Israël a répliqué aux dernières attaques de l’Iran. Mais les extrêmes des deux côtés rêvent d’une nouvelle escalade. Stop ou encore ?


Auteur : Marc Lefevre, 29/10/2024, grands-reporters.com

Avec l’aimable autorisation de la revue Grands reporters que nous remercions.

https://www.grands-reporters.com/iran-israel-quitte-ou-double/  

Mis en ligne le 4 novembre 2024


Ces dernières semaines, Israël avait pris l’initiative de placer ses alliés américains devant le fait accompli lorsqu’il s’agissait d’éradiquer les directions militaires et politiques du Hezbollah au Liban ou d’éliminer le chef du Hamas à Gaza. Dans le contexte d’une élection présidentielle incertaine aux États-Unis, les Américains ont cette fois clairement rappelé à leur allié les limites acceptables d’une riposte.

Les objectifs visés lors de la contre-attaque du 25 octobre ont donc été choisis en pleine concertation avec les Américains. Les pressions américaines pour permettre l’aide humanitaire à Gaza et les incertitudes sur les approvisionnements en armement ont également joué un rôle. En contrepartie d’un renforcement de sa défense aérienne par du matériel et du personnel américains, Israël a accepté de limiter, à ce stade, sa riposte à des objectifs strictement militaires.

Objectif atteint

Pour Israël, les résultats de cette contre-attaque sont significatifs et largement atteints. Vingt sites de défense antiaérienne et de production de missiles balistiques ont été détruits ou suffisamment endommagés pour les rendre inutilisables durant plusieurs années. Une réussite militaire et un succès opérationnel, car tous les avions et pilotes sont revenus intacts. En 2012, lors des préparations d’une attaque aérienne contre les sites nucléaires iraniens, les hypothèses incluaient la destruction de plusieurs appareils et la perte ou capture de pilotes.

Les quatre principaux systèmes antiaériens russes S-300 de dernière génération et leurs centres de commandement, qui couvraient tout le pays, ont en effet été rendus inopérants. Il ne reste plus que quelques systèmes plus anciens et de plus petite envergure, qui ne couvrent que des zones limitées du territoire iranien.

L’Iran sans protection aérienne

Ainsi, l’Iran se retrouve quasiment sans protection aérienne et à la merci de potentielles attaques aériennes de grande ampleur. Quant aux missiles balistiques, l’Iran peut encore compter sur son stock existant. Selon les estimations les plus fiables, celui-ci lui permet de mener encore cinq à six frappes de missiles balistiques d’ampleur comparable aux deux précédentes. Cependant, les installations de mélange de combustibles solides nécessaires à la propulsion de nouveaux missiles ont été détruites. Il faudra donc deux à trois ans à l’Iran pour rétablir ses capacités de production. L’Iran n’aurait donc plus rien à envoyer sur Israël dans un avenir proche, et toute importation de missiles nord-coréens serait facilement détectée.

La vulnérabilité des mollahs

Avant le 7 octobre, l’Iran menait sa guerre contre Israël en dehors de ses frontières et par l’intermédiaire de ses proxys au Yémen, au Liban et à Gaza. Aujourd’hui, et à cause des instigateurs des massacres du 7 octobre, la guerre dirigée par l’Iran s’est déplacée vers son territoire. Ce qui s’est passé la semaine dernière illustre de manière embarrassante pour les mollahs leur vulnérabilité et l’écart significatif entre leurs déclarations emphatiques et leurs réelles capacités militaires opérationnelles.

Face aux réalités révélées par cette attaque israélienne, la question se pose désormais de la réaction iranienne et des options envisageables pour Israël. Les annonces initiales israéliennes étaient volontairement mesurées, pour éviter d’inciter les mollahs à l’escalade. D’ailleurs, les premières réactions du Guide suprême Ali Khamenei, qui appelait à ne pas « exagérer ni surestimer » les résultats de cette attaque, allaient dans ce sens. Mais au bout de 24 heures, le ton des déclarations, influencées par la frange dure des Gardiens de la Révolution, laissait entendre qu’une nouvelle réaction de l’Iran serait inévitable, ne serait-ce que pour maintenir sa crédibilité et son contrôle sur ses alliés.
Les durs israéliens espèrent… une nouvelle riposte des durs iraniens

Une réaction massive de l’Iran est ce qu’attend avec espoir la frange la plus belliciste du gouvernement israélien. Elle y voit une opportunité unique, en exploitant une fenêtre de temps perçue comme favorable, pour détruire militairement le programme nucléaire iranien et, peut-être, provoquer la chute du régime des mollahs.

Face à ces ambitions politiques, une grande partie des militaires et des services de renseignement et de sécurité prône une approche plus réaliste et pragmatique : c’est celle que le ministre de la Défense Yoav Galant défend auprès de l’opinion publique israélienne, dans un contexte de tension croissante avec le reste du gouvernement. En effet, Benjamin Netanyahou est sous la pression des partis religieux pour formaliser les aides fournies aux jeunes qui échappent à la conscription en s’abritant dans les écoles religieuses, tandis que le manque de recrues oblige l’armée à mobiliser toujours plus de réservistes.

Le gouvernement Netanyahou fait la guerre sans boussole

Depuis quelques jours, l’intensification de la résistance du Hezbollah au sud du Liban a entraîné la mort de nombreux soldats réservistes, dont certains avaient déjà été mobilisés plusieurs fois depuis le 7 octobre. Ces pertes sont durement ressenties par la population, et le ministre de la Défense exprime cette douleur en s’opposant aux compromis imposés par les partis religieux orthodoxes. Alors que des combats sont engagés sur tous les fronts, la menace de destitution de Galant de son poste de ministre de la Défense redevient d’actualité.

C’est précisément le moment que Yoav Galant a choisi pour interpeller le gouvernement et lui demander de définir des options stratégiques claires et des solutions politiques à un conflit qui devient interminable. Sa proposition est de profiter de la faiblesse temporaire de l’Iran pour contraindre le Hezbollah et l’ensemble des factions libanaises à enfin appliquer la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, en particulier le retrait du Hezbollah au-delà du fleuve Litani dans les zones frontalières nord, afin de permettre le retour des dizaines de milliers d’Israéliens de la zone frontalière nord dans leurs foyers.

Une escalade incontrôlable pourrait se retourner contre Israël

Quant au sauvetage des otages encore détenus à Gaza, il reste une question douloureuse pour la société israélienne. La rupture du pacte de solidarité collective sur lequel repose l’État d’Israël — ne jamais abandonner des Israéliens prisonniers — est une trahison qui ne sera jamais oubliée ni pardonnée par ceux qui voient la survie politique de certains dirigeants primer sur la vie des otages. Malgré les affirmations que seul un affaiblissement du Hamas permettrait leur libération, force est de constater que ce qui reste du Hamas reste intransigeant et continue de contrôler Gaza.

Yoav Galant, comme d’autres responsables de sécurité, se pose alors la question que le gouvernement israélien semble incapable de poser : celle de la mise en place d’un pouvoir alternatif impliquant l’Autorité palestinienne, avec le soutien de l’Arabie saoudite, permettant l’arrêt des opérations militaires et la libération des otages encore vivants. Ce faisant, il souligne la nécessité d’un nouveau gouvernement capable de tirer parti des récents succès militaires tout en évitant une escalade incontrôlable qui pourrait finalement se retourner contre Israël.