Hagit Ofran

Nous avons la chance d’être accompagnés par Hagit Ofran, directrice de l’Observatoire des implantations de Shalom Akhshav. Déjà reconnue parmi les meilleurs experts des implantations en Cisjordanie et à Jérusalem Est, Hagit est responsable de surveiller et d’analyser la construction et la planification des implantations en Cisjordanie. Une interview de Hagit datant du 22 octobre 2009 exprimant sa position est disponible sur http://www.youtube.com/watch?v=8WtVh9Gvd1I. On peut aussi voir la difficulté de son travail sur le terrain dans un reportage diffusé à la télévision israélienne en juillet dernier sur : [->http://www.dailymotion.com/video/x9seui_shalom-Akhshav-affronte-les-colons-r_news].

Quelques définitions et statistiques sur les implantations sont disponibles en anglais sur le site de Shalom Akhshav : [->http://www.peacenow.org.il/site/en/peace.asp?pi=61&docid=4372].

De Jérusalem au Sud du Gush Etzion.

Commenté par Hagit en détails, le chemin que nous empruntons de l’hôtel à notre premier arrêt illustre clairement la complexité sur le terrain, entre zones habitées par Juifs ou Arabes, sous contrôle israélien ou palestinien, et l’impact sur le réseau des routes dans la région, avec par endroits des réseaux parallèles, des routes de contournement, des tunnels, des checkpoints empruntés exclusivement par l’une ou l’autre des communautés. Au fur et à mesure du chemin, on ne peut que se révolter intérieurement d’une telle absurdité humaine dans un paysage qui reste encore si beau.

La carte ci-dessous est tirée de la carte disponible sur [->http://www.peacenow.org.il/site/en/peace.asp?pi=61&docid=4372].

Carte_Gush_Etzion.jpg

Dès notre départ, nous passons par Gilo, une agglomération dont le statut est contesté entre Juifs et Arabes. Pour les Juifs, Gilo fait partie de Jérusalem (elle est englobée dans la frontière municipale de la ville redéfinie unilatéralement après la Guerre de 1967), tandis que pour les Arabes, la ville, étant du côté Est de la Ligne Verte, constitue une implantation juive en Cisjordanie. Comme indiqué sur la carte, l’Initiative de Genève proposerait de rattacher Gilo à la Jérusalem israélienne, rattachement qui se ferait contre un échange de terre équivalente ailleurs en Israël. Par ailleurs, Gilo a malheureusement fait les titres de l’actualité le 17 novembre dernier, avec l’autorisation de construction de 900 nouveaux logements par les autorités israéliennes.

Nous apercevons Bethlehem au Sud, au-delà da la barrière de séparation (voir photo). Hagit précise qu’un corridor permet aux Juifs religieux de se rendre au Tombeau de Rachel qui se trouve à proximité.

Bethléem derrière le mur de séparation

Nous empruntons ensuite un tunnel sous le village palestinien de Beit Jallah. Ce tunnel (section rouge sur la carte) a été spécialement construit pour les colons, pour leur permettre d’éviter le village palestinien et les risques potentiels auxquels ils pourraient s’exposer.

Nous longeons le mur de séparation par l’Ouest. Hagit nous fait remarquer que dans cette région, cinq villages palestiniens se trouvent coincés entre la Ligne Verte et le mur « de séparation », séparation qui, au lieu de séparer Juifs et Arabes, représente pour ces villages palestiniens la séparation du reste de la Cisjordanie. Comme pour la partie palestinienne de Barta’a, ces Palestiniens semblent bénéficier d’un statut exceptionnel vis à vis d’Israël comme pour tester la possibilité de les intégrer côté israélien et de déplacer ainsi sur le terrain la frontière attendue entre les deux Etats futurs de la Ligne Verte au tracé du mur. Le tracé actuel du mur dans la région est d’autant plus polémique qu’il empêcherait les Palestiniens d’utiliser la route principale joignant Bethlehem à Hébron.

