Ivres de leur pouvoir nouvellement acquis, les ministres du gouvernement israélien d’extrême droite ne cachent plus leur désir d’augmenter sans retenue le nombre de colons juifs en Cisjordanie et de déposséder davantage encore les Palestiniens. Si leurs intentions sont désormais clairement exprimées, notre lutte contre cette injustice doit être tout aussi résolue.

Auteur : Hagit Ofran, Haaretz, 30 mai 2023

Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

https://www.haaretz.com/opinion/2023-05-30/ty-article-opinion/.premium/israel-is-on-a-mission-to-supersize-its-west-bank-settlements/00000188-6c66-d2d1-afbe-7c6f9c860000

 

Photo d’illustration : Bezalel Smotrich un plan d’expansion massive des implantations.©: Hadas Parush Artwork d’Anastasia Shub.
Mis en ligne le 9 juin 2023

Les colonies israéliennes de Cisjordanie ont fait l’objet de trois développements récents qui, à première vue, ne semblent pas liés, mais qui sont en réalité profondément imbriqués. Ils s’inscrivent dans un contexte plus large où le mouvement pour la colonisation acquiert une force sans précédent au sein du gouvernement israélien.

Tout d’abord, la semaine, nous avons appris que Bezalel Smotrich, le ministre des Finances d’extrême droite, qui est aussi le ministre de facto des colonies, a demandé aux ministères de préparer des plans et des budgets visant à doubler le nombre de colons vivant en Cisjordanie. Cela signifierait que leur nombre passerait d’un demi-million à un million d’habitants.

Nous avons ensuite appris qu’environ 200 habitants du hameau d’Ein Samia, situé à l’est de Ramallah, avaient dû fuir le territoire qu’ils habitaient depuis une quarantaine d’années, en raison de la violence sans fin des colons.

Lundi, il fut révélé que le gouvernement israélien autorisait désormais officiellement ses citoyens à établir une présence permanente dans l’avant-poste de Homesh, dans le nord de la Cisjordanie, rompant ainsi les engagements pris par le passé avec les États-Unis. Autrefois, chef-lieu d’une colonie discrète et essentielle laïque, évacuée par le gouvernement israélien au cours de l’été 2005, cette dernière est devenue depuis le cri de ralliement du mouvement des colons.

Cela va de pair avec le plan d’expansion des colonies massive que promeut Smotrich. Cette réalité n’est pas nouvelle, mais cette politique est maintenant assumée de manière transparente. Nous le savions déjà, les plans d’expansion conservés dans les dossiers du ministère du Logement et de l’administration civile, dont les pouvoirs s’étendent en Cisjordanie, savent déjà qu’il existe des projets visant à créer des dizaines de milliers d’unités de logement dans les colonies de Givat Eitam, E1, Atarot, Gva’ot, Nahliel, Emanuel, Givat Zeev et d’autres encore.

L’infrastructure nécessaire à cette expansion des colonies, que le gouvernement a déjà commencé à mettre en œuvre, bénéficie des milliards de shekels consacrés à la construction d’un réseau d’autoroutes destiné à accueillir le million de colons que prévoit le plan de Smotrich. Le plan de Smotrich diffère des autres, non pas au niveau de la substance, mais bien le fait que ses intentions soient assumées de manière décomplexée, sans craindre que ceux qui s’y opposent ne posent de réelle menace pour lui.

Depuis 1967, un nuage d’ambiguïté entourait le projet de colonisation. Bien que les conséquences de la colonisation israélienne pour la sécurité d’Israël fussent considérables, cette dernière a également déterminé le destin politique, économique et social d’Israël. Pourtant, tous les gouvernements se sont abstenus de présenter au public leur vision et leurs projets en la matière. Il était important pour eux de maintenir la perception au sein du public selon laquelle nous serions les « bons » et que la persistance du conflit avec les Palestiniens n’est pas le fruit de l’occupation ou de la colonisation, mais plutôt du refus des ces derniers d’accepter l’idée d’un compromis.

Je me souviens d’ailleurs que, lorsque j’ai commencé à travailler pour le projet Settlement Watch de Peace Now il y a 18 ans, si nous voulions savoir ce que les autorités prévoyaient pour une colonie, nous devions nous rendre au conseil local et demander à voir le plan. L’existence des réunions de planification n’était découverte, le cas échéant, que quelques semaines après leur tenue. La nouvelle apparaissait alors cachée dans de petites annonces dans les journaux. Pour savoir si le terrain sur lequel une colonie a été construite appartenait ou non à des Palestiniens, nous devions alors compter sur des fuites de nos sources au sein de l’administration civile.

