Ha’aretz, 7 juillet 2008
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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
On nous fit dévaler des escaliers, promener dans de longs couloirs, soi-disant pour nous maquiller pour la caméra, en réalité pour nous faire rencontrer l’intervieweur et tester son déguisement. Nous tombâmes sur un homme blondasse, grand, la trentaine, le visage poudré sur plusieurs couches, les bras et la poitrine rasés. Il avait un lourd accent allemand et des manières outrageusement gay. Il essaya de noter nos noms, sans succès. Nous avions affaire à un dyslexique.
« Ce type va nous interviewer ? »
« Ne vous en faites pas, il connaît les questions à vous poser », répondit l’assistant.
Si, nous nous en faisions, Mais nous avions signé un contrat ou un formulaire quelconque, nous sommes si souvent interviewés que ni lui ni mon collègue n’avions pris la peine de le lire attentivement. Et puis, nous, l’Israélien et le Palestinien, sommes des gentlemen, nous faisons ce que nous avons promis de faire.
D’ailleurs, nous avions été proposés à la société de production par un expert respecté, un spécialiste du Moyen-Orient à Washington que nous connaissions tous les deux. Nous avions discuté des honoraires et avions été payés. Rob, le producteur auquel nous avions parlé un peu plus tôt au téléphone, avait un accent britannique et semblait sérieux et professionnel. L’interview se déroulait dans un lieu tout à fait approprié, près de la Vieille Ville de Jérusalem. De toute évidence, cette société, avec ses trois caméras et sa batterie d’assistants, était sérieuse et professionnelle.
On nous avait demandé une interview pour un documentaire qui expliquerait le conflit israélo-palestinien à la jeunesse du monde entier. Une cause qui en valait la peine. Les producteurs expliquèrent que notre intervieweur, une rock star allemande, était la personne la plus à même d’établir une communication forte avec son public. Soit. De toute façon, ni l’un ni l’autre ne connaissions quoi que ce soit aux rock stars, d’Allemagne ou d’ailleurs.
On nous fit attendre une bonne heure, retard pour lequel on nous donna une série d’explications, toutes liées à la production. L’intervieweur avait disparu. Nous avions d’autres rendez-vous et nous commençâmes à consulter nos montres et à protester. Au moment où l’interview débuta, nous étions surtout préoccupés par nos problèmes d’horaires. On nous dit que, compte tenu de la nature de notre public, les questions seraient extrêmement basiques.
En effet, basiques elles furent. Elles avaient trait à ce que nous pouvions attendre du processus de paix israélo-palestinien. C’est alors que l’un de nous mentionna le Hamas, et l’échange qui s’ensuivit ressembla à quelque chose comme :
« Attendez, attendez, quel est le lien entre un mouvement politique et de la nourriture ? Pourkva le houmous ? »
Nous échangeâmes des regards atterrés et expliquâmes : « Le Hamas est un mouvement politique palestinien islamiste. Le houmous est de la nourriture. »
« Ya, mais pourkva le houmous ? Hier, j’ai dû jeter ma pita, le houmous dégoulinait. Et c’est plein de glucides. »
Cette confusion Hamas-houmous dura quelques minutes. Puis l’intervieweur déclara : « Votre conflit n’a rien de terrible. Jennifer-Angelina, c’est pire. »
Nous fouillâmes dans notre mémoire limitée pour ce qui concerne les scandales hollywoodiens. Etait-il en train de comparer le conflit israélo-palestinien aux tensions entre une ex et une épouse actuelle de Brad Pitt ? Que se passait-il ? Devions-nous éteindre nos micros, nous lever et partir ? Nous échangeâmes des regards inquiets. « Pouvons-nous faire une pause ? » demanda l’un de nous avec docilité. La requête fut ignorée.
Et cela continua ainsi. Les caméras continuèrent à filmer, les cameramen ne firent pas un sourire. « Pourquoi vous, les Juifs et les Arabes, ne pouvez-vous pas résoudre votre conflit par une multipropriété ? ». « Quand les Juifs rendront-ils les Pyramides ? ». « Pourquoi les Juifs et les Hindous ne peuvent-ils pas s’entendre ? »
Juifs et Hindous ?
Nous l’avons jouée simple et carrée. Non, en fait, nous sommes des types simples et carrés. Nous sourîmes aux questions idiotes et répondîmes patiemment. Nous fîmes la remarque que cela n’était pas une façon de faire comprendre aux jeunes du monde entier la profondeur et la tragédie de notre conflit. Confrontés à des questions plus franches, nous fîmes part avec force de nos désaccords sur des questions fondamentales comme les réfugiés, ou sur la question de savoir qui avait commencé le conflit.
Nous savions qu’il se passait quelque chose de ridicule, mais nous n’arrivions pas à cerner exactement quoi. D’ailleurs, ce n’était pas nous qui étions ridicules, mais seulement le conflit qui nous occupe. Et puis, nous étions pressés par le temps et avions hâte d’en finir.
Notre rock star conclut par un chant lyrique sur l’épopée qui oppose Juifs et Hindous au Moyen-Orient. Au crescendo, il s’empara de nos mains et les joignit aux siennes. Contrairement à Mahmoud Abbas et à Ehoud Olmert, ou à George Bush et au roi Abdallah d’Arabie saoudite, mon compère palestinien et moi ne sommes pas de grands serreurs de mains, mais nous subîmes cela aussi. Alors que nous commencions à nous sauver, l’intervieweur nous suivit, les caméras tournant toujours, nous assaillant de questions absurdes sur le fait d’être pris en otage et d’avoir la gorge tranchée live.
Oui, cher lecteur, Sacha Baron Cohen est en liberté au Moyen-Orient. Nul doute que le produit final sera hilarant. Nous essaierons d’être fair-play.
Mais Sacha Baron Cohen le sera-t-il ? Il exploite notre conflit tragique et douloureux de la plus cynique et la plus trompeuse des manières. Je doute qu’il nous donnera quoi que ce soit en retour.