Daily Star, 25 août 2008

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Article publié par le quotidien libanais en collaboration avec Common Grounds

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Il y a un mois, quand une bombe a explosé dans le quartier de Shajaiyyah à Gaza, tuant cinq militants du Hamas et une petite fille de 5 ans, le Hamas a accusé le Fatah et a agi violemment contre ce qui restait du mouvement à Gaza. Les forces du Fatah ont alors agi en représailles contre le Hamas en Cisjordanie. Résultat : encore un round de violences entre Palestiniens. Le clan Hilles, pro-Fatah, a cherché refuge en Israël en espérant parvenir en Cisjordanie.

Mais ceux qui pensent que cette guerre civile rampante et l’effondrement actuel des services centraux palestiniens de gouvernement servent les intérêts d’Israël feraient mieux d’y réfléchir à deux fois.

Ceux que réjouissent les images télévisées des violences inter-palestiniennes, ou le « coup de pub » de l’ONG palestinienne Human Rights Watch condamnant à la fois le gouvernement du Hamas à Gaza et celui de l’Autorité palestinienne (AP) dirigée par le Fatah en Cisjordanie, se trompent lourdement. Car ces événements n’exonèrent en aucune façon Israël de ses propres violations des droits de l’homme et du droit international dans les territoires occupés, et ils n’améliorent pas non plus son environnement stratégique.

Il y a une cinquantaine de jours, un cessez-le-feu prenait effet à Gaza entre Israël et le Hamas. D’après les termes de cet accord, conclu avec la médiation de l’Egypte, Israël comme le Hamas devaient cesser les attaques contre le territoire de l’autre partie, le Hamas devait empêcher les autres factions palestiniennes de tirer des roquettes sur Sderot et ses environs, et Israël devait alléger progressivement le siège qui dévastait l’économie et la vie quotidienne des Gazaouis.

Ce cessez-le-feu est fragile, mais il tient, en gros. La situation des deux côtés, si elle est loin d’être normale, est incomparablement meilleure. Lorsque, le 23 juillet, le candidat démocrate Barack Obama s’est rendu à Sderot et y a tenu une conférence de presse en plein air devant la presse internationale, il était flanqué d’un étalage impressionnant de débris de roquettes. Ce qu’on n’a pas relevé, c’est que sans le cessez-le-feu, pareille conférence de presse aurait été inimaginable.

L’un des effets pervers de ces violences entre Fatah et Hamas est qu’elles mettent en danger ce cessez-le-feu. Toute faction palestinienne désireuse de détourner l’attention de ses méfaits et de séduire son opinion publique est susceptible, tôt ou tard, de s’en prendre à Israël. Une reprise des violences n’aurait pas pour seul résultat de ramener les habitants de Sderot dans leurs abris, elle saperait aussi toute perspective d’un échange de prisonniers pour libérer Gilad Shalit.

Il est clair que les événements de ces dernières semaines ont approfondi les divisions entre Palestiniens. Encore une fois, quiconque serait tenté d’en conclure que c’est bon pour Israël (diviser pour régner, affaiblir l’ennemi) aurait tort. Ou plutôt, je devrais apporter une nuance : il aurait tort s’il considère une solution à deux Etats et des frontières sûres, reconnues et permanentes entre Israël et ses voisins comme étant de l’intérêt vital d’Israël.

Pour les partisans d’un Etat binational ou pour qui souhaite la prolongation d’un régime de ségrégation et de discrimination dans les territoires occupés, il y aurait vraiment là matière à faire la fête. Car une solution à deux Etats, en tout cas en l’état actuel des négociations, exige un mouvement national palestinien qui soit suffisamment unifié et légitime aux yeux de son opinion publique pour pouvoir accepter et appliquer un éventuel accord. La division géographique et politique entre Palestiniens rend les choses plus difficiles et non plus faciles.

