dans son esprit, le mot « Juif » soit associé à la peur.
Sa peur évidente a de quoi surprendre : ces derniers mois ont été relativement calmes, et l’armée israélienne ne s’est pas approchée de son quartier du nord de Gaza. Peut-être Talal a-t-il vu quelque chose à la télévision. Peut-être a-t-il remarqué ces hommes masqués qui, le soir, déambulent dans le quartier, l’armée parallèle du Hamas. Ou peut-être, tout simplement, était-il dans la rue avec sa mère quand cinq véhicules militaires palestiniens sont passés à toute vitesse dans les rues, chacun avec à son bord plusieurs policiers à l’expression figée, pointant leurs fusils sur une cible qui se situait quelque part entre la rue et le ciel.
Dans un an ou deux, Talal apprendra à faire la différence entre un Juif armé et un Palestinien armé. Au lieu de la peur, ce sera peut-être de l’orgueil et de l’excitation qu’il ressentira. Puis, quand trois autres années se seront écoulées, il saura faire la différence entre des hommes armés du Hamas et ceux de l’Autorité palestinienne/Fatah, et saura de quelle équipe il est fan. Ainsi, sans que ses parents l’aient voulu, sans même s’en rendre compte, sans ses copains tout aussi excités, il aura été atteint de cette maladie commune connue sous le terme scientifique d' »envie du fusil ».
La forme bénigne de cette maladie se manifeste par la sympathie (pour l’une ou l’autre des organisations) et l’imitation (avec des fusils en plastique). Lorsqu’on est atteint de la forme grave de la maladie, on rejoint une organisation. Le symptôme le plus répandu se reflète dans les divers panneaux et affiches qui emplissent le champ de vision : des hommes armés de fusils et de mortiers, dans toutes les poses possibles et imaginables, où chaque organisation défie l’autre et revendique la primauté. Un autre symptôme, ce sont les cérémonies militaires, qui suscitent chez les foules des réactions extatiques.
Il est vrai que beaucoup ont été élevés sur le principe de la guerre sainte contre l’infidèle et l’oppresseur, et sur celui du sacrifice de soi, dont la version laïque est « ce qui a été pris par la force sera repris par la force ». Il est vrai aussi que l’Autorité palestinienne (comme les autres régimes arabes, et que ce soit sous Yasser Arafat ou sous Mahmoud Abbas) tente d’asseoir son pouvoir à partir d’organes de sécurité boursouflés et effrayants, qui en rajoutent sur l’éthos de la sacralisation des armes. Mais il est aussi vrai que la grande majorité des Palestiniens sont nés sous occupation militaire israélienne : si le modèle à imiter, de façon abstraite, est l’armée de Mohammed, le véritable modèle, immédiatement imitable, c’est Tsahal et ses soldats. Le Hamas, à la veille des élections de janvier 2006, fait tout pour prouver que c’est son fusil qui est le plus gros.
Dans une série de livres sur « Les Opérations Militaires de l’Intifada Al-Aqsa », publiée en janvier dernier par le Centre Arabe pour l’Etude et la Recherche à Gaza (dont certaines sources palestiniennes affirment qu’il est lié au Hamas), on peut trouver les statistiques triomphantes suivantes : entre le 28 septembre 2000 et le 13 décembre 2004, 1.001 « sionistes » ont été tués. 133 (13,3%) ont été tués dans la bande de Gaza, 282 (28,2%) en Cisjordanie, 203 (20,3%) à Jérusalem et 383 (38,3%) dans « les territoires de 1948 ». Parmi les nombreux tableaux et diagrammes, il y a ceux qui distribuent les « sionistes » tués par organisation responsable : Hamas 46,5%, Fatah 18,4%, Djihad islamique 11,8%, FPLP 2,3%, etc.
Pendant longtemps, le choix de la lutte armée a été synonyme d’héroïsme et de sacrifice de soi. Aujourd’hui, après l’évacuation des colonies, il est facile de l’amalgamer à la victoire, c’est-à-dire à une « stratégie » triomphante qui fera également ses preuves pour « le reste de la Palestine occupée ». Plus la misère, la pauvreté et l’ignorance prévaudront dans une bande de Gaza coupée du monde comme une gigantesque prison, plus grande sera la probabilité d’attraper cette envie du fusil, et plus il sera facile d’être entraîné par la propagande du Hamas.
Pour cette propagande, ce qui a triomphé ici, ce n’est pas la stratégie israélienne qui a consisté à couper Gaza de la Cisjordanie et à s’attirer la sympathie de l’opinion mondiale, mais bien le sacrifice et les armes des Palestiniens. Car combien il est confortable de voguer, par dessus ces maisons en béton surpeuplées et étouffantes qui manquent des équipements les plus élémentaires, vers des royaumes éternels représentés dans ces affiches aux couleurs vives, et vers les promesses d’un retour aux citronniers et aux villages d’avant 1948 !
Par sa propagande, le Hamas provoque une contradiction interne entre sa volonté de faire partie du jeu politique palestinien et l’éthos qu’il dissémine, celui des armes quasi divines et de la poursuite de la lutte armée. Faire partie du jeu politique, cela signifie promettre une amélioration de la vie dans ce monde-ci. Continuer la lutte armée, avec son cortège de victimes, cela signifie remettre cette amélioration de la vie pour le monde de l’au-delà.
Aussi longtemps qu’Israël persistera dans une politique qui consiste à couper les habitants de Gaza du reste du monde, et en particulier de la société palestinienne de Cisjordanie, et aussi longtemps que l’Autorité palestinienne s’obstinera dans ses habitudes de luxe et de pouvoir ostentatoires, le Hamas aura beau jeu d’utiliser l’éthos militaire pour se renforcer dans la sphère politique.