Ha’aretz, 1er mai 2010
[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/1166653.html]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Dieu merci, nous avons vécu assez longtemps. Depuis 2 000 ans (ou en tout cas depuis 43 ans) nous avons espéré entendre cette voix venue de haut, mais elle tardait à venir. Personne ne peut accuser les 3 000 intellectuels juifs signataires d’une lettre qui doit être présentée lundi au Parlement européen et qui appelle Israël à cesser toute construction en Cisjordanie et à Jérusalem-Est de pratiquer la haine d’Israël. De même, personne ne peut dépeindre les philosophes Bernard-Henri Lévy ou Alain Finkielkraut comme des juifs qui pratiquent la haine de soi.
Ce sont des gens qui saisissent chaque occasion pour défendre publiquement Israël et lui demeurent fidèles. Même pendant l’opération « Plomb durci » et après le rapport Goldstone, ils étaient du côté d’Israël. L’Etat d’Israël est la prunelle de leurs yeux, pendant les bonnes périodes et surtout les mauvaises.
Mais même pour eux, la patience a des limites. Et leur cœur est rongé d’une inquiétude sincère. Ils écoutent le Président Sarkozy et entendent un homme qui se sent déçu et trahi. Sarkozy se sent trompé et il est en colère. Le visage de la chancelière Angela Merkel révèle, lui aussi, de la colère face à la manière dont Benjamin Netanyahou s’est servi d’elle et de sa bonne volonté. En Grande-Bretagne, l’hostilité grandit. De plus en plus d’Israéliens y sont considérés comme personae non gratae. Nos représentants, officiels ou semi-officiels, fuient les campus à bride abattue. Une brise froide souffle de Scandinavie jusqu’à l’autre bout de l’Europe. Même Berlusconi est en train de montrer les premiers signes d’impatience italienne.
Les signataires de cette pétition (…) ont conclu qu’ils n’avaient plus le choix : leur Israël n’a pas idée du monde où il vit. Il ne se rend pas compte de combien il est coupé du monde, de l’Amérique, de l’Europe et des pays arabes qui ont conclu la paix avec lui, alors que c’est plus que jamais qu’il a besoin d’eux.
Ils ont délibéré, consulté, formulé et reformulé. Ce n’était pas facile pour eux. Mais au bout du compte, ils se sont décidés à s’élever et à faire leur propre déclaration en écrivant un document sans précédent. [->[http://www.jcall.eu/ »European Jewish Call for Reason »] est leur titre. Ils appellent le gouvernement israélien à geler immédiatement toute construction en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, pour « œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ».
Ils comptent soumettre lundi cet important document au Parlement européen. Herzl, que nous commémorons en ce moment, se serait-il joint à cet appel et à cette délégation, mû par l’inquiétude de voir perdue sa vision ?
A la manière des gens qui réfléchissent, les signataires en sont arrivés à faire la distinction entre le gouvernement d’Israël et l’Etat d’Israël. Les gouvernements vont et viennent, alors que l’Etat sera toujours là. C’est là notre espoir, et c’est ainsi que nous devons agir pour que l’Etat ne s’écroule pas.
Tous ceux qui flattent Netanyahou, Avigdor Lieberman et Eli Yishai – flatteurs sourds et aveugles qui disent « amen » à leur politique – recherchent-ils vraiment le bien d’Israël ? Bien au contraire, ils pourraient provoquer une grande catastrophe, sur nous et sur tout Israël. Montrer trop de responsabilité revient parfois à manquer de responsabilité. Comme le déclarent les signataires : « L’alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien est dangereux car il va à l’encontre des intérêts véritables de l’État d’Israël. »
Pour paraphraser Amos 5 :13, le prudent ne demeurera pas silencieux à un tel moment. Les signataires sont déjà l’objet d’attaques. Parce qu’ils ne vivent pas ici avec nous, ils n’ont pas le droit de se mêler de nos affaires et de critiquer un gouvernement élu, diront leurs détracteurs.
Pendant un moment, j’aurais été près d’être d’accord avec cet argument si, soudain, je ne m’étais rappelé la lettre ouverte d’Elie Wiesel adressée il y a un mois au Président des Etats-Unis [[ ]]. Ceux qui, alors, ont applaudi Wiesel auront du mal à critiquer Finkielkraut. Et peut-être est-ce cette lettre ouverte d’Amérique qui aura poussé les intellectuels européens à réagir.
Ceux qui s’abstiennent de toute critique ne sont pas nécessairement des amis, et même s’ils ne sont pas des ennemis, ils pourraient se retrouver ensemble avec nos pires ennemis. Ces 3 000 intellectuels juifs européens agissent donc par amour.