Dans cet entretien, publié dans les Cahiers Bernard Lazare, n°455, mai 2023, David CHEMLA revient sur la Conférence « Sauver la démocratie israélienne » organisée au Parlement européen à Bruxelles, le 27 mars dernier, par JCall, La Paix Maintenant et le Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind. (CCLJ)
Propos recueillis par Daniel BENSOUSSAN-BURSZTEIN
Vous venez d’organiser une rencontre à Bruxelles sur le thème « sauver la démocratie israélienne ». Quel bilan en tirez-vous ?
Le 27 mars dernier une dizaine de personnalités françaises juives se sont retrouvées au Parlement européen pour participer à la conférence « Sauver la démocratie israélienne » organisée par JCall, conjointement avec La Paix Maintenant et le Cercle Communautaire Laïc Juif David Susskind (CCLJ) de Bruxelles. Sous la présidence de Bernard Guetta, le député européen de la liste Renew, ils ont tous exprimé, chacun à leur façon, leur opposition au projet de réforme juridique du gouvernement israélien et leur attachement à ce qu’Israël reste un État juif ET démocratique, tel que l’ont voulu ses pères fondateurs.
La sociologue Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel et actuelle présidente du MAHJ, a rappelé les fondements de la démocratie libérale basée sur la séparation des pouvoirs, ce qui ne serait plus le cas si la Knesset devait réduire les pouvoirs de la Cour suprême israélienne en changeant le mode de sélection de ses membres et en permettant au pouvoir de contourner ses décisions par le vote d’une simple majorité. Le philosophe Alain Finkielkraut a dit qu’en faisant cette réforme, le pouvoir « voulait avoir les mains libres pour multiplier les implantations et délaïciser l’État ».
Quant à la journaliste et essayiste Anne Sinclair, elle a exprimé sa honte de savoir que « Netanyahou était prêt à tout pour échapper aux poursuites judiciaires et s’affranchir des règles élémentaires de la démocratie ». Maurice Levy, président du Conseil de surveillance de Publicis, a insisté sur l’effet négatif qu’aurait une telle réforme sur l’image d’Israël dans le monde et au sein de la diaspora. Homme de communication, il a rappelé que cette image, celle d’être la seule démocratie au Moyen Orient, était aussi importante sur le plan des relations internationales que l’est le dôme de fer sur le plan sécuritaire.
L’avocat Patrick Klugman, un des membres fondateurs de JCall, a constaté en s’en félicitant que « nulle part ailleurs qu’en Israël on pouvait trouver une réforme populiste bloquée par une révolte populaire », faisant ainsi allusion aux manifestations qui rassemblent chaque semaine des centaines de milliers d’opposants à cette réforme dans toutes les villes du pays. Rivon Krygier, le rabbin de la communauté massorti Adath Shalom, a dit « qu’Israël se trouvait à la croisée des chemins, devant choisir non seulement entre deux types de démocratie, l’une libérale et l’autre illibérale, mais aussi entre deux visions contraires de ce que doit être un État juif, l’une compatible à la démocratie, l’autre non ». Pour lui, « la fidélité au judaïsme authentique, consistant à aspirer à toujours plus de justice, plus de considération pour l’autre, était le creuset même de la démocratie ». Il a rappelé que ce sont les prophètes qui préconisaient de contrôler et de délimiter le pouvoir des dirigeants pour qu’ils n’abusent pas de leur autorité. Enfin Robert Badinter, l’ancien Garde des sceaux, a rappelé que « les Juifs étaient amoureux de la Loi et que le temple de la Loi aujourd’hui en Israël était la Cour suprême ». Pour lui, « s’en prendre à cette haute juridiction si respectée partout dans le monde, c’était abaisser Israël et que ce n’était pas au peuple de la Loi de s’en prendre au Temple de la Loi ! »
On le voit par ces quelques extraits, de plus en plus de Juifs en diaspora, tous profondément attachés à Israël sont de plus en plus inquiets concernant l’évolution politique de ce pays et sont prêts à le dire publiquement. Ils ont compris que si cette réforme juridique, qui s’apparente plus à un coup d’État, était mise en place, c’est tout un équilibre qui allait s’écrouler. Un équilibre, certes fragile, mais qui permet depuis 75 ans à toutes les composantes de la société israélienne de vivre ensemble. Un équilibre qui permet aussi aux Juifs de diaspora, qu’ils soient laïcs ou religieux, de se reconnaître dans ce pays. Un équilibre qui permet enfin qu’Israël puisse encore bénéficier du soutien des démocraties libérales dans le monde, cela malgré le fait qu’il continue d’occuper des territoires où vit majoritairement un autre peuple qui aspire à son indépendance.
La confrontation actuelle entre partisans et opposants de la réforme juridique est-elle la continuation de la vieille opposition des deux Israël, l’Israël des riches ashkénazes et laïcs habitant au nord de Tel Aviv avec celui des pauvres orientaux vivant principalement dans les villes de la périphérie ?
