Daily Star (Beyrouth), 21 novembre 2007
(article diffusé à l’origine par Bitterlemons puis
par MiddleEast Web)

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Dans le monde arabe et musulman, on considère la normalisation comme un processus consistant à établir des relations réciproques avec Israël dans tous les domaines, politique, économique, social, culturel, éducatif, judiciaire et sécuritaire. Ceux qui s’opposent à une telle « normalisation » se divisent en deux groupes : pour les uns, Israël a été créé sur une terre musulmane et palestinienne aux dépens du peuple palestinien, véritable propriétaire de la terre, qui en conséquence est devenu réfugié hors de son pays. Pour les autres, la « normalisation » est acceptable, mais seulement après qu’Israël se sera retiré des territoires palestiniens et des autres territoires arabes qu’il occupe depuis 1967. Certains ajoutent que le droit au retour des réfugiés palestiniens en Israël proprement dit (soit dans les frontières de 1967, ndt) devra être mis en œuvre avant toute normalisation.

Alors que le débat avec le premier groupe se déroule sur le plan idéologique, la discussion avec le second est de nature politique. D’une part, il s’agit du prix à payer et des concessions réciproques qui doivent être faites pour parvenir à la paix. De l’autre, il s’agit du processus de paix et de la question de savoir si ce processus doit ou non inclure une forme quelconque de dialogue et de contact avec l’autre côté.

Mais peut-on qualifier de « normalisation » les formes actuelles de contact et de dialogue entre les deux côtés ? Par définition, une normalisation ne peut intervenir qu’entre deux Etats. L’Etat palestinien n’existant pas, ce type de normalisation n’est pas encore possible. Mais alors, quels sont les buts des formes actuelles de contact et de dialogue s’il ne s’agit pas de normalisation ?

Les contacts ont commencé entre membres de groupes marxistes des deux côtés, dès la création de l’Etat d’Israël. Ces contacts étaient en continuité avec leurs relations de camaraderie entre membres de mêmes partis politiques avant 1948. Les contacts officiels de l’OLP avec Israël ont commencé dans les années 70, avec ce qu’on appelait à l’époque « les mouvements juifs qui soutiennent les droits du peuple palestinien. » Ces contacts officiels ont évolué avec les objectifs palestiniens tels qu’ils étaient définis par L’OLP : de la « libération de toute la Palestine » à l’acceptation de « la création d’une Autorité nationale sur tout territoire libéré » (résolution du Conseil national palestinien, 1974) puis à « la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël (résolution du Conseil national palestinien, 1988).

Avant la Déclaration de principes israélo-palestinienne de 1993 (Oslo), les contacts israélo-palestiniens se déroulaient à deux niveaux : des négociations secrètes entre représentants officiels des deux côtés, et des négociations entre universitaires et dirigeants d’ONG. Ces deux pistes suivies avaient pour objectif de chercher les moyens de mener à bien la solution de deux Etats. Ainsi, pour un certain nombre de Palestiniens, ces deux formes de contact représentaient une forme de lutte pour les droits des Palestiniens.

En plus de ces deux pistes, il y a toujours eu, depuis 1967, une troisième, la « piste de la solidarité », qui a vu et voit encore des organisations israéliennes de gauche mener des actions en solidarité avec le peuple palestinien.

Après les accords d’Oslo, de nouvelles approches se sont développées, impliquant des contacts de personnes à personnes. Une étude réalisée par l’auteur de ces lignes a montré que ces approches nouvelles comprennent a) l’approche par le contact humain dans différents secteurs, comme les universitaires, les jeunes, les femmes, etc. ; b) l’approche par « le soin par la réconciliation », qui concerne surtout les familles endeuillées ; et c) la « coordination et la préparation de chacune des opinions publiques » avec pour objectif de consolider le soutien à des accords de paix suggérés, approche qui a conduit à la déclaration Nusseibeh-Ayalon [Voir le [texte de la déclaration Nusseibeh-Ayalon]] et à l’Initiative de Genève.

Cette troisième catégorie est une sorte d’engagement politique qu’on peut accepter ou refuser, mais on ne peut en aucun cas la qualifier de « normalisation », surtout si ce terme sert à accuser de collaborer avec l’autre côté aux dépens du peuple palestinien. La deuxième approche consiste à rapprocher des familles endeuillées pour soigner leurs blessures. En tant que telle, elle peut contribuer à créer davantage de compréhension entre des gens issus des deux peuples, qui, à leur tour, aideront à bâtir la paix entre les gens et non plus seulement entre les dirigeants.

La première approche est celle qui a suscité le plus de critiques. La critique la plus communément exprimée est que des projets de cette sorte créent une fausse image de relations « normales » (différente de la normalisation définie plus haut), comme s’il n’y avait ni occupants ni occupés, et comme si les deux côtés étaient en quelque sorte sur un pied d’égalité. Beaucoup de ces critiques ont d’ailleurs été formulées par les initiateurs de ces projets eux-mêmes, qui se sont fixé pour but de modifier les projets futurs afin de ne jamais biaiser la réalité, mais plutôt de travailler dans le contexte de cette réalité pour une solution qui ne soit aux dépens ni de l’un ni de l’autre des côtés.

Au-delà de la rhétorique politique et des accusations, la plupart des Palestiniens qui s’engagent dans des projets communs le font parce qu’ils sont persuadés qu’il s’agit d’une manière de parvenir à la solution de deux Etats. Et ils considèrent également que l’autre côté croit sincèrement à la même chose. Par conséquent, ils ont le sentiment que le fait de boycotter ou d’éviter de travailler avec ces groupes israélo-palestiniens nuit à la solution de deux Etats.

Il ne s’agit pas ici de dire que les relations entre les deux côtés sont faciles. Les Palestiniens engagés dans ces projets sont des patriotes, comme le sont les Israéliens. Souvent, cela crée de fortes tensions avant que les deux groupes trouvent un quelconque terrain d’entente.

Malgré ces difficultés, cette approche demeure une voie vers la solution de deux Etats. Le problème n’est pas que ces actions communes existent, mais qu’il n’en existe pas assez pour véritablement peser dans la balance.