30 juillet 2008


Dans un article publié aujourd’hui (mercredi 30 juillet) par le quotidien Libération, le philosophe Daniel Franco cite le propos d’un autre philosophe, Alain Badiou, tenu l’année dernière à l’occasion d’un entretien : « Il serait terrible pour les juifs, cette multiplicité vivante, de laisser le mot dont ils se réclament, et qui est lié de longue date aux aventures de l’universel, devenir l’emblème du capitalisme modernisé, de la xénophobie antiarabe ou antiafricaine et des guerres américaines ».

Daniel Franco y voit là une « empathie consternée ». Il est bien gentil (sans jeu de mots), Badiou, de parler de multiplicité vivante et d’aventures de l’universel, et Franco n’aurait peut-être pas eu tort si Badiou avait dit : « Ce serait terrible SI les juifs, etc. » Mais il a dit POUR les juifs. Prière donc aux juifs de penser et de voter correctement, ou il leur en cuira (« ce serait terrible »). L’histoire ayant donné certains exemples de ce mode de cuisson, et M. Badiou pouvant être crédité d’un minimum de connaissances historiques, ces propos sonnent davantage comme une menace que comme une forme d’empathie, consternée ou pas. Ce ne serait pas terrible, ni pour le monde ni pour le fameux universel dont se réclame tant Badiou, mais bien pour les juifs et pour eux seuls. Désolé, vous n’aviez qu’à bien vous tenir, vous étiez pourtant prévenus.

Enfin, les juifs, pas tous, si l’on écoute Siné. Les « juifs pro-palestiniens » seront épargnés. Les membres juifs de La Paix Maintenant seront-ils dans ce cas ? Même pas sûr. On va d’abord mesurer leur degré de pro-palestinisme et on verra bien où s’arrête le curseur. Je fais ici référence, bien entendu, aux propos désormais célèbres tenus par Siné il y a plus de 25 ans sur la radio Carbone 14 : « Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs. Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien. Qu’ils meurent. » Propos d’ivrogne, paraît-il, mais ivrognerie particulière et propos drôlement construits pour des propos d’ivrogne ! Siné proférait déjà bien avant Badiou la menace à peine voilée et à peine désolée que cite Daniel Franco.

Cette affaire, si elle ne concernait que Siné et Philippe Val, serait à ranger très vite dans les poubelles de l’histoire de la presse française. Mais aujourd’hui, tout le monde a un avis. Il y a les pro-Siné, qui s’indignent qu’on lui fasse un procès en sorcellerie, et les pro-Val, nettement moins nombreux sur les forums Internet et dans la presse généraliste.

Pour les premiers, l’antienne « on ne peut pas toucher aux juifs », « deux poids deux mesures ». Il est vrai que certains représentants de la « communauté » juive en France ont usé et abusé du qualificatif d' »antisémite », mélangeant la critique de la politique de l’Etat d’Israël, voire de sa légitimité, et l’antisémitisme. Quand on crie au loup… Mais quand même ! Résultat : il est aujourd’hui plus grave, vu de la lorgnette d’une certaine extrême « gauche » (guillemets volontaires et soulignés trois fois) française, d’être traité d’antisémite que de l’être [[merci à Gérard C. qui m’a soufflé cette remarque]].

Pour Val, la liberté d’expression n’est pas le droit de dire des conneries ou de répandre de fausses rumeurs, mais doit servir la liberté tout court.

Non, en effet, Philippe Val a raison, on ne peut pas toucher à un juif, ni à un musulman, ni à un Arabe, ni à un Noir, ni à un chrétien, ni à un(e) homo, ni à personne pour ce qu’il (ou elle) est. On peut attaquer tel ou telle pour ses actes ou ses propos. Là s’arrête la liberté d’expression.

Siné a dit fièrement « représenter la vraie gauche » contre les « lèche-cul » (le cul de qui, au fait ?). Si c’est le cas, si Badiou et Siné représentent la gauche, je rends ma carte du PS et je vire à droite.