Ha’aretz, 12 février 2010
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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Etat de choc : syndrome grave. Parmi ses manifestations et symptômes :
modifications mentales comprenant une sensation de grande angoisse, de
mauvais pressentiments, de confusion et, parfois, d’agressivité.
Cet article traite de la peur du noir. Du monstrueux. En l’espèce, de la
terreur de finir par découvrir de quoi nous sommes réellement faits.
Cet article traite de jusqu’où nous sommes prêts à aller pour protéger ce
dont nous avons désespérément besoin de croire sur nous-mêmes. Car
de combien de temps aurons-nous besoin que d’autres nous accusent, nous
vilipendent, nous attaquent, fassent de nous des boucs émissaires et nous
diffament, avant que nous ne nous regardions vraiment et honnêtement dans le
miroir ?
Cet article traite de la guerre que nous avons faite à Gaza, et de ce
qu’elle a fait à Israël. Du fait que la façon dont Israël a mené cette
guerre a fait bien plus de mal à l’Etat juif que toutes les roquettes, tous
les mortiers palestiniens réunis.
Cela fait un an et plus qu’une trêve a été conclue à Gaza et, en grande
partie à cause d’une politique délibérée par Israël d’obstruction à l’égard
des enquêteurs des Nations unies, le monde est toujours en guerre avec
Israël.
Ce n’est qu’aujourd’hui que le résultat commence à se faire sentir. De mille
façons, tous les jours renouvelées, nous avons rapporté la guerre chez nous.
Le plan de bataille d’Israël qui, de fait, cherchait à matraquer le Hamas et
mettre la totalité de la bande de Gaza en état de choc, a eu l’effet induit,
intentionnel ou non, de produire un état de choc en Israël même.
Cela fait un an que nous en ressentons les symptômes. Dans l’état de choc,
le premier signe à apparaître est souvent la confusion. Un curieux sentiment
de faiblesse peut se faire sentir. Une agitation incompréhensible. Un
sentiment de froid, de confusion mentale. D’apathie, d’inaction. La vision
peut être brouillée.
Nous pensons : non, ce n’est pas la guerre. La guerre est finie. La guerre
était là-bas, à un endroit que nous ne pouvons voir, que nous ne saurions
voir. Un endroit, pour tout dire, que nous ne voulons pas voir.
L’endroit qui nous fait préférer la crainte de la vérité à la vérité
elle-même.
Dans certains cas, l’état de choc s’exprime par l’agressivité. On s’en prend
même, alors, à ceux qui offrent leur aide.
Dans notre état de choc, nous n’avons pas su voir que Richard Goldstone
tentait de nous sauver. Et que le rapport Goldstone est exactement ce dont
Israël a besoin. Nous l’avons combattu de toutes les manières possible,
persuadés que nous étions (comme à Gaza) que la catastrophe qui se déroulait
sous nos yeux était le meilleur des scénarios possibles.
Si Israël avait collaboré avec les enquêteurs, il aurait pu commencer à
apprendre comment empêcher une autre guerre comme celle-ci, et comment à
faire la guerre de manière totalement différente.
Ce n’est seulement que maintenant, alors que l’état de choc s’estompe
lentement, que l’establishment militaire israélien et les divers conseillers
juridiques commencent à reconnaître publiquement que le fait de combattre le
rapport Goldstone a été une bourde monumentale.
Nous avons combattu Goldstone de toutes nos forces. Comme si notre identité
même en dépendant. Davantage que le Hamas, le Hezbollah, Al Qaida,
Ahmadinejad. Le juge Richard Goldstone est devenu l’ennemi par excellence.
Par un retournement ironique de l’Histoire, comparable à quelque chose qui a
à voir avec la haine de soi, la droite a commencé à prendre l’habitude de
mal prononcer son nom, intentionnellement, avec sarcasme, en « Goldstein ».
Même les gens dont le métier est d’être mieux informés que les autres, ceux
qui se considèrent comme éclairés, modérés, perdirent l’esprit en nommant
Goldstone des pires noms.
