Les colonies sont défaillantes, ne subviennent pas à leurs besoins financiers, près de la moitié de leurs habitants sont ultra-orthodoxes et elles sont un fardeau pour l’État d’Israël. Elles ne durent que grâce au soutien financier massif de l’État.


Auteurs : Dr. Arieli, Pr. Hirschberger et Pr. Sivan Hirsch-Hoefler, Haaretz, 06 avril 2023

Traduction : Assaf Leibowitz pour LPM

https://www.haaretz.co.il/opinions/2023-04-06/ty-article-opinion/.premium/00000187-5224-dcdb-a9af-da2d48a60000

Photo : Modi’in Illit,  © Gil Cohen Magen

Mis en ligne le 9 avril 2023


Maintenant, alors que le gouvernement israélien prévoit d’achever la transition de l’occupation des territoires à l’annexion, il convient de savoir dans quelle mesure l’entreprise de colonisation – un objectif central du coup d’État judiciaire – a été un succès, et ce que l’avenir nous réserve. Selon un regard rapide sur le nombre de colons (475 000) et le nombre de colonies (126, plus 135 autres avant-postes illégaux, dont des dizaines de fermes agricoles), il semble que ce soit une réussite. Mais ce que révèle une étude approfondie des données démographiques (temporaires) de la région de Judée-Samarie pour 2022, publiée par le Bureau central des statistiques le mois dernier, est complètement différent.

Selon le CBS, le taux de croissance annuel de la population de colons est de 2,4 %. Cette croissance, qui n’est que légèrement supérieure à celle de la population générale (2,2 %), est-elle un succès ? La réponse est non, car Dieu se cache dans les petits détails, et dans une lecture approfondie des données. Premièrement, aux 464 462 Israéliens dénombrés dans le recensement à la fin de 2021, seuls 11 247 ont été ajoutés en 2022 – la plus faible augmentation des 12 dernières années (deuxième seulement après 2020, quand seulement 10 017 ont été ajoutés). Selon ce chiffre, le taux de croissance annuel de la population en Judée et Samarie est au plus bas, à un niveau sans précédent. Mais il ne suffit pas d’examiner l’augmentation du nombre de colons pour vraiment comprendre le changements démographiques dans les colonies:  il faut approfondir les causes du changement de l’évolution de la croissance annuelle et ses tendances.

Le solde de l’immigration interne, qui était négatif pour la première fois en 2020 (– 842) (le nombre de résidents qui ont déménagé de la Cisjordanie vers Israël était supérieur de 842 au nombre de ceux qui ont déménagé d’Israël vers la Cisjordanie) est devenu positif en 2021 (+74 résidents), mais redevient négatif en 2022 ( – 1022). Seul le doublement de ceux qui s’installent en Judée-Samarie en provenance de l’étranger en 2022 (plus de 80 % d’entre eux viennent de Russie et d’Ukraine suite à la guerre) permet un solde total de l’immigration très légèrement positif (+: 278 personnes). L’analyse des données démographiques au cours de la dernière décennie montre que dans la première moitié, le solde total de l’immigration a contribué pour environ un quart à la croissance annuelle de la population israélienne en Cisjordanie, tandis que, dans la seconde moitié de la décennie, ce solde a contribué à moins de 10 %, et en 2022, il n’était que de 2,2 %. Par conséquent, l’augmentation annuelle de la population juive est principalement basée sur l’accroissement naturel, ce qui masque la tendance d’une émigration (négative) en provenance des colonies.

Mais si l’accroissement naturel est élevé malgré les tendances à l’émigration, peut-être s’agit-il encore d’une success story ? En approfondissant les sources de l’accroissement naturel, nous découvrirons un phénomène connu depuis des années, mais délibérément étouffé par les promoteurs de la colonisation : 47 % de l’accroissement naturel total provient des deux villes ultra-orthodoxes, Modi’in Illit (3 239 personnes) et Bitar Illit (2 538 personnes), dans lesquelles vit environ un tiers de tous les Israéliens résidant en Judée-Samarie. C’est-à-dire que l’entreprise de colonisation a du mal à retenir ses colons et se caractérise par une immigration négative – s’agissant des « colonies idéologiques » et de celles axées sur « la qualité de vie » (ensemble) – mais cet échec retentissant ne ressort pas immédiatement des données, car le taux de natalité élevé des ultra-orthodoxes cache ce qui se passe réellement.