Au Gush Etzion

Nous faisons un arrêt dans le Gush Etzion, où nous sommes accueillis par trois colons francophones : Michaël Blum, Yoram Bitane et Sara Brownstein. Les exposés sont lisses et résonnent presque comme une campagne de promotion pour de nouveaux candidats à résider dans la région. Les questions-réponses qui suivent permettent de dénouer les langues.

Michaël Blum, Yoram Bitane et Sara Brownstein

Michaël Blum habite à El’azar dans le Gush. Il est franco-israélien, journaliste indépendant, et travaille pour plusieurs médias francophones dont l’AFP et Radio Shalom. Il nous explique l’histoire particulière de la région qui selon lui en a fait un consensus exceptionnel parmi les Juifs concernant son appartenance à l’Etat d’Israël malgré sa localisation en Cisjordanie. Même l’Initiative de Genève proposerait d’échanger cette région contre une terre équivalente ailleurs en Israël.

Stèle commémorant l'histoire du Gush Etzion

Il y a eu quatre tentatives d’installation juive dans cette région, la dernière perdurant jusqu’à nos jours :

 Un premier essai en 1927 avec le village agricole de Migdal Eder. Des émeutes de Palestiniens récurrentes ont forcé les habitants à quitter le village en 1929.

 Une deuxième tentative en 1935 avec la création du kibboutz Kfar Etzion. Une révolte arabe chasse les habitants des lieux dès 1937.

 Une troisième tentative en 1943 : un groupe de Juifs ashkénazes religieux fuyant les pogroms d’Europe récrée Kfar Etzion sur les ruines de l’ancien kibboutz. Trois autres kibboutzim sont créés dans les environs, dont un kibboutz laïc de l’Hashomer Hatzair : Revadim. Malgré l’attribution de la région aux arabes dans le plan de partage onusien de 1947, l’armée israélienne décide de ne pas évacuer le bloc. La région est assiégée par les forces arabes pendant la Guerre de 1948-9. Le conflit a été long et intense en raison de la position stratégique de la région aux portes Sud de Jérusalem. Après près de 50 jours de résistance, Kfar Etzion tombe dans un massacre qui fait 250 morts. Seuls trois hommes et une femme survivent. Les trois autres kibboutzim, dont les populations ont été protégées d’un nouveau massacre par l’armée jordanienne, se rendent le jour suivant, jour de la déclaration d’indépendance d’Israël. Les hommes de ces kibboutzim sont restés prisonniers en Jordanie pendant 9 mois, après lesquels ils ont pu rejoindre leurs femmes dans les kibboutzim qu’elles avaient récréés pendant ce temps à l’intérieur d’Israël.

 Le Gush Etzion après 1967. Quand Israël reprend le contrôle de la région après la Guerre des Six Jours, les descendants des familles des trois kibboutzim religieux obtiennent du gouvernement israélien l’autorisation de reconstruire Kfar Etzion (les descendants du kibboutz laïc Revadim, quant à eux, ont toujours refusé de retourner dans les territoires). Le Gush Etzion fait maintenant référence à l’ensemble des implantations situées au Sud de Jérusalem, de Har Gilo au Nord à Migdal Oz au Sud jusqu’à Nokdim à l’Est. La population du Gush compte entre 50 et 60.000 colons juifs d’une grande diversité (droite/gauche, riches/pauvres, avec un grand nombre d’immigrants d’origines variées comme le Pérou, la Russie, etc ) pour 12.000 Palestiniens. Une particularité du Gush, nous dit Michaël, est la relative bonne entente entre Juifs et Palestiniens.

Suite à la guerre de 1948, les habitations des kibboutzim ont été entièrement détruites, et l’ensemble des arbres auraient été déracinés, à l’exception du chêne devant lequel nous nous tenons, le « Chêne Solitaire », huit ou neuf fois centenaire selon les sources, devenu symbole de la région et de la résistance du Gush Etzion pendant la guerre d’indépendance.

