Ha’aretz, 2 juillet 2006
Trad. : Tal Aronzon pour La Paix Maintenant
Nous sommes peu à l’avoir remarqué, mais le mercredi 28 décembre 2005 fut
une date historique. Ce jour-là, troisième jour de Hanoukkah [[Fête des Lumières, à connotation nationale autant que religieuse, où l’on allume chaque soir, une semaine durant, une bougie de plus en mémoire de la résistance juive à l’occupation grecque.]], à six heures du soir, les forces armées israéliennes ont commencé à bombarder les
dunes au nord de la bande de Gaza. Ce feu d’artillerie sans rime ni raison
fut baptisé d’un nom rutilant : « Cieux Azurés ». L’opération avait pour but
de répondre à l’augmentation des tirs de roquettes Qassam depuis Gaza
libérée et de garantir la paix à Sdérot, la paix à Ashkélon et la paix dans
la partie occidentale du Néguev.
L’opération « Cieux Azurés » était militairement sans valeur.Comme le
général Yitzh’ak Ben-Israël, candidat sur la liste du parti Kadima [[Parti d’Ehoud Olmert, en tête de la coalition au pouvoir.]] à la Knesset, l’avait dit avant le désengagement, il n’existe aucune réponse militaire ou technologique à des tirs de roquettes depuis un territoire palestinien libéré. Pas plus qu’il n’y en aura dans l’année ou les dix
années à venir. Cependant, l’opération « Cieux Azurés » avait une énorme
valeur symbolique. Elle représentait l’acte de décès du désengagement.
Quatre mois après la tentative du gouvernement Sharon de se désengager de
Gaza, il se désengageait du désengagement. Il y mettait fin.
A Tel-Aviv, nul n’y prêta attention. Nul ne voulut y prêter attention. Le
besoin de croire qu’Israël pouvait prendre son destin en main balayait toute
information remontant du terrain. Le besoin de croire qu’Israël savait
comment en finir avec l’occupation, fût-ce sans partenaire palestinien,
était plus puissant que tous les signaux d’alarme qui viraient au rouge. Et
puis, il y avait les élections à gagner. Il y avait la fête [[La fête de Hanoukkah, ou des Lumières, déjà citée (voir note 1)]] et la prospérité. Il y avait l’attaque cérébrale de Sharon.
Aussi nul n’accepta-t-il de remarquer qu’à l’instant où Israël se sentit
obligé – à juste titre ou non – de protéger la sécurité de ses citoyens en
portant atteinte à l’autonomie palestinienne limitée, il résilia de fait le
désengagement. Personne ne voulut comprendre que dès lors qu’Israël dit ne
pouvoir perpétuer sa propre souveraineté sans attenter à celle du voisin, la
symbiose persiste. Les cellules cancéreuses continuent à se reproduire. Il
n’y a pas de fin à l’occupation, pas de « nous sommes ici et eux là ». Pas
de paix, pas de sécurité, pas de stabilité.
Rien, sinon l’illusion tel-avivienne têtue qui croit possible d’isoler la
prospérité de la ville blanche de tout ce qui l’entoure et de déconnecter
Israël de l’histoire, du conflit et de l’horreur proche-orientale.
Aussi le crash de juin ne devrait-il surprendre personne. Le crash de juin
était à prévoir. Tout comme l’assassinat de civils innocents et les attaques
à l’intérieur de la Ligne verte furent l’inévitable résultat de la réalité
des « Cieux Azurés » ; tout comme l’altération de la puissance israélienne
de dissuasion et l’usage mal avisé de la force israélienne sont le résultat
direct de l’incapacité à doter le désengagement d’une dimensionpolitique.
Tant qu’Israël ne prend pas conscience que l’occupation de Gaza estfinie,
et sans reconnaissance internationale du fait qu’elle est finie,
l’occupation de Gaza n’est pas finie. Et si l’occupation de Gaza n’est pas
finie, la violence – ici et là – est inévitable. En l’absence de frontières
reconnues, l’alternative de la stabilité n’existe pas.
On peut soutenir que le désengagement était justifié, comme on peutsoutenir
qu’il ne l’était pas. On peut soutenir que le désengagement était vital
[pour Israël], tout comme on peut prétendre qu’il était stupide. Quoi qu’il
en soit, il est impossible d’entreprendre une démarche aussi déterminante
que le désengagement sans en comprendre la logique interne.
Celle-ci n’est pas simplement la logique du retrait, mais celle de la
l’établissement d’une frontière. Non une logique de fuite et d’illusions,
mais la logique fondatrice d’une réalité nouvelle, celle de deux États,
fût-ce sans accord de paix entre ces deux États.
Si la situation intérieure au sein de l’entité palestinienne ne contribue
pas à faire naître cette réalité, on doit l’admettre au lieu dese cacher la
tête dans le sable. Mais si l’entité palestinienne est suffisammentmûre et
responsable, Israël doit la traiter presque comme un État. Israël devrait
conférer à la Gaza palestinienne les droits d’un quasi État, et réclamer
d’elle l’attitude d’un quasi État. Il lui faut poser clairement, à
l’intention des Palestiniens comme envers elle-même, qu’une frontière est
une frontière. La souveraineté est la souveraineté. La partition dupays est
la partition du pays et non un chaos permanent et sanglant.
Le 24 octobre 2003 un terroriste s’infiltra dans la base militaire de
Nétzarim et tua trois soldats – deux femmes et un homme. Cet incident
violent, traumatisant, rendit tangible l’inanité qu’il y avait à rester à
Nétzarim et contribua à son démantèlement. La violence actuelle n’est pas
moins traumatisante. Néanmoins, elle ne devrait mener ni au désespoir, ni à
des actes de désespoir.
Elle devrait tous nous faire comprendre la nécessité de reformuler la
politique israélienne à l’égard de Gaza en particulier et de la Palestine en
général. Elle devrait nous faire comprendre à tous que sans clarté
conceptuelle et politique le désengagement se désagrégera, et la convergence
[[Actuel programme israélien de redéploiement en Cisjordanie sur des
frontières délimitées par la clôture de séparation. Ce qui signifierait
l’évacuation de la plus grande partie des Territoires occupés, avec ou sans
négociation politique.]] échouera.