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Palestine Media Center, 18 décembre 2004

Discours de Yasser Abed Rabbo à la conférence d’Herzliya

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Herzliya, jeudi 16 décembre 2004

Mesdames et messieurs,

Aujourd’hui, nous avons une occasion : les deux peuples sont fatigués du
conflit et veulent en terminer. Les expérimentations de mauvais aloi, comme
« laisser Tsahal gagner », ou l’unilatéralisme, sont discréditées. Le monde
politique se recompose, en Israël et en Palestine. Le moment ne pouvait pas
être plus approprié, ni l’occasion plus grande.

Au sein de la direction palestinienne, nous ressentons les changements, et
nous saurons utiliser cette dynamique pour réaliser des progrès, rapides et
concrets. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les
élections aient lieu [[ce discours était prononcé avant les élections en Palestine, bien sûr]], que cessent la violence et le chaos, et que la réforme se poursuive. Mais nous savons aussi que pour transformer cette bouffée d’énergie en une entreprise à long terme, et pour obtenir des résultats tangibles, nous avons besoin de deux choses : un partenaire israélien, et un processus politique crédible, qui mettra fin à notre conflit vieux maintenant de plusieurs dizaines d’années.

Aujourd’hui, le Premier ministre Sharon s’adressera à cette honorable
assemblée, et nous l’écouterons attentivement pour voir s’il a effectivement
saisi la mesure de la chance qui s’offre à nous. Lorsque Mahmoud Abbas est
devenu Premier ministre, l’année dernière, nous n’avions pas de partenaire
israélien. Le gouvernement israélien nous considérait avec hésitation et
soupçon, chaque détail devenait une concession, et la moindre action faisait
l’objet de négociations à n’en plus finir. Si, aujourd’hui, nous entendons
le même discours, je peux vous assurer que nous échouerons tous.

Quand le Premier ministre Sharon abandonnera l’argument du « il n’y a pas de
partenaire », il ne faut pas qu’il le remplace par le slogan, plus destructeur encore, de la conditionnalité. Des deux côtés, nous savons ce que nous avons à faire, cela figure en toutes lettres dans la Feuille de route, et chacun doit le faire en parallèle. Donc, je vous l’affirme, monsieur Sharon, nous pouvons, en un an, arriver à un accord définitif et mettre fin au conflit.

Les grandes occasions exigent des dirigeants courageux, qui savent insuffler
de l’énergie dans un processus. Pas de ceux qui laissent leurs bureaucrates
les enliser dans des considérations sans fin.

Mesdames et messieurs,

Même avec les meilleures déclarations de bonne volonté, un processus politique crédible est nécessaire pour tourner la page de ces quatre dernières années, un processus qui mènera à une fin définitive du conflit israélo-palestinien, un processus qui garantira aux deux peuples qu’ils n’auront plus à subir de nouveau l’incertitude et l’instabilité qu’entraînerait une nouvelle période transitoire.

Seul ce contexte de processus politique nous permettra de consolider la sécurité, la démocratie et les mesures de réforme que nous avons commencé à prendre. Ce n’est que dans ce seul contexte qu’un espace se créera, qui légitimera le message de paix lors des prochaines élections législatives palestiniennes.

Aujourd’hui, les éléments de ce contexte n’existent pas. Le désengagement de
Gaza suscite de nombreuses interrogations.

Israël va se retirer de Gaza, et cela est bien, indubitablement. Les gouvernements d’Israël semblent avoir abandonné la mascarade d' »il n’y a pas de partenaire ». Cela aussi est encourageant.

Mais nous ne savons toujours pas ce qui va se produire après ce retrait. Sera-ce « Gaza d’abord », ou « Gaza, un point c’est tout »? Nous avons encore en mémoire l’interview de Mr Weisglass à Haaretz [[dans une interview à Haaretz, Dov Weisglass, conseiller de Sharon, déclarait que le retrait de Gaza permettrait de « mettre le processus de paix dans du formol ». Voir à ce sujet notre article :
[->https://www.lapaixmaintenant.org/article846] ]]. Il n’est nul besoin de préciser qu’il n’existe aucun partenaire palestinien prêt à participer à une solution partielle ou intérimaire qui ignorerait nos objectifs stratégiques et nos intérêts.

Pour devenir partenaires dans le plan de désengagement, nous avons besoin de
réponses crédibles. Nous avons besoin de voir la fin de la politique expansionniste en Cisjordanie, à savoir l’expansion des colonies et la
construction du mur. Nous avons également besoin de discerner à l’horizon
une solution définitive et réaliste fondée sur l’idée de deux Etats. Ce n’est qu’alors que nous croirons que s’engager en faveur de ce plan ne conduira pas à la cantonisation de la Palestine.

