Haaretz, le 25 octobre 2004

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Le vote sur le plan de retrait qui aura lieu demain à la Knesset a débordé le cadre purement politique pour revêtir l’allure d’une décision fatidique. Ce ne sont pas les initiateurs du plan -lequel avait fait naître des craintes en effet, chez tous les partisans d’un accord négocié avec les Palestiniens – qui ont provoqué cela. Ce sont les rabbins de l’extrême-droite, par leurs appels au refus d’obéissance et par le qualificatif de « malheur » attribué à ce plan, qui ont jeté leur poids dans la balance, dont l’équilibre était déjà fort étriqué .

Par des arguments divers et variés, tous appuyés sur un ordre divin interprété exclusivement dans le sens de l’étroitesse et du fanatisme, les rabbins des territoires et leurs partisans ont entraîné la discussion politique jusqu’au bord du précipice béant de l’extrémisme et de la sécession. Le plan de retrait lui même n’est qu’une arme entre leurs mains. Consciemment, les yeux ouverts et en les roulant vers le ciel, avec le slogan « Sharon crée une déchirure au sein du peuple », ils brandissent l’arme du jugement dernier : la guerre civile. Ils menacent ainsi les députés qui hésitent encore entre une décision politique rationnelle -laquelle
renforcerait au moins le gouvernement dans sa décision historique et symbolique du retrait de Gaza-, et la peur de la colère messianiste qui les paralyse.

A ces voix exaltées s’est joint avant-hier le leader spirituel du Shas, le rabbin Ovadia Yossef, qui a défini le plan de retrait comme «à rejeter absolument », et a appelé tous les députés à voter contre. La décision de Yossef est regrettable et décevante, justement parce que ses arguments ne relèvent pas de l’idéologie messianiste, mais du raisonnement, car il a examiné avec sérieux les arguments des partisans et ceux des opposants au retrait.

Le rabbin Yossef avait osé décréter il y a 20 ans qu’en échange de la paix, il était permis de renoncer à des parties de la terre d’Israel afin d’éviter des guerres. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, il affirme qu’il serait dangereux de quitter Gaza unilatéralement, en l’absence selon lui de partenaire palestinien. Pourtant il ne faut pas oublier que la fin de son sermon (prononcé à la synagogue Ndt) a été consacrée toute entière à la nécessité de s’armer de patience et attendre de trouver un partenaire, « et nous ferons alors la paix avec lui ».

La différence entre la position de Yossef et celle des rabbins des territoires mérite d’être soulignée. Le leader du Shass s’oppose à un retrait unilatéral. C’est dommage. Et il est regrettable qu’il craigne la colère des électeurs de ce parti, qui ont dérivé loin vers la droite. Mais sa position est ancrée dans la réalité politique et se fonde sur des considérations militaires et non une promesse divine. Il a certes définit sa position comme « avis fondé sur la torah », mais il a ajouté qu’il se basait sur les données dont il avait pris connaissance. Les rabbins des colons, par contre, s’opposent à tout plan et à tout accord qui entraînerait l’abandon de la moindre miette de la terre d’Israel.

Ni le shabbat, ni la cashrout, ni aucun autre principe religieux ne nécessitent de mener une guerre civile, selon les rabbins des territoires. Seule la terre sainte de Gaza justifie à leurs yeux le fait de lever la main sur son prochain, et de mettre en pièces l’autorité des chefs de l’armée et des dirigeants de l’Etat.

A cause d’eux et de leur fanatisme, le public israélien est poussé à s’engager dans une lutte douloureuse pour déterminer quel sera le futur visage de la société et de l’Etat. Seul le soutien au plan de retrait, avec tous ses inconvénients, est susceptible de stopper la victoire de ces rabbins.