Le Monde, 10 mars 2008
[sur le site du Monde ->http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/03/10/israel-au-salon-du-livre-l
e-non-sens-d-un-boycottage-par-david-chemla_1021129_3232.html]
Dans ces colonnes (Le Monde du 28 février), Tariq Ramadan prétend ne
pas nier l’existence de l’Etat d’Israël et ne pas appeler à sa
destruction. Certes, ce n’est pas la présence d’un stand israélien au
Salon du Bourget, où chaque année se pressent acheteurs d’armes de
tous pays, y compris arabes, qu’il condamne, mais la présence d’Israël, en tant qu’invité d’honneur cette année, celle de ses
soixante ans d’existence, au Salon du livre de Paris. Il est vrai que
le livre est une arme bien plus redoutable pour garantir la sécurité
d’un pays que ses avions et ses tanks.
Effectivement, M. Ramadan n’écrit nulle part qu’il condamne
l’existence d’Israël. Il se contente de « rappeler les soixante années
de colonisation » qui accompagnent son histoire. Si c’est, selon lui,
depuis soixante ans et non pas quarante qu’Israël occupe un
territoire et colonise un peuple, n’est-ce pas là une remise en
question fondamentale de son droit à l’existence ? Sur quel
territoire lui reconnaît-il aujourd’hui le droit à exister ?
LES MEILLEURS AVOCATS
En joignant sa voix à la voix de ceux qui, à Turin, appellent au
boycottage d’Israël, ou qui, à Paris, en critiquent la présence au
Salon, c’est bien à la culture de ce pays que s’attaque M. Ramadan,
contrairement à ce qu’il prétend. Que véhicule en effet un livre,
sinon une langue et une identité ?
Une langue, d’abord, celle dans laquelle doivent écrire, conformément
aux critères de sélection retenus par le Centre national du livre,
les écrivains invités à représenter Israël. Contrairement d’ailleurs
à ce que prétendent M. Ramadan et ceux qu’il soutient, n’en sont pas
exclus des écrivains arabes israéliens, comme l’atteste la présence
de Sayed Kashua et de Naim Araidi au sein de cette délégation. Une
identité multiple, enfin, à l’image de ce pays, et qui ne se définit
en aucun cas comme la négation de l’autre, celle du Palestinien, ce
dont témoignent la majorité des écrits des auteurs invités.
Et là se situe sans doute le paradoxe étonnant de la position
défendue par M. Ramadan : la plupart de ces écrivains se trouvent
être les meilleurs avocats de la cause palestinienne au sein de la
société israélienne. Beaucoup d’entre eux sont les porte-parole de
ceux qui, depuis des années, se battent pour la fin de l’occupation
et la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël, certains
appelant à négocier avec le Hamas pour mettre fin à la tragédie qui
ensanglante actuellement les rues de Gaza et de Sdérot.
Mais, comme me l’ont souvent dit mes amis palestiniens, il arrive
fréquemment que certains défenseurs de la cause palestinienne à
l’étranger soient plus maximalistes que ne le sont les Palestiniens
eux-mêmes. M. Ramadan ne nie donc pas à Israël le droit à
l’existence, il se limite à lui contester le droit à un territoire,
le droit à une langue et à une identité !