Le Chêne Solitaire, symbole du Gush Etzion

Yoram Bitane travaille pour une entreprise de relations publiques chargée de promouvoir plusieurs colonies en Cisjordanie. Il s’occupe par ailleurs du « Club de la Presse », qui assure le lien entre organes de presse francophones en Israël. Il est originaire de Marseille, qu’il a quitté à 16 ans pour faire son alyah. Après son service militaire, il a très vite été impliqué dans la création de villages dans le Gush Etzion. Après un travail à dominante agricole pendant 10 ans, il s’est investi dans le développement du côté touristique et de la qualité de vie du Gush Etzion, et se fait volontiers porte-parole de sa région qu’il appelle « la petite Toscane » pour en valoriser la douceur de vivre.

Comme Michaël, il insiste sur la proximité entre la population juive du Gush Etzion et les Palestiniens alentour, autant dans les relations professionnelles que les rapports amicaux.

Sara Brownstein, aussi active dans la promotion de la région, travaille dans les relations publiques du Gush. Elle nous explique que la région est un carrefour, aussi bien dans le temps que dans l’espace et à travers les populations. « Les voitures de luxe côtoient les ânes ». Elle aussi défend la bonne entente régionale entre Arabes et Juifs. « Ces Arabes sont actifs, travaillent la terre (…) ». Elle insiste sur l’absence d’attaques de civils et le calme sécuritaire qui règne depuis 2009 (pas si vieux que ça peut-on remarquer), et l’explique par une collaboration étroite entre forces de police palestinienne et israélienne. Plus que les autres encore, elle semble tenir un discours destiné à attirer de nouveaux résidents : le Gush Etzion est une banlieue de Jérusalem, proche tout en étant moins cher pour y vivre. Le Gush est riche d’industries pour y développer une vie professionnelle. Il accueille aussi de nombreux centres et écoles de qualité, dont Havayot, le centre mondialement connu et reconnu de thérapie de soin par les animaux. Il existe également une école qui accueille des enfants handicapés, intégrés au sein d’enfants normaux qui en retirent une remarquable leçon de vie.

Ayant compris que la région bénéficierait, selon eux, d’un consensus en Israël, l’un d’entre nous leur demande s’ils approuvent l’existence des autres colonies en Cisjordanie. Bien sûr ils l’approuvent. Yoram dit qu’il souhaiterait un grand Israël où les Israéliens pourraient circuler librement là où ils souhaiteraient aller (« j’aimerais pouvoir aller à Gaza librement. »). A la question sur les risques associés à un Etat binational, plus particulièrement sur le droit de vote aux Palestiniens, Yoram sourit et dit que c’est une bonne question. En gros, il voudrait Israël entièrement réunifié, et idéalement avec une majorité de Juifs – ce qui permettrait d’accorder le droit de vote aux Palestiniens sans risques majeurs pour Israël. Or, les projections démographiques du pays montrent que les Palestiniens deviendront majoritaires dans l’ensemble Israël/Territoires Palestiniens d’ici quelques années. Confrontée à cette observation, Sara répond: « On deviendra une minorité mais les Juifs l’ont toujours été dans tous les pays ; cela ne les a pas empêchés de survivre”. Ce commentaire interpelle plusieurs d’entre nous car préférer une minorité de Juifs dans un grand Israël plutôt qu’un Etat Juif va à l’encontre du sionisme. Mais elle poursuit: “Mais peut-être ne le serons-nous pas (une minorité) si les Juifs de Diaspora font leur alyah massivement et viennent nous rejoindre. » Elle rajoute en guise de conclusion à certains d’entre nous qu’elle attend un miracle pour résoudre le problème.

Discussions en petits groupes

Certains d’entre nous ont été déstabilisés devant la tranquillité assumée des colons qui ne se départissent pas de leur calme nourri de convictions. Une barrière invisible semblait nous séparer, qui nous empêchait d’échanger sur les mêmes bases.


L’administration civile israélienne

Notre deuxième arrêt est insolite : nous nous rendons au bâtiment représentant le siège de l’administration civile israélienne dans la région. C’est ici que les Palestiniens doivent venir pour toute démarche administrative, notamment pour obtenir des autorisations leur permettant de franchir les checkpoints pour se rendre en Israël. Bien que la zone soit sous contrôle militaire, l’armée a délégué à cette administration toutes les questions d’ordre civil pour se consacrer à la sécurité.

