Nous reprenons ici l’interview de Marc Lefèvre, porte-parole de La Paix Maintenant, dans le Cri du Peuple – dont le beau titre, emprunté à Jules Vallès, indique la sensibilité ; nous remercions l’auteur de ce blog d’avoir accordé cet espace d’expression à Marc et, à travers lui, à La Paix Maintenant.
Un entretien que l’auteur du blog présente ainsi:
«Marc Lefèvre se définit comme sioniste de gauche. Il a été parmi les fondateurs, et porte-parole pendant plusieurs années, de La Paix maintenant, organisation de soutien en France du mouvement Shalom Akhshav en Israël. Je l’avais rencontré en 2013. Nous nous sommes revus pour faire le point après quinze jours d’intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza. Alors que les manifestations du week-end contre l’opération “[Bordure] protectrice” ont dégénéré à Barbès et Sarcelles, je le retrouve particulièrement remonté.»
• Alors qu’une nouvelle manifestation contre l’intervention militaire à Gaza a lieu ce soir (mercredi 23 juillet), tu as eu des propos assez durs sur les précédentes, notamment celles de ce week-end. Pourquoi ?
D’abord, la manifestation de ce 23 juillet n’a rien à voir avec les précédentes, celles du 13 et du 19. Pour une raison simple : elles ne sont pas organisées par les mêmes associations. Le rassemblement de ce soir est initié par les groupes démocratiques qui soutiennent les Palestiniens: l’Association France-Palestine solidarité, la CGT, le PCF… Des gens avec qui j’ai l’occasion de débattre fréquemment. Les manifestations précédentes étaient appelées par des réseaux islamistes, avec le concours des Indigènes de la République et d’un Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en perte de repères. Les manifestations du 13 et du 19 juillet ont dégénéré parce qu’elles étaient à l’initiative de cette galaxie-là.
• Je pense, plutôt, que les incidents sont consécutifs à l’interdiction décidée par le gouvernement…
Reprenons le fil des événements. Le 13 juillet, je suis de retour en France après avoir participé à un rassemblement pour la paix organisée en Israël par le quotidien Ha’Aretz. Je passe place de la République où je vois la haine à l’état pur, où j’entends des slogans favorables au Hamas. Plus tard, un groupe d’excités cherche une synagogue à casser. Pour la première fois, parce que je suis juif, je me retrouve à raser les murs. Alors que j’ai passé ma vie à lutter contre les stéréotypes véhiculés par les sionistes de droite sur « la France antisémite », je me retrouve confronté à cette réalité. Le tout, alors que je reviens d’un pays en guerre où l’assassinat d’un adolescent palestinien par des extrémistes israéliens a profondément ébranlé la société et la classe politique israéliennes.
Manifestation contre le racisme et les représailles à Jérusalem
Ici, en France, nous voyons sous nos yeux la violence d’un islamisme politique radical, qui est un danger pour la démocratie. Et, parce qu’il y a eu ces incidents le 13 juillet, il était normal que la manifestation du 19, appelée par les mêmes groupes anti-démocratiques proches du Hamas, soit interdite.
• Pourtant, nombre de partis de gauche ont condamné cette interdiction…
C’est ce que je reproche à la gauche de la gauche. Elle se cache derrière son petit doigt et rejette la responsabilité des violences sur la seule Ligue de Défense juive. Quand tu organises une manifestation, tu es responsable de son déroulement. Il faut aussi admettre que, dans le “camp palestinien”, il y a des tendances et des divergences très fortes. Le Hamas est l’ennemi de la paix, il faut l’affaiblir militairement et le combattre politiquement pour qu’un jour une paix équitable soit établie. Or, une partie de la gauche en France, soit par culpabilisation post coloniale soit par une lecture sociale compatissante, ferme les yeux. Il y a, parmi les immigrés et les descendants d’immigrés, une tendance radicale, islamiste, qui combat la République, ses valeurs, ses principes, ses fondements et qui ne s’inscrit pas dans le débat démocratique. Il faut le reconnaitre et la combattre. Cette clarification politique est impérieuse. Il est fallacieux de vouloir chercher des excuses du types “victimes du système” pour expliquer, excuser ou justifier que certains soient sensibles aux mots d’ordre des réseaux islamistes et des organisations qui en sont plus ou moins complices. C’est faire injure à leur l’intelligence.
• Qu’entends-tu par «clarification politique»?
