TEL-AVIV – Si le conflit israelo-palestinien vous desespere, et si vous
pensez qu’il n’y a aucune issue, passez une heure avec Ami Ayalon.
Petit, musculeux et le cheveu ras, Mr Ayalon a un CV de chef de guerre :
ancien des commandos, ancien commandant en chef de la marine israelienne, et
directeur des services de renseignements interieurs jusque mai dernier. Ses
etats de faits comprennent la plus haute decoration militaire pour actes de
bravoure.
Aujourd’hui, il est une sorte de Ross Perot israelien, un homme intense,
avec une approche pragmatique qui sort de sentiers battus la politique
conventionnelle. Il figure sur la (courte) liste des Israeliens qui
pourraient emerger ces prochaines annees, ou meme ces prochains mois, pour
diriger le pays.
Pour Ayalon, la solution au conflit israelo-palestinien est la, sous nos
yeux, et plus vite les deux parties l’adopteront, moins de gens mourront.
« L’accord est tres clair pour les populations. Il n’est pas evident pour les
dirigeants », dit-il.
Un Etat d’Israel et un Etat de Palestine, chacun avec sa capitale a
Jerusalem, est son point de depart. Mais l’element crucial est le suivant :
« chacun des cotes doit renoncer a ses reves ».
Pour les Israeliens, cela signifie renoncer a revendiquer « Eretz Israel » (la
« terre d’Israel »), et demanteler la plupart des colonies de Cisjordanie et
de la Bande de Gaza. Les Palestiniens doivent renoncer a l’idee d’une
Palestine s’etendant du Jourdain a la Mediterranee, et accepter que les
refugies retournent dans l’Etat palestinien, et non en Israel.
Apres 18 mois de conflit ouvert, apres plus de 12 mois de gouvernement par
un ex-general de l’ecole la plus dure, et qui semble incapable de pacifier
les Palestiniens par la force, les Israeliens manifestent de plus en plus
leur desapprobation envers le Premier Ministre Ariel Sharon. Les medias sont
remplis de supputations sur celui qui pourrait le remplacer.
« Ce pays, en ce moment, est a la recherche de nouveaux leaders… qui
attirent l’attention et la curiosite des gens », dit David Kimche, un
ex-ambassadeur israelien, qui fait partie, avec d’autres anciens
fonctionnaires du gouvernement et des officiers, d’un groupe auquel
collabore Ami Ayalon. « Il arrive avec des solutions possibles, et c’est ce
que tout le monde cherche ».
« Il y a une sorte de vide politique », ajoute Avraham Diskin, professeur de
science politique a l’Universite Hebraique de Jerusalem, par ailleurs assez
critique de la demarche d’Ayalon. « Et quelqu’un avec autant d’experience, si
honnete, si impresionnant, si charismatique – il est clair qu’il a un
potentiel certain ».
Ayalon est critique pour avoir l’air de se retourner contre l’establishment
qu’il a lui-meme servi. « Je ne trouve pas convenable d’attaquer un systeme
et les gens qui lui appartiennent et avec lesquels on a travaille il n’y a
que six mois », observe Mr Diskin. D’autres doutent de sa viabilite politique
et de sa capacite a vendre ses idees, meme en impulsant une campagne.
Dans un entretien, Ayalon n’aime pas les attaques personnelles. Il ne se
refere jamais directement au Premier Ministre actuel. Mais il reserve ses
critiques aux politiques de securite du gouvernement. « Le nombre parle pour
lui-meme », dit-il, faisant allusion aux 400 Israeliens morts dans le conflit
israelo-palestinien depuis 18 mois. Cette politique, ajoute-t-il, « est un
immense echec. C’est un desastre ».