Aujourd’hui, une grande partie de ces informations est facilement accessible en ligne par un simple clic, en grande partie grâce à nos efforts constants et à ceux d’autres organisations qui ont œuvré à révéler ces informations. Mais ce ne sont pas seulement les informations qui sont disponibles, ce sont aussi les intentions du gouvernement qui sont exprimées de manière beaucoup plus claire et explicite. Il semble que le gouvernement ne ressente plus de menace immédiate quant au sort des colonies. Il n’y a donc plus rien à cacher. Les partis d’opposition en Israël évitent d’ailleurs d’aborder la question de l’occupation. Rappelons qu’il y a peu encore, aux États-Unis, le président en poste soutenait ouvertement la colonisation.

L’administration actuelle, ainsi que d’autres pays et organisations internationales, se contente de condamner les colonies du bout des lèvres, mais n’impose à Israël aucun prix pour sa politique. Smotrich et ses collègues se sentent invulnérables. Forts de leur pouvoir inégalé jusqu’à présent, ils entendent en profiter pour éliminer les quelques obstacles juridiques qui les empêchent de mettre en œuvre leur projet d’apartheid en utilisant la révolution judiciaire que le gouvernement cherche à instaurer.

Mais ce succès des colons constitue peut-être une opportunité. Puisque le gouvernement a mis cartes sur table et décidé d’assumer clairement ses intentions, celles-ci ne peuvent plus faire l’objet d’un débat. Si nous ne changeons pas le tir, et continuons d’éviter le sujet, ou encore, en dénonçant la colonisation du bout des lèvres seulement, les colons profiteront de notre passivité et leur nombre atteindra le seuil du million d’habitants.

Mais cela n’est pas qu’une question de chiffres. Pour de nombreuses personnes de bonne volonté en Israël et à l’étranger, même 500 000 colons suffisent à désespérer de la possibilité de permettre l’émergence d’une réalité à deux États. Ce désespoir les a menés à envisager de nouvelles solutions, comme celle d’un seul État. Ils espèrent ainsi pouvoir couper l’herbe sous les pieds du projet de colonisation. Le projet de colonisation ne se résume pas à une question arithmétique. Il s’agit également d’une histoire de dépossession des Palestiniens, de leurs terres et de leurs biens. Ce n’est donc pas d’une nouvelle vision dont nous avons besoin, mais d’actions et de stratégies de lutte pour mettre fin à cette injustice.

L’accent mis sur le volume grandissant de la croissance des colonies et le désespoir qui en résulte nous mènent à négliger trop souvent l’impact que cela engendre pour les Palestiniens, notamment pour les habitants d’Ein Samia, forcés de fuir à cause de la violence des colons. La discussion arithmétique sur le nombre de colons en Cisjordanie nous mène également à négliger l’impact concret de la colonisation sur les propriétaires palestiniens des terres sur lesquelles la colonie de Homesh fut établie et qui ne peuvent y retourner en raison de la violence des colons. Elle néglige également la réalité concrète de communautés comme Masafer Yatta et Khan al-Ahmar qui sont chassées de leurs terres.

En outre, parler de chiffres de manière abstraite nous empêche de tenir compte des dizaines de milliers de Palestiniens dont les maisons sont sous la menace imminente de démolition et des centaines de milliers de propriétaires palestiniens dont les terres ont été saisies au profit des colonies. Le débat sur les chiffres ne tient généralement pas compte non plus des millions de Palestiniens qui vivent sous un régime de sécurité draconien afin de protéger ces colonies. La dépossession est intrinsèquement liée à l’entreprise de colonisation. Il s’agit d’une réalité permanente, indépendante de la question de savoir s’il y aura un ou deux États.

Maintenant que nous, le public israélien et la communauté internationale, savons ce que Smotrich et ce gouvernement préparent — et s’efforcent déjà de réaliser — nous devons agir pour y mettre un terme. Nous devons élaborer des stratégies afin de mener une lutte longue et persistante : une lutte qui mobilise toutes les forces potentielles qui s’opposent à cette politique de dépossession; une lutte qui inclut la majorité silencieuse en Israël qui se mobilise actuellement pour protéger la démocratie israélienne pour les Juifs, bien qu’elle semble actuellement largement indifférente à l’absence de démocratie pour les Palestiniens. Cette lutte doit inclure les citoyens palestiniens d’Israël qui restent exclus du débat public.

Enfin, cette lutte devrait inclure la mobilisation de la voix de la diaspora juive qui exprime clairement son indignation. La communauté internationale se doit également de prendre de véritables mesures menant à des conséquences réelles pour Israël s’il ne change pas de cap.