sur le site du Washington Post
Washington Post, 14 janvier 2005
Il faut aider Mahmoud Abbas à réussir
par Yossi Beilin[Yossi Beilin est le principal négociateur, avec Yasser Abed Rabbo du côté palestinien, des [Accords de Genève ]]
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
L’élection de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) n’est pas une surprise. L’ordre
dans lequel s’est déroulée l’élection et la campagne vivante qui l’a précédée, ont prouvé une fois encore que, si l’Etat palestinien est créé, ce sera la première démocratie du monde arabe. Mais l’Etat n’est pas encore créé, et le système à la tête duquel Abbas a été élu n’est pas beaucoup plus qu’un décor de théâtre.
La vraie question n’est pas de savoir si Mahmoud Abbas est sincèrement prêt
à faire la paix et s’il commencera demain à a combattre le terrorisme, mais
plutôt si les Etats Unis, l’Europe et Israël sont prêts à saisir cette occasion rare : l’élection à la tête des Palestiniens d’un pragmatique qui a participé à tous les processus de paix avec Israël, et qui, courageusement, s’est élevé contre l’usage de la violence dans la récente intifada.
Aujourd’hui, Mahmoud Abbas n’a pas besoin de faire ses preuves. A 69 ans, il
est l’un des hommes politiques les plus « transparents » de la région. Ses livres, ses discours, ses interviews et ses actes sont parfaitement connus. Même aux moments les plus difficiles de la campagne présidentielle, il a pris position contre les tirs de roquettes par le Hamas, ce qui lui a valu d’être durement critiqué par les éléments islamistes.
En 1995, après deux années de négociations, nous nous sommes mis d’accord
sur ce qui serait connu plus tard comme l’accord Beilin – Abou Mazen. Ce
document officieux a servi de base au plan Clinton, cinq ans plus tard, ainsi qu’aux négociations qui ont conduit aux accords de Genève, conclus il y a un an.
Sur le plan personnel, Mahmoud Abbas est quelqu’un de pragmatique, sans être
nécessairement un modéré. Il n’a aucune sympathie pour le sionisme, mais il a compris, avant beaucoup de ses camarades, que la détresse du peuple palestinien ne pourrait trouver sa solution qu’à travers un Etat indépendant à côté d’Israël, et non à sa place. Dans ses principes, sa conception d’un accord de paix définitif n’est pas différente de celle d’Arafat, et, au moment de vérité, il se peut très bien qu’il adopte une attitude de bravache, se situant ainsi dans la droite ligne de l’héritage d’Arafat. Mais la vraie question, ce ne sont pas les principes, mais les détails. A mon avis, il est possible de trouver un accord détaillé avec Mahmoud Abbas.
Pour ses nouvelles fonctions, Mahmoud Abbas s’est acquis le soutien de son
peuple, soutien large et véritable. Né à Safed [en Galilée], réfugié lui-même (ce qui signifie qu’il lui sera plus facile de persuader les réfugiés d’accepter les échéances inévitables), il a gagné la confiance du président Bush, du monde arabe, de l’Europe et de beaucoup d’Israéliens de droite comme de gauche. Il est opposé à tout type de violence, et se bat depuis longtemps pour trouver un accord définitif entre Palestiniens et Israéliens. Son élection à la tête de l’Autorité palestinienne représente réellement une occasion rare.
Mais si, à partir de là, nous ne faisons rien d’autre qu’attendre que Mahmoud Abbas agisse, il est probable que nous gâcherons cette occasion. Abbas dirige un système qui est détruit depuis quatre ans. La loi et l’ordre ne règnent pas dans les territoires palestiniens, les gens y ont peur de sortir de chez eux la nuit. Seule une partie des forces de sécurité obéit au président de l’Autorité palestinienne. La moitié des Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté, et le chômage est endémique. Abbas formera un « gouvernement », apparaîtra dans des forums, donnera des interviews, tentera de parvenir à des accords avec le Hamas, et même, rendra visite à d’autres pays. Mais s’il veut provoquer de véritables changements, il aura besoin de nous : de nous, non pas en spectateurs, mais de nous sur la scène, avec lui.
Si le président Bush se contente d’appliquer la « feuille de route » sans l’adapter, sans fixer des deadlines réalistes, sans envoyer un émissaire dans la région pour superviser les événements, sans quelqu’un qui en son nom travaillera jour et nuit pour mettre en oeuvre un plan accepté par Israël et par les Palestiniens (chacune des parties ayant ses propres interprétations), alors Mahmoud Abbas échouera. Sans perspective politique importante, il ne pourra pas survivre politiquement.
Si les Européens ne fournissent pas leur assistance, en finançant les plans
économiques, en réhabilitant les infrastructures et en aidant l’appareil de sécurité palestinien à se former pour fonctionner comme une véritable force de police, alors on pourra parler de Mahmoud Abbas au passé avant même que l’un des seigneurs de la guerre ne prenne le contrôle de l’Autorité palestinienne. Il doit prouver qu’il est capable de changer la vie quotidienne des Palestiniens, et leur montrer que la tranquillité leur est profitable.
Si le Premier ministre d’Israël Ariel Sharon met en oeuvre son plan de retrait de Gaza comme si son partenaire de paix était Yasser Arafat, si les assassinats ciblés continuent, si le nombre de checkpoints n’est pas réduit, et si les parties ne retournent pas à la table des négociations pour discuter d’un accord permanent, après quatre années pendant lesquelles elles n’ont pas échangé un seul mot officiel, alors il sera inutile de préparer des portraits de Mahmoud Abbas dans la presse. Parce qu’alors, nous aurons laissé passer cette chance. Et laisser passer des chances, nous savons très bien le faire.
(diffusé par MidEastweb for Coexistence [->http://www.mideastweb.org] )