Si ces tendances se poursuivent, les ultra-orthodoxes représenteront inévitablement d’ici une décennie environ la moitié des habitants de Judée-Samarie, et la proportion de laïcs y sera inférieure à 15 % (le reste sera national religieux). Cette évolution aura de lourdes conséquences économiques, car les implantations ultra-orthodoxes se situent dans le cluster 1, le plus bas de l’indice socio-économique de l’Institut de la statistique. C’est un fardeau qui pèse de plus en plus sur le contribuable israélien, sans perspective de changement, faute de sources d’emploi pour les Israéliens en Judée-Samarie. 60% de la main-d’œuvre israélienne vivant dans les Territoires va chaque jour travailler en Israël, et la plupart des autres sont employés dans des emplois municipaux dans les colonies elles-mêmes.

Le Conseil de Yesha (Judée-Samarie) n’aime pas ces chiffres et préfère prétendre que ces tendances sont le résultat de l’absence de délivrance d’un nombre suffisant de permis de construire. C’est un argument qui peut être facilement réfuté : au cours des cinq dernières années, le nombre de mises en chantier rapportées par l’Institut de statistique était des dizaines de pour cent plus élevé qu’au cours des cinq années qui les ont précédées. Le 7 janvier 2021, le directeur du Conseil Yesha, Yigal Dilamoni, a écrit dans un article dans Haaretz : « Il y a seulement deux ans environ, des centaines d’unités ont été approuvées à Ariel, et cette année à Ma’ale Adumim. Nous commencerons à voir leur occupation dans l’année à venir », c’est-à-dire en 2021. Et que s’est-il passé depuis ?

En 2021, Ariel avait un solde d’immigration négatif de -168, et Ma’ale Adumim avait un solde d’immigration négatif de -872. De plus, l’augmentation annuelle totale à Ariel n’était que de 30 personnes, et à Ma’ale Adumim, le nombre d’habitants a même diminué de 314. Cette tendance s’est poursuivie dans ces deux villes laïques en 2022 également. Ariel continue de se caractériser par un solde migratoire négatif (-85) et une augmentation annuelle de moins de 100 personnes. Depuis 2021, elle a reculé et est devenue la quatrième plus grande colonie, après Givat Ze’ev, et le nombre de ses habitants n’a pas encore franchi les 20 000, malgré les centaines d’Arabes enregistrés comme résidents. À Ma’ale Adumim, malgré un nombre élevé d’immigrants l’année dernière, le nombre total d’habitants a diminué de 132 personnes.

Au cours des trois dernières années, les deux villes ultra-orthodoxes partagent également cette tendance à l’immigration négative. En 2020, 758 habitants de plus ont quitté Modi’in Illit par rapport à ceux qui s’y sont installés. En 2021, 452 résidents de plus sont venus par rapport à ceux qui en sont partis, et en 2022, le différentiel était de 867 résidents (de plus sont partis qu’ils n’y sont entrés). C’est également le cas à Beitar Ilit (-1752, -158, -419, respectivement). Comme mentionné ci-dessus, seul le fort accroissement naturel de ces villes a maintenu une croissance annuelle positive.

En fin de compte, vivre dans les territoires n’est pas attrayant malgré tous les avantages octroyés et les colonies ne parviennent pas à attirer de nouveaux résidents qui remplaceront ceux qui partent. Si quelqu’un espère encore que les colonies juives modifieront l’équilibre démographique dans les territoires, il ne peut qu’être déçu. La proportion d’Israéliens parmi tous les résidents de Cisjordanie diminue et n’est actuellement que de 13,5 %. De Naplouse et au nord jusqu’à la Ligne verte et le Gush Etzion et au sud de la Ligne verte, la présence israélienne est minime et son poids démographique est inférieur à 4 %. 75 % des Israéliens qui vivent au-delà de la Ligne verte (y compris à Jérusalem-Est) sont concentrés dans la périphérie de Jérusalem où se trouvent les trois plus grandes villes – Modi’in Illit, Beitar Illit et Ma’ale Adumim -, destinées à être rattachées à Israël dans le cadre d’un règlement permanent, comme le proposent Israël et les Palestiniens.

Malgré le soutien important que le mouvement des colons reçoit des partis politiques et des gouvernements israéliens, il n’a pas réussi à s’installer dans le cœur du public israélien. Malgré la tentative de le présenter comme un succès irréversible, en présentant superficiellement le nombre de colons et de colonies, au sens psychologique, la ligne verte n’a pas été effacée, mais approfondie.