Quand Israël offre un refuge à des combattants du Fatah, comme il l’a fait récemment avec le clan Hilles, quand il parle des dirigeants de l’AP comme de partenaires, cela ne donne pas beaucoup de crédit à ces Palestiniens aux yeux de leur peuple. Une direction palestinienne perçue par sa population comme un sous-traitant de la sécurité d’Israël n’est pas vraiment en position de parvenir à un accord impliquant de nombreux compromis historiques. La dernière chose dont Israël a besoin, c’est d’une autre Armée du Sud Liban [Terme équivalent à « supplétif ». Voir Wikipedia (article pour une fois bien fait) : [ ]]. Malgré les paroles chaleureuses déversées sur le premier ministre Salam Fayyad et sur ses efforts en termes de sécurité accomplis à Jénine, Naplouse et ailleurs, la triste réalité est que la politique d’Israël sape constamment sa légitimité.

Mais peut-être le plus inquiétant de tout est qu’alors que les Palestiniens perdent espoir dans le processus de paix et observent désespérément les deux leaderships, du Fatah et du Hamas, il y a danger d’émergence d’alternatives extrémistes du genre d’al-Qaïda. Il se peut même que ce phénomène soit en train de se produire en ce moment, alors que le paysage politique palestinien éclate en structures de clan et qu’apparaissent des groupes comme l’Armée de l’Islam. Le Hamas n’est pas al-Qaïda, mais son alternative pourrait l’être.

La plupart des médiateurs arabes possibles sont réticents à l’idée de dilapider leur capital politique dans des tentatives de réconciliation entre Palestiniens. L’Arabie saoudite a essayé l’année dernière par l’accord de La Mecque entre le Fatah et le Hamas. Depuis, l’accord s’est désintégré et les Saoudiens se sont retirés du paysage. L’Egypte, et aujourd’hui la Jordanie, maintiennent des contacts à la fois avec le Hamas et l’AP, mais aucune ne se précipite pour remplir le vide, car leurs préoccupations sont avant tout d’ordre intérieur.

Israël n’a pas peu contribué à vider le mouvement national palestinien de sa substance, en ne mettant pas fin à l’occupation, en assassinant des dirigeants, en adoptant l’unilatéralisme, etc. Mais au bout du compte, il s’agit d’une affaire palestinienne, et la responsabilité de la fin des violences et de la poursuite du dialogue intra-palestinien repose sur les Palestiniens eux-mêmes. Mais entre-temps, il y a trois choses que doit faire Israël, dans son propre intérêt :

En premier lieu, ne plus se mêler de politique intérieure palestinienne. Ne pas empêcher le dialogue. Israël a un intérêt évident à voir les pragmatiques l’emporter, mais la réalité est qu’Israéliens et Palestiniens sont en conflit. Pour un dirigeant palestinien, être un « favori » d’Israël n’est pas vraiment un cadeau, surtout quand ce favoritisme se traduit par des déclarations malhabiles et par de l’indifférence face aux besoins réels des Palestiniens, comme la levée de barrages ou le gel de la colonisation.

Ensuite, Israël doit mettre en œuvre des accords pratiques là où c’est possible, avec quiconque peut respecter ses engagements, et avec quiconque est prêt à conclure un accord, même de façon indirecte. Cela veut dire maintenir et consolider le cessez-le-feu à Gaza et l’étendre à la Cisjordanie, et conclure l’accord avec le Hamas avec la libération de Gilad Shalit par le Hamas. Cela veut dire aussi travailler avec le gouvernement de l’AP en Cisjordanie à améliorer les conditions de vie de manière réelle et importante.

Enfin, et c’est crucial, Israël doit s’assurer de ne pas sombrer dans le chaos et de maintenir sa démocratie et son gouvernement centralisé. Israël a son propre far-west en Cisjordanie Un clip vidéo, visible par tous sur YouTube, ouvre une fenêtre choquante sur la violence incontrôlée de colons contre des civils et des biens palestiniens, et des tirs à bout portant de militaires sur des manifestants et des badauds sans armes. Les décisions de la Haute cour sont ignorées, la barrière de séparation s’enfonce plus profondément en Cisjordanie, et les colonies, sauvages ou pas, s’étendent sans répit.

Traiter cette érosion chronique de l’Etat de droit dans la société israélienne est depuis longtemps nécessaire, et c’est un défi qu’Israël peut relever unilatéralement.