La lecture “sociologique” amène à l’irresponsabilité politique. Je n’excuserai JAMAIS, pour quelque motif que ce soit, un prolétaire allemand qui a voté Hitler. Je ne vois pas pourquoi je serai plus indulgent pour un gamin des banlieues qui s’enrôle dans le Djihad ou qui vient semer la haine dans les rues de Paris et que je ne vois pas défiler contre les massacres en Syrie, en Irak, en Libye et ailleurs, du fait de son indignation sélective tournée uniquement contre Israël et par extension contre tous les Juifs ou qu’ils soient, y compris son commerçant de quartier. Il y a aussi une confusion, parce que l’analyse politique n’est pas menée jusqu’au bout, qui met toutes les organisations qui soutiennent le peuple palestinien sur un pied d’égalité. Moi je fais la différence entre les associations de soutien au peuple palestinien qui défendent une solution de paix basée sur la création d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël, selon des termes et conditions à débattre, et les organisations qui s’alignent avec ceux qui nient le droit à l’existence d’un État d’Israël ayant la vocation d’accueillir tous les Juifs qui veulent y vivre pour bâtir leur avenir et continuer leur Histoire.
• Tu as évoqué ce rassemblement pour la paix organisée par le journal Ha’Aretz. Peux-tu nous en dire plus?
Il a eu lieu le 8 juillet et les organisateurs ont été débordés, tellement il y avait de monde. Cette conférence pour la paix a eu un énorme retentissement en Israël, mais pas uniquement. Elle a reçu le soutien de la diaspora et a constitué une vraie démonstration de force face au refus du gouvernement de négocier avec les Palestiniens. Comme nous avons nos traditions politiques, en Israël, Benyamin Netanyahu était invité, il n’est pas venu ; mais aussi le président de l’État, qui a participé ; des ministres, y compris d’extrême-droite ; des représentants des colons de Judée-Samarie… L’idée était de rassembler tous les acteurs pour voir pourquoi nous n’arrivons pas à la paix, comment sortir du cercle infernal… Des économistes ont été invités pour montrer que la situation économique du pays s’améliorerait si nous arrivions à la paix durable. J’ai été très impressionné par la dynamique des débats, libres, passionnés, intenses, mus par la volonté d’aboutir. Bref, j’ai retrouvé là la société israélienne telle que je la connais : crispée, profondément divisée entre communautés qui ne se parlent pas, qui se rigidifie et s’extrêmise par bien des aspects; mais aussi extrêmement dynamique et animée par une profonde vitalité.
• Pour revenir à la situation palestinienne, est-ce que l’intervention militaire en cours ne fait pas le jeu du Hamas, qui était profondément isolé depuis, notamment, la chute des Frères musulmans en Égypte?
Je disais que les Palestiniens sont divisés. Même le Hamas est traversé par des tendances. Lorsque j’étais en Israël, au début du mois, j’ai vécu l’accroissement du nombre de roquettes tirées sur les villes. Clairement, la branche militaire a voulu sortir de cet isolement en déclenchant une offensive qui leur permettrait de revenir sur le devant de la scène et de mobiliser les opinions publiques en sa faveur. Pour être honnête, le gouvernement de Netanyahu a tout fait pour retarder l’intervention militaire, rejetant les pressions de l’extrême-droite menée par Avigdor Liebermann. C’est une grosse différence par rapport aux précédentes interventions militaires. Qu’on ne se méprenne pas: je n’ai jamais voté Netanyahu ni ne l’ai soutenu. Mais, alors que c’est celui qui a occupé le plus longtemps le poste de Premier ministre durant les 15 ans écoulés, c’est la première fois qu’il lance une offensive terrestre sur Gaza.
• Que penses-tu des propos de Ze’ev Sternhell qui le caractérise comme un faible?
Si l’on considère l’opération militaire en cours, c’est clair. Netanyahu s’y est résolu quand il a vu que la rue israélienne la demandait. A contrario. Mahmoud Abbas apparaît comme un homme fort, courageux, car il est capable de prendre des décisions contre sa propre opinion publique.
Mon analyse m’amène à penser que le gouvernement d’unité nationale entre le Fatah et le Hamas était une victoire pour l’autorité palestinienne et pour Mahmoud Abbas.
Le gouvernement israélien a vu cet accord comme une menace. Mais le camp de la paix l’a vu comme une opportunité parce que le Hamas rejoignait, dans les actes même si ce n’était pas dans les textes, la ligne politique pragmatique du Fatah.