Il est toujours tentant de ramener toutes les confrontations existantes dans le pays à ce péché originel qui est la conséquence de la mauvaise intégration des Juifs venant des pays arabes à leur arrivée. Sauf que la réalité est beaucoup plus complexe. Parmi les partisans de la réforme juridique, on trouve plusieurs composantes et celles-ci n’épousent pas la fracture entre juifs orientaux et ashkénazes.
Il y a d’abord les orthodoxes qui sont hostiles à l’existence d’une Cour suprême parce qu’ils veulent continuer à pouvoir bénéficier de leurs avantages et à être dispensés de l’armée, ce qui est au contraire aux principes d’égalité défendus par la Cour suprême. Et parmi eux, il y a autant d’ashkénazes que de mizrahim et ils sont représentés par les deux partis membres de la coalition au pouvoir, le Judaïsme de la Thora et le Shas. Notons que, pour ce dernier parti, se rajoute le projet de faire voter une loi pour permettre à Arie Déry d’être ministre malgré les inculpations à son encontre pour faits de corruption, et cela contre les principes défendus par la Cour suprême interdisant à une personne mise en inculpation d’être ministre.
Il y a ensuite les colons, majoritairement des Juifs d’origine occidentale, hostiles à la Cour suprême qui les empêche de légaliser des colonies illégales et d’étendre la colonisation.
Enfin il y a l’électorat populaire, le socle de l’électorat de Netanyahou, persuadé de son innocence dans son procès et qui s’oppose en conséquence à la Cour suprême et au conseiller juridique au gouvernement qui est aussi le procureur de l’État. Rappelons que le procureur précédent avait mis en inculpation le Premier ministre pour corruption. Cet électorat est majoritairement d’origine orientale.
Quant aux opposants, on y trouve certes beaucoup plus de laïcs, mais il y a aussi des Israéliens qui se revendiquent comme des Juifs traditionalistes. En conclusion, la fracture entre les deux groupes est plus liée au positionnement de chacun par rapport à la culture occidentale et à ses valeurs portées par la démocratie qu’à son origine ethnique. ■
Pour visionner l’intégralité de la conférence ou les interventions une à une : https://www.youtube.com/user/JCallTv
Mis en ligne le 14 mai 2023
Claude Klein et la réforme de la Cour suprême. Le regard d’un juriste
L’ancien doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem est catégorique, « cette réforme n’est pas seulement une modification du système judiciaire, il s’agit de transformer l’ensemble du système politique d’Israël ». Il explique que, jusqu’à présent comme dans toutes les démocraties parlementaires, la Cour suprême d’Israël contrôle le travail législatif des élus de la Knesset et des ministres, elle s’assure que les lois sont constitutionnelles. « C’est ce contrôle que le gouvernement Netanyahou veut abolir » souligne-t-il. Il ajoute que, pour être certain de faire disparaître tout risque de «déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi », le projet du Ministre de la justice actuel, Yariv Levin, prévoit de modifier entièrement le système de nomination des juges de la Cour suprême et de le remettre aux mains des politiques. « Il n’y aura plus de barrière entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, plus de limites à la décision politique ». Le professeur de droit considère que, si cette réforme de la justice est menée à bien, « on se trouvera devant un changement de régime ». Jusqu’à présent, rappelle-t-il, la Cour Suprême a joué un rôle crucial dans la vie publique et politique du pays. Elle est intervenue souvent pour censurer ou réorienter certaines décisions du gouvernement et du parlement. Claude Klein reconnaît que « parfois la Cour Suprême a été un peu loin dans son contrôle des actes politiques, mais cela ne justifie en aucun cas le coup d’état constitutionnel que la majorité gouvernementale est en train de mener ». Claude Klein admet que « le gouvernement Netanyahou est parfaitement légitime, élu librement et démocratiquement. Mais cela ne lui donne pas le droit de modifier l’ensemble du système politique israélien ».
En Israël, le projet de loi sur la réforme de la justice prévoit qu’il suffira d’une majorité simple à la Knesset, soit 61 voix sur 120, pour bouleverser les règles constitutionnelles et le système politique. « C’est là que se situe le problème, avec ses 64 voix la majorité gouvernementale veut révolutionner la vie politique du pays, cela sans consensus et pour des objectifs partisans et des intérêts personnels » déplore Claude Klein. L’ancien doyen envisage que la Cour suprême annule le projet de réforme de la justice l’estimant contraire à l’esprit des lois constitutionnelles d’Israël. Dans ce cas, on entrerait dans une période de conflit entre les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif. « Il y a une possibilité d’éviter ce bras de fer si le gouvernement et les parlementaires de la majorité acceptent de modifier plusieurs volets du projet de loi de Yariv Levin. Dans le cas contraire, c’est une crise grave qui se dessine car les très nombreux citoyens qui manifestent contre le gouvernement de Netanyahou et son initiative judiciaire sont très attachés au caractère démocratique de l’État d’Israël. »
https://www.lapaixmaintenant.org/chronique-du-17-janvier-2023/