Il s’attaque a deux piliers de la strategie d’Ariel Sharon : insister pour
que la violence cesse avant qu’Israel accepte de discuter d’un accord final
avec les Palestiniens, et tenir le President de l’Autorite Palestinienne
Yasser Arafat – le partenaire d’Israel d’hier pour de telles discussions –
pour responsable de tous les attentats contre les Israeliens. En montant
Arafat en epingle, et en demolissant les symboles et les institutions
constitutifs de son pouvoir, dit Ayalon, le gouvernement « ne combat ni ne
detruit les bonnes cibles » – les groupes palestiniens auteurs des
attentats, soit principalement le Hamas, le Djihad Islamique, et la branche
armee du Fatah d’Arafat.
Les responsables au gouvernement « doivent tuer ou combattre toute
organisation terroriste … autant que possible. Mais d’un autre cote, ils
doivent en meme temps presenter une vision, un espoir, un espoir politique »,
dit Ayalon. « Sans les deux a la fois, on ne gagne pas ».
Ayalon connait la valeur de l' »espoir politique ». En 19986, quand il prit la
direction de ce qui s’appelle aujourd’hui l’Agence de Securite d’Israel, le
service de renseignement du pays, et sa force antiterroriste, le Hamas lui
reserva un accueil sanglant. « En 10 jours, nous avons eu plus de 60 morts »,
dit-il, recitant la litanie des attentats suicides. Mais pendant sa derniere
annee en fonction, en 1999, pas un seul Israelien n’est mort dans un
attentat, et ce fut la premiere fois dans l’histoire d’Israel, selon le
Jerusalem Post.
Il se peut que les talents d’Ayalon aient contribue a cette baisse, mais la
periode coincidait avec un processus de paix qui se dirigeait, certes de
maniere cahotique, vers un accord final. L’Autorite Palestinienne a
travaille dur pour proteger Israel des attentats, facilitant le travail
d’Ayalon. Et, plus important encore, suffisamment de Palestiniens croyaient
au precessus de paix pour rendre ce travail possible.
Un tel succes est impossible aujourd’hui, vu l’attitude des dirigeants
israeliens, semble suggerer Ayalon : « Ils ne comprennent pas le phenomene
auquel ils ont affaire ».
Comme ce commentaire le suggere egalement, Ayalon parait certain de sa
propre interpretation de la situation, et des solutions. En meme temps
qu’une approche equilibree (il parle souvent du probleme
israelo-palerstinien en termes de dualites, evoquant des mesures reciproques
vers un compromis), il est aussi convaincu qu’un accord est possible, ce qui
rend une heure passe avec lui si reconfortante.
Mais c’est un styyle qui rend prudents certains Israeliens, qui ont vu
l’ascension, puis la chute, de nombreux officiers de haut rang entres en
politique. « Il y a quelque chose d’effrayant chez ces gens », di Mr Diskin.
« Ils ont la solution a tout, alors que tres souvent, il n’y a pas de
solution ».
Ayalon, sorti du service pour le gouvernement en 2000, et en ce moment
president du service d’irrigation israelien, est le permier a dire qu’il ne
postule a rien. « Je ne suis pas un politicien. Je ne deviendrai pas un
politicien. Je parle a tous ceux qui sont prets a ecouter, et c’est tout
pour le moment ». Parler a tous signifie : des discours, des apparitions a le
television, des interviews, des rencontres avec des Palestiniens moderes. Il
n’est membre d’aucun parti politique.
Contrairement a Ariel Sharon et a Shimon Peres, membres de la generation des
fondateurs d’Israel, Ayalon ne considere pas un accord avec les Palestiniens
comme l’alpha et l’omega de la vie politique israelienne. Il le considere
comme un obstacle qui empeche les gens de debattre de problemes menacant la
cohesion d’Israel : l’evolution de la democratie, la division entre
religieux et laics, la place des Arabes en tant que citoyens israeliens dans
la societe.
« Nous avons tue notre premeir ministre a cause de ce debat », dit Ayalon,
faisant allusion a l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995, mais il trouve un
reconfort dans l’histoire americaine : « Vous avez fait la meme chose apres
la guerre civile. Peut-etre est-ce une etape necessaire pour une nation qui
se cree elle-meme ».