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The Daily Star, 8 mars 2006
Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Après 100 ans de conflit entre le sionisme et le nationalisme arabe en Palestine, les Israéliens et les Palestiniens n’ont toujours pas d’accord de paix, mais il semble qu’ils aient un accord. Les paramètres de cet accord, non-dit mais relativement clair, paraissent répondre aux besoins immédiats des deux côtés. C’est le premier ministre israélien Ariel Sharon qui, le premier, les a formulés, il y a un an et demi, puis mis en oeuvre l’an dernier avec son retrait unilatéral de Gaza. Ils ont été consommés avec la victoire du Hamas en Palestine, et seront probablement couronnés avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement israélien dirigé par Ehoud Olmert et par le parti Kadima.
Les termes de cet accord implicite sont : une séparation plus rapide et plus nette entre Israéliens et Palestiniens, un cessez-le-feu mutuel (dans le cadre d’un retour en arrière sur la colonisation de territoires palestiniens occupés), ce qui permettrait aux Palestiniens de continuer à bâtir leur mini-Etat à Gaza et sur une portion de la Cisjordanie.
Cet accord non-dit entre Israéliens et Palestiniens sera toujours fragile, parce qu’il est déséquilibré et imposé de manière unilatérale. Il ne répond en rien aux aspirations essentielles des deux côtés : reconnaissance, sécurité et fin du conflit pour les Israéliens, libération, souveraineté et droits des réfugiés pour les Palestiniens. Mais pour les deux côtés, pour une période, cet accord, avec tous ses défauts et ses déséquilibres, semble préférable à la guerre de basse intensité qui les oppose.
Israël, au moins pendant ce mois électoral, n’est pas le moins du monde intéressé à explorer les options possibles qui permettraient d’entamer des négociations de paix avec le Hamas. L’actuelle direction israélienne préfère préparer son opinion à d’autres désengagements unilatéraux. Israël, de fait, semble être en train de tracer ce qu’il considère comme ses frontières définitives, délimitées par la barrière de séparation qu’il construit de plus d’un an.
Sharon et le parti Kadima qu’il a créé, aujourd’hui dirigé par Olmert, a toujours considéré qu’un accord provisoire à long terme avec les Palestiniens était plus réaliste et préférable à une tentative supplémentaire de négocier une paix globale et définitive. Le Hamas, pour sa part, respecte depuis un an le cessez-le-feu avec Israël. Soumis à des pressions régionales et internationales qui le poussent à assouplir sa position, il est en train d’envoyer des signaux selon lesquels il continuera à respecter le cessez-le-feu, à condition qu’Israël fasse des gestes réciproques sur des questions clés, comme les droits des réfugiés et le démantèlement de toutes les colonies. Aujourd’hui, Israël n’acceptera pas ces conditions.
Ainsi, le Hamas ne parle que de prolonger sa trêve d’un an et de la transformer en une trêve à long terme, où les Palestiniens vivraient aux côtés d’un Etat d’Israël revenu à ses frontières d’avant la guerre de 1967, si Israël accomplit les gestes nécessaires sur les colonies, les frontières et les réfugiés.
L’accord provisoire à long terme de Sharon et la trêve à long terme du Hamas se ressemblent étrangement. Suivant en cela ce que l’Orient sait faire le mieux, ces accords sont appliqués sans avoir été formulés officiellement, ni agréés. La paix est loin. Mais il s’agirait peut-être d’une coexistence pacifique de bric et de broc, non dite, qui éviterait que de méchants actes soient commis. Et elle laisserait la porte ouverte à d’autres options.
Ces dernières semaines, des membres de Kadima ont déclaré que s’ils étaient élus, ils continueraient à se retirer unilatéralement de certaines parties de la Cisjordanie, et qu’ils laisseraient totalement les affaires de Gaza entre les mains des Palestiniens. Le premier pas serait, si l’on en croit Avi Dichter, ancien chef du Shin Bet, de démanteler d’autres colonies isolées de Cisjordanie tout en consolidant les gros blocs de colonies proches de la frontière de 1967.
Cette approche est censée refléter celle de l’establishment militaire israélien, qui pense qu’une colonisation prolongée va à l’encontre de la sécurité d’Israël. Aujourd’hui, on considère qu’une séparation des Palestiniens serait davantage de l’intérêt d’Israël que la colonisation et l’occupation militaire. Les Israéliens souhaitent évacuer le maximum de territoires occupés afin qu’Israël demeure un Etat sioniste à prédominance juive. Ils semblent également résignés à vivre à côté d’un proto-Etat palestinien dirigé par le Hamas ou par un gouvernement de coalition dirigé par le Hamas.
Le renversement historique de la politique israélienne menée depuis 1967 trouve, en miroir, son équivalent du côté palestinien. Un gouvernement Hamas est prêt à gérer les zones qui seraient évacuées par Israël, à agir rapidement pour construire une société plus sûre, plus stable, gouvernée par l’état de droit, et pour appliquer une trêve prolongée qui a probablement commencé. Le Hamas observera dans le calme les retraits israéliens, et se concentrera sur la bonne gouvernance de sa société, à Gaza et dans la plus grande partie de la Cisjordanie.
Le coeur opératif, non dit mais essentiel, de cet accord muet est que les deux côtés arrêtent de se tirer dessus et de se tuer comme ils le font depuis des années. Israël se retirera régulièrement de territoires palestiniens, les Palestiniens disposeront de davantage d’attributs de souveraineté et ils pourront se consacrer, avec davantage de diligence qu’auparavant, aux priorités qu’impose la construction d’une nation. Ce développement en parallèle mais séparé pourrait conduire à terme à des circonstances qui seraient propices à une solution définitive et négociée du conflit israélo-palestinien.
On marche sur une corde raide, bien sûr. Mais des deux côtés, on semble préférer cela au sort certain que promettraient la prolongation de l’occupation et de la colonisation, et la résistance armée, où l’on saignerait et coulerait ensemble. De bric et de broc. Rangeons le glaive et attelons la charrue.