En fait, au delà du soutien des dirigeants politiques, la plupart des acquis du mouvement des colons sont très fragiles. Cela s’est vu dans le désengagement de Gaza : dès que le mouvement des colons a perdu le soutien de l’État, il s’est retrouvé presque impuissant et incapable de protéger les colonies. Le public a majoritairement soutenu la position de l’État, et non celle du mouvement des colons. Aujourd’hui encore, seule une minorité de la société israélienne soutient l’expansion des colonies, et encore moins soutient l’annexion unilatérale de la Cisjordanie. L’opinion publique internationale est largement hostile à toutes les colonies et la communauté internationale les considère comme une violation du droit international. La résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU en 2016 appelait à leur dissolution.

Sur cette base, le gouvernement israélien actuel et les dirigeants des colons ont maintenant adopté un plan qui comprend deux volets principaux. Le premier, basé sur l’idée qu’il est impossible de vaincre la démographie palestinienne et d’annexer l’ensemble du territoire palestinien sans nuire à la majorité juive de l’État d’Israël, est un effort pour empêcher la création d’un État palestinien en entravant significativement la continuité du territoire palestinien. La zone qui convient pour atteindre cet objectif et divise la Cisjordanie en deux est celle qui entoure Jérusalem, où la moitié de sa population est déjà juive, de sorte que le gouvernement, dirigé par Bezalel Smotrich, cherche à étoffer cette zone en construisant de vastes quartiers à Jérusalem et dans les colonies environnantes.

Au nord de Jérusalem, dans ce qui était autrefois l’aéroport Atarot, un quartier de 9 000 logements est prévu; au sud de la ville le quartier Givat Hamatos est en cours de construction – 2 610 logements selon le plan, et deux autres nouveaux quartiers sont prévus à proximité: le Lower Aqueduct avec 1 446 appartements, et le Mount Wall avec 539 appartements. Par ailleurs, d’autres quartiers sont prévus : Givat Al-Shaked près de Beit Tzafafa avec 473 appartements, à Ma’ale Adumim le quartier de Mevasser Adumim (E1) avec 3 412 appartements, à Efrat, Givat Itam avec environ 2 500 appartements. Récemment, le Comité suprême de planification de l’administration civile a même approuvé des centaines de logements supplémentaires dans d’autres localités autour de Jérusalem. Il s’agit donc d’un ajout de plus de 22 000 logements.

La majorité de la population destinée à vivre dans ces quartiers est bien sûr issue de la société ultra-orthodoxe, qui souffre d’une crise du logement. En d’autres termes, c’est un ajout de plus de 140 000 Israéliens, pour la plupart ultra-orthodoxes, dont la plupart vivront à Jérusalem-Est (et certains d’entre eux dans la périphérie de Jérusalem), et une expansion significative de la zone tampon construite entre le sud de la Cisjordanie et le nord. Cette décision garantira que la tendance négative à l’immigration qui caractérise Jérusalem depuis plus de 30 ans, -8 000 personnes en moyenne chaque année, dont la moitié sont ultra-orthodoxes, sera inversée. De graves conséquences économiques en découleront : la situation de Jérusalem s’est déjà détériorée et la ville se situe dans le groupe 2 de l’indice socio-économique, principalement en raison de la proportion croissante d’ultra-orthodoxes (un autre facteur de détérioration est la proportion croissante d’Arabes). Sa situation pourrait de détériorer davantage encore et connaître un point de non-retour.

La ville, qui va bientôt franchir le seuil du million d’habitants, risque de se retrouver dans une situation socio-économique très difficile, à l’image des colonies ultra-orthodoxes environnantes. Une situation absurde et dangereuse se développe dans laquelle la majorité des habitants de la capitale d’Israël nie en fait le sionisme. En outre, la ville se détériorera et ressemblera dans sa pauvreté aux descriptions connues des livres d’histoire de la période ottomane à Jérusalem. Ce sera une ville pauvre et non sioniste, avec près de la moitié de ses habitants non citoyens ; elle aura du mal à fonctionner comme capitale d’Israël.

La deuxième étape du plan du gouvernement et des chefs des colons est de renforcer l’emprise sur le dos de la montagne en contrôlant la route 60, qui relie les principales villes palestiniennes, de Jénine à Hébron (dans ce contexte, l’abrogation de la loi du désengagement le mois dernier et le retour à Homesh et Evyatar peuvent aussi se comprendre). Atteindre cet objectif implique de « blanchir » des dizaines d’avant-postes illégaux, construits le long de la route 60 précisément à dans ce but. La « loi de régulation » qui sera promulguée à nouveau et la « clause de remplacement » qui empêchera la Cour Supreme de l’invalider une fois de plus, sont censées réglementer la prise de contrôle définitive des « terres de l’État » et des terres appartenant à des propriétaires privés palestiniens, sur lesquelles ces des avant-postes ont été construits.

