Le seul moyen pour les gauches sioniste et arabo-palestinienne de créer « une alternative à 50 années d’occupation et d’inégalités croissantes » est de construire entre elles « un authentique partenariat », plaide ici Yaniv Sagee, plaçant les uns et les autres face à leurs responsabilités.
Ha’Aretz, le 16 fév. 2017 : “Can Jews and Arabs be true political partners in Israel” .
Par Yaniv Sagee
Traduction, chapô & notes, Tal Aronzon pour La Paix Maintenant.
Photo Tomer Appelbaum : Ayman Odeh, président de la liste arabe unie, manifestant à Tel-Aviv pour “L’égalité pleine et entière, pas moins / שיוויון מעלא ולא פחות”.
L’article de Yaniv Sagee
Dans quatre mois, nous compterons 50 années d’occupation israélienne des “Territoires”. Cinquante années durant lesquelles l’État d’Israël a changé de fond en comble.
D’un État providence réalisant pleinement la vision des fondateurs – à la fois un foyer national pour le peuple juif et un État égalitaire pour tous ses citoyens – Israël s’est mué en l’un des pires pays occidentaux en termes de fracture sociale. Un pays qui discrimine ses citoyens arabes et n’est pas capable de tisser des liens avec la judaïcité mondiale.
D’un État « en quête de paix », nous sommes devenus un État « gérant le conflit » [1] au gré de guerres et d’opérations où nous tuons et sommes tués, parce qu’on nous a convaincus qu’il « n’est pas de partenaire » avec qui faire la paix [2]. Nos actes sont orientés par les vues du Premier ministre, qui a prononcé l’an dernier ces mots : « Nous vivrons à jamais par l’épée. » [3]
Tel est notre gouvernement – passant des textes qui légalisent des ”implantations sauvages” [4] et programment des annexions afin de nous préparer aux bulldozers de groupes d’extrême-droite dont l’objectif est de faire leurs les territoires conquis [en juin 67], et de créer du Jourdain à la Méditerranée un État basé sur l’inégalité entre minorité juive et majorité arabe.
En Israël aujourd’hui, la droite est le seul camp détenteur d’une perspective claire à avoir réussi à se placer au centre du pouvoir et à nous entraîner sur son chemin. Son horizon n’attire guère la majorité des citoyens israéliens – qui comprennent que nous payons ses visées du prix du sang ; comme du tribut moral et économique que cela implique. Mais elle gagne élection après élection parce qu’il s’agit du seul camp offrant cette sorte de mirage qui “semble” correspondre à la réalité.
Par contraste avec l’image de la terreur, l’effroyable faiblesse de la gauche : Pas de perspectives, pas de plan, pas de capacité à s’intégrer aux centres d’influence. Au lieu de constituer une alternative, [les centristes de] Yesh Atid et les [sociaux-démocrates et écologistes] du Camp sioniste tentent de représenter un “Likoud light”. Ils agissent dans les limites fixées par la droite, perpétuant l’occupation, suivant les lignes d’une économie prédatrice, dommageable et anti-égalitaire avec, cependant, un peu moins de brutalité. En sorte de ne pas trop déchaîner la colère internationale.
Et à la gauche de ce centre – rien, aucune structuration politique significative. On parle beaucoup, on tient tous les propos de bon ton, mais sans aucun impact. Pour paraphraser Shakespeare, la gauche israélienne est « pleine de bruit et de fureur, qui ne signifient rien ». Quand nous évoquons un processus renouvelé de construction de la gauche, nous ne devrions pas viser l’espace étroit entre le Méretz , auquel les dernières élections ont à peine donné assez de votes pour lui permettre de siéger encore à la Knesseth ; et ´Hadash, piégé au sein d’une liste arabe-palestinienne unie aux intonations nettement nationalistes.
Le Méretz et ‘Hadash s’enlisent dans un cadre politique qui ne fait pas avancer l’alternance en Israël ; ils sont les représentants d’une gauche insignifiante. La seule façon de créer une alternative est de lier les forces de la gauche sioniste et celles de la gauche palestinienne-arabe – et pour ce faire, les deux entités doivent évoluer. De chaque côté, l’éventail des parties prenantes doit reconnaître que seule leur association peut répondre aux valeurs de la gauche et atteindre ses objectifs. La ligne directrice de la gauche est l’égalité. L’égalité entre majorité et minorité nationale en Israël est la base de la démocratie et du changement. Un partenariat entre elles n’a nul besoin de dénier leurs divers récits fondateurs ; il doit s’élever au-dessus d’eux, il doit permettre aux citoyens arabes d’Israël d’accéder vraiment au pouvoir exécutif, un pouvoir qui était et est le patrimoine exclusif de la majorité juive sioniste.
Les citoyens arabes-palestiniens d’Israël réclament la justice, l’intégration et une pleine égalité civique. Quiconque lutte pour cela obtiendra leurs voix et leur confiance. Aucun parti politique n’existe aujourd’hui qui réponde à ce besoin fondamental d’un cinquième des citoyens de l’État – une force électorale puissante afin de changer la donne dans le pays. La Liste arabe unie enferme, au contraire, la société arabe dans une opposition permanente à l’État et au rôle de ceux qui sont ses victimes.
