Yediot Aharonot
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Qu’arriverait-il si Arafat était vraiment déplacé de la scène politique, expulsé à Gaza ou tué (comme d’importants ministres l’ont proposé)? Les chances de paix entre Israéliens et Palestiniens augmenteraient-elles, et le terrorisme s’arrêterait-il immédiatement? Les Palestiniens auraient-ils alors un dirigeant qui serait capable de les unir et de les conduire vers un processus de paix, avec les concessions douloureuses qu’il entraînerait? Il faudrait être dérangé pour le croire. Il est vrai qu’Arafat est, sans nul doute, un dirigeant problématique, inconstant et peu fiable, qui a mené son peuple au désastre en manquant, en juillet 2000, l’occasion d’utiliser les propositions d’Ehoud Barak qui auraient pu servir de levier à un accord qui aurait été satisfaisant pour les Palestiniens.
Arafat, nous répètent nos experts en sécurité, constitue l’obstacle à un accord de paix (soit dit en passant, Sharon pourrait être décrit de la même manière). Néanmoins, malgre la personnalité et les actes problématiques d’Arafat, ce serait une erreur de la part d’Israël, et meme un crime, de l’assassiner. Sharon a lui aussi du sang sur les mains. En ce moment, il y a très peu de dirigeants de chaque côté à ne pas avoir de sang sur les mains, et au bout du compte – comme chacun sait – les deux côtés devront
se serrer la main, avec tout ce sang qui dégouline. L’assassinat d’un dirigeant rival est le mode opératoire d’une organisation terroriste, pas celle d’un Etat de droit. L’assassinat d’Arafat humilierait le peuple palestinien d’une manière telle que nos relations avec eux en reviendraient a ce qu’elles étaient avant le début des pourparlers et des efforts de conciliation, avant les processus lents et douloureux de maturation qu’ont connus, en dépit de tout, les deux côtés. Il détruirait aussi, bien sûr, toute continuation des négociations, car tout dirigeant qui succèderait à Arafat aurait d’abord à démontrer à son opinion qu’il est loyal à la voie empruntée par Arafat. Il est tout à fait clair qu’un dirigeant qui serait indirectement « nommé » par Israël et par les Etats-Unis (comme l’a été Mahmoud Abbas, de fait), serait voué à l’échec dans la rue palestinienne.
Il n’est pas nécessaire d’être un génie de la politique pour comprendre que
dans une lutte entre nations, comme c’est le cas entre Israël et les Palestiniens, seul un leader palestinien qui a activement combattu l’occupation , qui s’est forgé une reputation à travers ce combat et qui a prouvé son dévouement à cette cause, seul un tel leader sera capable d’unir autour de lui, y compris certains membres du Hamas. C’est la raison pour laquelle les Palestiniens considèrent Arafat comme leur symbole national (tout comme ils considèrent son humiliation actuelle comme une illustration du sort fait aux Palestiniens en général). En fait, ce fut pour des raisons similaires que le peuple israélien choisit Ariel Sharon pour les conduire, après le début de l’intifada, et non Barak, qui était prêt au compromis. (…) Sharon sait parfaitement que saper la position d’Arafat affaiblirait les Palestiniens modérés, ceux qui sont encore désireux de
conclure un accord de paix, et renforcerait les extrémistes. Il sait que l’assassiner, même si cela unirait les Palestiniens pour une courte période, finirait par déchirer une société palestinienne deja affaiblie qui glisserait alors dans une guerre civile totale, ce qui conduirait à une situation où Israël n’aurait vraiment plus aucun partenaire avec qui négocier.
A la reflexion, n’est-ce pas ce que veut Sharon? Ne serait-ce pas la situation qui l’aiderait, une fois de plus, à « prouver » le bien-fondé de ses iées, tout comme les violences qu’il a provoquées l’ont toujours aidé à les « justifier » a posteriori, fait empirer la situation encore et encore, éteint toute lueur d’espoir, et en fin de compte, réussi à repousser la paix plus loin, toujours plus loin, et avec elle la nécessité pour Israël d’en payer le prix? Le mode de pensée de Sharon est connu pour être complexe et tortueux. Pendant près de trois ans, il a réussi à tromper le monde entier, à commencer par les Israéliens eux-mêmes. Avec une suprême habileté, il réussit, par des déclarations relativement modérées, à persuader beaucoup de ceux qui doutent de lui. Il prend soin, comme un funambule sur sa corde raide, d' »équilibrer » ces déclarations par des actions extrêmement violentes. Cet artiste, ce grand stratège, a conduit Israël à la pire des situations qu’il ait connues depuis de nombreuses années. S’il devait vraiment s’en prendre à Arafat maintenant (ou juste après le prochain attentat), ce serait la mesure la plus grave et la plus dangereuse qu’il aura prise depuis la visite au Mont du Temple en septembre 2000. Sharon, comme on le sait, n’a pas peur de provocations de ce genre, qu’il considère comme un moyen de faire avancer ses objectifs nationaux. Pourtant, l’incendie qu’il allume, encore et encore, semble ne bénéficier qu’à une seule personne, Sharon lui-même. Son véritable but, tel qu’il apparaît ces dernières années, est de terminer sa carrière politique sans entrer dans l’Histoire comme l’homme qui a fondé l’Etat de Palestine.