«Mais je ne voudrais pas vous saper le moral», s’excuse en guise de conclusion l’éminent diplomate américain ici interviewé par Sever Plocker. Selon lui, «l’hostilité entre Israéliens et Palestiniens a atteint un nouveau palier et le fossé est plus profond que jamais».
La rencontre fut déprimante. L’homme qui nous a parlé – il faisait partie de la poignée de diplomates américains qui avaient essayé des années durant de trouver la clef magique du conflit israélo-palestinien – ne nous a pas laissé une once d’espoir.
À mesure que notre conversation se prolongeait, tard dans la soirée, le sentiment de nous trouver dans une impasse allait croissant. «Les chances de parvenir à un quelconque accord israélo-palestinien semblent nulles», dit l’homme, faisant la synthèse d’impressions glanées au cours de nombreuses années de service diplomatique plein ou partiel.
«À qui la faute?», avons-nous demandé. «C’est votre faute, c’est la leur et c’est la nôtre, à nous, Américains», a-t-il répliqué.
Commençons par l’Amérique
«L’administration actuelle à la Maison-Blanche a adopté l’approche selon laquelle la construction israélienne dans les implantations est la mère de tous les maux. Dans les faits, c’est inexact. Pratiquement toutes les constructions, à quelques exceptions à portée symbolique près, prennent place entre des blocs d’implantations appelés à demeurer sous souveraineté israélienne dans le cadre d’échanges de territoires.» [1])
Mais les conseillers et les experts qui fréquentent ces jours derniers les couloirs de la Maison-Blanche sont obnubilés par l’idée que les colonies sont le seul obstacle à un accord. Ils refusent de regarder la réalité en face, et évitent par tous les moyens de traiter des autres questions conflictuelles, comme Jérusalem [2] les réfugiés, la normalisation [3] et les initiatives bloquées.
«Pourquoi, demande-t-il ironiquement, se compliquer la vie, évoquer des questions en suspens et indisposer des régimes arabes amis?»
C’est en vain que la gauche israélienne attend des pressions américaines, précise-t-il. Le président Barack Obama s’est lavé les mains du conflit, en dehors de quelques réprimandes occasionnelles adressées au Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Il a décidé de passer la patate chaude au président suivant. Qui plus est, pour Washington, l’État islamique s’est ajouté ces six derniers mois à la liste des cibles prioritaires.
Et qu’en est-il des Palestiniens?
«Mahmoud Abbas n’est bon à rien», répond notre interlocuteur, hôte éminent et fréquent de l’Autorité palestinienne. «Aucun développement susceptible de l’obliger à prendre des décisions ne fait son affaire et il s’accroche à toute raison, réelle ou fictive, d’éviter de négocier avec vous. Il se contredit souvent entre ses discours et ses apparitions en public.»
«Abbas, dit notre interlocuteur en conclusion du chapitre palestinien, est le grand perdant de l’opération “Bordure protectrice”, et aussi longtemps qu’il sera le président en titre de la Palestine, aucun progrès ne se fera.» – «Et après lui?» – « Après lui le déluge.»
Quant à Nétanyahou…
«Votre Premier ministre, dit l’Américain, est préoccupé par deux questions : L’Iran et la coalition, ou la coalition et l’Iran. L’habillage n’y change rien. Seul l’ordre change, en fonction de l’état d’esprit domestique et international.
«Ces derniers temps, continue-t-il, la coalition [gouvernementale] a été sa première priorité. Mais si les pourparlers sur le nucléaire en Iran avortent (éventualité très plausible aux yeux de notre interlocuteur) la question du nucléaire reviendra immédiatement en haut de l’échelle. Quoi qu’il en soit, nos menaces militaires envers l’Iran ont grandement perdu en crédibilité. Elles sont de moins en moins prises en compte par les grandes puissances.»
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En exemple de la priorité accordée aux problèmes de coalition, l’Américain mentionne – là encore – la construction dans les Territoires. «En pratique, fait-il observer, Bibi ne construit que là où il le peut, mais il n’est pas prêt à le reconnaître. Il ne se risquera pas à mettre sa coalition en danger en admettant ouvertement un gel effectif de la construction hors des grands blocs d’implantations; c’est pourquoi il donne délibérément l’impression d’un boom tous azimuts de la construction.»
Sur sa liste de priorités, le sort de son gouvernement surclasse les relations d’Israël avec Washington et Ramallah. Tout comme Abbas, Nétanyahou aime bien l’impasse, convaincu qu’il est que toute initiative pour en sortir fera grossir les risques – «y compris, ajoute l’homme avec une pointe d’amertume, ceux encourus par leur propre statut».
Pour qui le temps travaille-t-il?
«Alors, qu’est-ce qui va se passer, selon vous?» lui avons-nous demandé en prenant congé.
«Tant l’Autorité palestinienne qu’Israël croient que le temps joue en leur faveur, réplique-t-il; ils n’intègrent pas toute la portée de l’option bi-nationale. L’intensité de l’hostilité entre les deux peuples a atteint un nouveau palier, et le fossé entre eux et vous s’est creusé plus profondément que pendant toutes les années où j’ai œuvré pour la paix.»
«Mais je ne voudrais pas vous saper le moral», s’excuse-t-il aussitôt.