L’échec majeur du Méretz est de fonctionner comme une maison n’accueillant que la seule gauche sioniste et avant tout la “tribu blanche” [5]. Le Méretz ne parvient pas à pénétrer au sein de la périphérie géographique et humaine d’Israël, et n’est pas perçu comme le lieu d’un partenariat égalitaire de l’ensemble des groupes et secteurs interdits d’influence et de décision sur l’évolution du pays. Le Méretz, tellement en manque de renouveau et de nouvelles alliances, ne mène pas les gens de la périphérie aux centres d’influence. Ni le sud ni le nord, ni les villes ni les kibboutzim, et certainement pas les Arabes. Un parti qui exclut de sa stratégie politique un cinquième des citoyens d’Israël ne constituera jamais une gauche significative dans ce pays. Toute son énergie se consume en luttes internes.
L’État d’Israël – bâti sur la juste association de la nécessité pour le peuple juif d’un foyer national avec l’idéal démocratique, basé sur la pleine égalité civique de tous ses citoyens – requiert le partenariat de Juifs et d’Arabes dans une liste mixte établie de façon égalitaire. Il parviendra ainsi à faire entrer des représentants des Arabes citoyens d’Israël au sein d’une coalition de gouvernement et de l’exécutif. Sans cette gauche, aucune coalition ne saurait être forgée qui présente une alternative à l’union de la droite et des colons ; laquelle nous conduit à un État binational non démocratique, un État honni du monde entier et abandonné par la plus grande partie de la diaspora.
Il nous faut une alliance de Juifs et d’Arabes, de religieux et de laïques, de citoyens anciens et nouveaux, une alliance qui fera progresser l’égalité en termes économiques et nationaux en Israël. Une alliance qui deviendra la maison de tous ceux qui sont victimes de la vision coloniale de la droite : la maison des citoyens juifs et arabes qui travaillent dur et gagnent peu, les uns comme les autres – ceux qui voient l’État investir le produit de leurs impôts dans des territoires situés de l’autre côté de la ligne verte, ou le dépenser en moyens de continuer à les contrôler, plutôt qu’au bénéfice de ceux qui vivent dans toute la longueur et la largeur d’Israël dans les frontières antérieures à juin 1967. Une alliance de toutes les ethnies et cultures complexes qui composent ce pays et dont les voix sont actuellement réduites au silence – alors que les ressources du pouvoir exécutif et de l’État sont loin d’être équitablement distribuées parmi elles.
Notes de la Rédaction
[1] « Un État qui gère le conflit » : Depuis sa dernière campagne électorale à la tête du Likoud, Benyamin Nétanyahou parle de façon récurrente de «gérer le conflit” plutôt que tenter de le résoudre au prix d’arpents de terre qu’il entend annexer. Gérer comment ? Par la manière forte, la seule appropriée. Et tous les prétextes sont bons pour prouver qu’il n’y a pas le choix… à commencer par celui qui suit.
[2] « Il n’y a pas de partenaire » : En 2008 dans l’opposition comme en 2015 au pouvoir, entre deux propos et concessions lénifiants envers Ma’hmoud Abbas, Benyamin Nétanyahou use et mésuse régulièrement de sa célèbre formule : “אין פרטנר” / “Il n’y a pas de partenaire” [palestinien pour un accord de paix].
[3] « Nous vivrons à jamais par l’épée » : Lors de la réunion du lundi 26 octobre de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, Benyamin Nétanyahou lança, se tournant vers les députés présents, « on me demande si nous allons toujours vivre par l’épée – oui. » Les réunions de la Commission ne sont soumises au secret défense que pour une part seulement des délibérations ; quant au reste, on ne saurait empêcher les députés membres de la Commission de chuchoter dans les couloirs – aux oreilles en l’occurence du journaliste Barak Ravid, qui s’empressa le lendemain de rapporter la violente petite sentence dans les colonnes du Ha’Aretz.
[4] Pour en savoir plus >
http://www.bbc.com/news/world-middle-east-38888649
[5] «Tribu blanche », en termes plus précis, les Ashkénazes, immigrés de longue date et sui ont marqué l’État de leur empreinte. La gauche sioniste, héritière de partis nés en Europe de l’est, portent les valeurs familières à ce monde dont ils ne se sont pas dégagés – alors que la droite, à commencer par le Likoud a su dans les années 1980 courtiser, puis intégrer les enfants des Juifs du Maroc et plus généralement les Juifs du Magreb et du Mashrek qui l’ont alors pmenée au pouvoir.
L’auteur
Membre du kibboutz Ein Hashofet où il est né, successivement enseignant, proviseur, directeur de l’HaShomer HaTzair en Israël puis président du Conseil national des mouvements de jeunesse, Yaniv Sagee devient en septembre 2012, au retour d’un long séjour professionnel en Amérique du nord avec sa famille, le directeur général du Centre judéo-arabe de Guivat ´Haviva.