Parallèlement, le gouvernement poursuit la mise en œuvre du plan directeur des transports en Israël, lancé il y a trois ans avec un budget prévu de 13 milliards de shekels et dont l’objectif est de relier rapidement la plupart des colonies isolées à Jérusalem et à Israël. Par exemple, la route de contournement de Huwara vers les quatre colonies de la région de Naplouse disposera d’un budget de 800 millions de shekels, et un investissement similaire a été réalisé dans le contournement d’Al-Arub au sud de Gush Etzion – tout cela juste pour assurer une connexion rapide à Jérusalem pour environ 20 000 Israéliens vivant dans la région d’Hébron où vivent 800 000 Palestiniens. De plus, Israël prévoit d’achever le nouveau programme d’approvisionnement en eau d’un coût de près de deux milliards de shekels, qui assurera l’approvisionnement en eau d’Israël aux colonies de Judée et de Samarie

L’entreprise de colonisation est un échec du sionisme quel que soit l’angle sous lequel on l’examine. Elle met en danger la majorité juive en Israël et la démocratie, et en outre, elle ne « résiste » pas. Les colonies sont défaillantes, ne subviennent pas à leurs besoins financiers; près de la moitié de leurs habitants sont ultra-orthodoxes et elles sont un fardeau pour l’État d’Israël. Elles ne tiennent que grâce à un soutien financier massif de l’État, et même cela ne suffit pas à empêcher leurs habitants de fuir.

Aujourd’hui déjà, les conseils locaux et régionaux bénéficient de subventions gouvernementales, principalement des subventions d’équilibre de la part du ministère de l’Intérieur, de manière inhabituelle et contrairement aux décisions des différentes commissions concernées. Près de 80% du budget de ces collectivités (le double de la moyenne en Israël) proviennent de subventions et maintenant, avec Smotrich au ministère des Finances et un ministre au ministère de la Défense, et avec Aryeh Deri le (probablement futur) ministre de l’Intérieur, ce pourcentage de subventions pourrait atteindre des taux encore plus élevés.

Cette subvention assurera une augmentation du nombre de personnes employées dans les emplois gouvernementaux dans les conseils locaux et régionaux, qui représentent déjà aujourd’hui environ un tiers de la main-d’œuvre – plus du double de la moyenne en Israël. C’est une alliance des voleurs du trésor public et des destructeurs de la démocratie sioniste hébraïque. Bien qu’ils ne représentent qu’un quart de l’opinion publique israélienne, ils dirigent la politique d’Israël en contrepartie de leur contribution au sauvetage de Binyamin Netanyahu de la menace d’un procés. Les considérations économiques ne dérangent pas les promoteurs de la rédemption, comme en témoigne ce que Smotrich écrivait dans un article il y a une dizaine d’années : « Il (le sionisme religieux) mérite plus… parce que ses fils se sont vu confier la tâche de diriger le peuple d’Israël. » (« Nous méritons plus », « Basheva », 2012).

La prise de conscience des conséquences sociales, économiques et sécuritaires de la poursuite du projet de colonisation est particulièrement importante au vu du changement de régime qui nous nous menace et qui devrait accélérer les processus auxquels nous assistons déjà aujourd’hui en Cisjordanie. Il existe un lien indissociable entre la transition de l’occupation à l’annexion et les dommages causés au régime démocratique de l’État d’Israël. La réponse aux deux est une reconnexion à l’idéologie libérale-démocrate qui a inspiré le développement du sionisme et la création de l’État d’Israël, une idéologie qui s’exprime dans la Déclaration d’indépendance : un État démocratique à majorité juive, sûr, parie prenante de la famille des nations.

L’entreprise de colonisation est une mutation dangereuse du sionisme et elle conduira à un pays majoritairement non juif, un pays où, ironiquement et malheureusement, la population juive non sioniste acculera la population juive sioniste dans un coin, avec l’aide d’encouragements et de subventions de l’État. Ce processus conduira à un effondrement économique, moral et social menaçant notre existence même en ce lieu. Le camp libéral-démocrate doit se battre non seulement pour arrêter le coup d’État, mais aussi pour ramener l’État d’Israël aux valeurs de la déclaration d’indépendance et pour mettre fin au conflit par une séparation politique des Palestiniens par le biais d’un accord.

Dr Arieli, Pr. Hirschberger et  Pr. Hirsch-Feller sont enseignants et chercheurs à l’Université Reichman.