Le plus instructif dans cette affaire est le fait que, de tous les adjectifs
qu’Alan Dershowitz jeta au visage de Goldstone lors d’une interview à la
radio de l’armée israélienne, il choisit celui considéré comme le pire de
tous, (si grave qu’il se rétracta plus tard), le mot « moser », utilisé pour
condamner quelqu’un qui trahit les siens, en INFORMANT. Oui, en divulguant
au monde extérieur des informations dont il disposait en privilégié qu’il
était.
Il y a une raison qui explique pourquoi nous avons reculé avec horreur quand
Goldstone a touché un nerf. Un nerf que nous avions tout fait pour éviter.
Ceux qui ont critiqué le rapport Goldstone ont noté que sa méthodologie
était profondément biaisée et qu’il ne reconnaissait ni n’évaluait le
conflit vu du côté israélien. Dernièrement, la droite est allée plus loin en
accusant le New Israel Fund et sa présidente Naomi Hazan, ainsi que ses ONG
alliées, d’avoir été des sources d’information pour le rapport Goldstone.
Mais ces attaques ont épargné la seule ONG qui, plus que d’autres, a été
responsable du flux d’informations aux auteurs du rapport Goldstone et de la
teneur du rapport final : le gouvernement d’Israël.
Ce fut Israël qui priva la commission d’accéder à Sderot e aux victimes
israéliennes des roquettes palestiniennes. Ce fut Israël qui empêcha la
commission de recueillir des témoignages, y compris des réfutations, de la
part du gouvernement et des militaires. Ce fut Israël qui (avant même le
début des travaux de la commission), en refusant toute coopération avec la
commission, garantit un résultat déséquilibré.
Ce même gouvernement israélien fournit, par le fracas des déclarations
publiques du vice-premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, et
de hauts gradés de l’armée, les preuves les plus incriminantes d’une
stratégie qui apporta la désolation sur la bande de Gaza tout entière,
civils comme groupes armés.
Ce fut le gouvernement israélien – prêtant ainsi le flanc à ceux qui
pensaient qu’il avait beaucoup à cacher – qui résista jusqu’au dernier
moment au résultat le plus crucial mais aussi le plus équitable du rapport
Goldstone : la recommandation qu’Israël, comme le Hamas, enquêtent de façon
indépendante sur les allégations de violations de droits de l’homme.
Et ce fut ce gouvernement qui, tout en continuant le blocus de Gaza, en
refusant aux Gazaouis l’accès au béton et à d’autres matériaux nécessaires à
la reconstruction des maisons détruites par le feu israélien pendant
l’opération Plomb Durci, ajouta encore plus de foi aux soupçons du rapport
Goldstone : la politique israélienne a été et continue d’être une politique
de punition collective d’une population civile.
Malgré le nombre cauchemardesque de civils tués à Gaza, la droite a défendu
encore et encore l’argument selon lequel le problème de la guerre a été
qu’elle n’a pas été menée de façon assez agressive. Aujourd’hui, chez nous,
cet argument est entendu. Finalement, la guerre est pressée comme un citron,
les militants de la paix et des droits de l’homme étant les cibles
principales.
La doctrine Dahiya (tuer toujours plus, exercer constamment une force
inimaginable) est appliquée aujourd’hui contre les éléments de la société
israélienne qui défendent le plus la démocratie et les droits élémentaires.
Enfin, la guerre est menée chez nous comme la droite le souhaite. Sans
frein. Chaque jour, une nouvelle chasse à la démocratie.
Oui, le rapport Goldstone est profondément biaisé. Mais il est ce dont
Israël a besoin. Un rapport profondément biaisé pour un pays profondément
biaisé. Un pays qui ne se soignera pas, ne se réparera pas, et ne peut le
faire, à moins de faire face avec honnêteté et courage aux questions posées
par le rapport.
Tant qu’Israël se dérobera et gardera enterrée toute la vérité sur Plomb
Durci, il ne sortira pas de son état de choc. Israël sera plus vulnérable
que jamais face à la destruction de l’intérieur. Et Gaza, gouvernée par un
Hamas qui souhaite l’extermination d’Israël, et qui n’a fait que s’enrichir,
être mieux armé et plus populaire avec l’embargo israélien, continuera de
soumettre la totalité d’Israël à un état de siège déshumanisant, desséchant,
et finalement destructeur.