Bâtiment de l'administration civile israélienne

L’endroit est perdu dans la campagne. Le bâtiment en soi ne paie pas de mine ; les Israéliens ne sont pas visibles par sécurité, mais reçoivent les requêtes des Palestiniens dans une deuxième salle derrière la salle d’attente, nous explique Hagit. Bien sûr, il n’est pas question que nous débarquions à cinquante dans le bâtiment. L’idée de Hagit est d’y aller seule pour éventuellement ramener des Palestiniens prêts à venir dans le car nous expliquer leur situation. Et ça marche : quatre Palestiniens se succèdent au micro à l’avant du car. Voici les témoignages que nous entendons :

1)Un vieux monsieur vient demander la première autorisation de sa vie pour rendre visite à son neveu qui se trouve à Jérusalem, hospitalisé pour un cancer à l’Hôpital Hadassa. D’un côté il reconnaît que la prise en charge de son neveu à l’hôpital est un point positif, mais de l’autre il souhaiterait pouvoir lui rendre visite. Comme une centaine de personnes ce matin, il est arrivé à 8h, a écrit son nom sur un papier et attend maintenant qu’on l’appelle. Personne ne lui a parlé depuis. Déjà la moitié des personnes est partie, découragée d’attendre. Lui attend encore, mais il s’inquiète du temps qui passe, sachant qu’une fois l’autorisation reçue, il lui faudra encore deux heures pour se rendre à l’hôpital, et deux heures pour en revenir. Le problème est que ces autorisations ne sont valides que pour une journée et expirent à 22h.

2)La deuxième personne qui s’exprime est un jeune homme qui vient demander une autorisation pour rendre visite à son père hospitalisé à l’hôpital français de Jérusalem. Il a peu d’espoir et se fait peu d’illusions compte tenu de sa jeunesse qui ne facilite pas ce genre d’autorisation. Comme le précédent, il se réjouit tout de même de la collaboration palestino-israélienne qui a permis la prise en charge efficace de l’urgence médicale de son père.

3)Coïncidence ou fait révélateur du genre de requêtes le plus fréquent, la troisième personne vient aussi pour une autorisation de visite d’un proche hospitalisé à Jérusalem. Son cousin a été pris en charge depuis 15 jours à Hadassa, par l’intermédiaire de structures médicales palestiniennes locales. Il souhaiterait le voir avant qu’il ne subisse une opération grave dans 2 jours.

4) Le dernier volontaire qui vient nous parler est un monsieur avec une petite fille. Cet homme est originaire de Bethlehem, mais il habite Jérusalem où il a suivi sa femme, une Palestinienne résidente de Jérusalem Est. Sa situation matrimoniale lui permet de bénéficier d’un permis de séjour qu’il renouvelle chaque année. En visite à Bethlehem pour voir ses parents avec sa famille, il a pu emprunter les tunnels de la route principale dans le sens Jérusalem-Bethlehem, mais étant Palestinien, il est contraint de revenir par une autre route, accessible seulement après un checkpoint pour Palestiniens. Jusque là, rien d’exceptionnel malheureusement ; ce sont les règles de déplacement pour les Palestiniens. Seulement la procédure standard de reconnaissance d’empreintes digitales pour passer le checkpoint a échoué. Il pense que ses mains sont tellement usées par le travail que ses empreintes digitales ne sont pas reconnaissables. Il a donc été contraint de venir ici chercher une autorisation spéciale de l’administration israélienne pour traverser le checkpoint sans avoir recours aux empreintes digitales. Il restera là et dormira dehors s’il le faut jusqu’à obtenir cette autorisation de rentrer chez lui à Jérusalem. Sa femme étant résidente de Jérusalem Est bénéficie d’un statut spécial qui lui permet d’entrer et de sortir des territoires comme les colons israéliens. Elle pourra donc revenir par la route principale avec leurs enfants.

Remarque : le contrôle d’empreintes digitales n’est pas en soi une procédure de discrimination pour les Palestiniens en Israël. Cette procédure de contrôle d’identité se développe dans tout le pays et ailleurs, comme on le voit par exemple à l’aéroport Ben Gurion ou dans les aéroports américains.