Bien entendu, cette solution doit être acceptable pour les deux parties. Les
plans qui ne seront acceptés par les Palestiniens, comme celui présenté par
Mr Lieberman [[s’exprimant avant Yasser Abed Rabbo lors de cette conférence, l’ancien ministre d’extrême-droite Avigdor Lieberman avait fait un certain nombre de propositions unilatérales, tout en précisant « ne pas rechercher la paix,
mais la sécurité » avec les Palestiniens]], ne sont pas constructifs, à moins que leurs auteurs ne soient encore prisonniers de l’illusion qu’il est possible d’imposer un accord et non de le négocier. De même, de notre côté, nous comprenons que des idées qui sont inacceptables pour le plus grand nombre des Israéliens ne nous permettent pas d’avancer.

Mesdames et messieurs,

C’est dans ce contexte, celui d’un horizon politique crédible, que l’initiative de Genève est cruciale. Il est évident que Genève n’est ni la Torah ni le Coran, et qu’aucun de nous n’est marié avec telle ou telle virgule qui figure dans le document. Mais il y a certains aspects de fond qui doivent constituer les fondations de tout futur accord de paix.

L’accord doit être exhaustif, et ne pas laisser une quelconque question sans
réponse. Il doit être mis fin au conflit de manière claire, permanente et définitive. Toute question qui resterait sans solution deviendrait un point de ralliement pour ceux qui tirent bénéfice de la pérennisation du conflit, les extrémistes qui font leur miel de la violence.

L’accord doit être fondé sur les intérêts concrets des deux parties, et non sur des positions idéologiques. Il nous faudra longtemps pour réconcilier nos récits respectifs de l’histoire, mais il existe assez de questions et d’intérêts pour l’avenir, pour construire la paix autour d’eux. La fonction d’un accord de paix est de fournir un avenir crédible et stable. Soigner les traumatismes de l’histoire et définir les identités nationales, ce sera le travail des poètes et des historiens.

L’accord doit refléter les complexités de notre conflit, et proposer, par voie de conséquence, des solutions subtiles, détaillées et équilibrées. On peut trouver un certain confort dans les généralités, et de l’attrait aux déclarations péremptoires. Mais pour trouver une solution acceptable et réaliste susceptible de démanteler la machine infernale de 37 ans d’occupation, pour en finir avec une situation des réfugiés vieille de 60 ans, pour partager la ville la plus sacrée du monde, et pour concevoir un mécanisme de sécurité dans un environnement difficile, il faut des solutions détaillées.

Tout cela est dans l’initiative de Genève.

Il est facile pour deux Israéliens de s’asseoir ensemble et de concocter une
initiative qui recueillerait un consensus israélien, et il est facile pour un Palestinien et un Israélien de s’asseoir ensemble et de se mettre d’accord sur des principes généraux. Mais on ne peut tailler des solutions acceptables et crédibles à partir des souhaits d’une seule partie, et on ne peut cacher les problèmes concrets derrière des slogans. Les détails sont importants, et c’est ce qui explique l’impact de l’initiative de Genève : les détails sont la preuve que c’est possible.

Chers amis,

Je suis un réfugié de Jaffa. Je sais exactement où se trouvait ma maison familiale. Aucun traité de paix n’éradiquera de ma mémoire les souvenirs de cette maison et de la famille qui y vivait.

Mais je suis également un dirigeant palestinien responsable, qui souhaite, à
lui-même et à son peuple, de bâtir un avenir, et non plus de vivre dans le passé. Je sais qu’il n’y aura pas de retour collectif de Palestiniens en Israël. En tant que dirigeants, moi-même et le groupe des ministres et des élus du Fatah qui ont signé Genève, ainsi que 61% des Palestiniens, d’après un sondage du mois dernier, sommes prêts à accepter un accord qui donnera à Israël toutes les garanties juridiques et pratiques nécessaires concernant les réfugiés.

Mais si vous me demandez de renoncer au lien émotionnel que j’ai avec le
passé, et si je vous demande de renoncer à au lien spirituel que vous avez
avec votre histoire, nous n’arriverons à rien.

L’ancien Premier ministre Barak vient de s’exprimer devant vous. J’espère que nous tirerons les leçons de cette période. L’erreur n’a pas été de parier sur la fin de la partie, mais elle réside dans la manière dont cela s’est fait. Sans nous préparer, nous-mêmes, nos opinions, nos négociateurs, nous avons eu tout faux, des deux côtés. C’est pourquoi la Coalition palestinienne pour la Paix – Initiative de Genève a consacré toute l’année dernière à porter notre message à l’opinion palestinienne, dans les camps de réfugiés, dans les camps de jeunesse, dans les campagnes. Bien sûr, il y a des extrémistes et des rejectionnistes, mais le peuple et sa direction ont compris que c’étaient là les paramètres, et y voient de l’espoir.

Dans un moment, nous vous projetterons un court clip vidéo de notre dernière
campagne : dans des spots diffusés à la TV, dans les cinémas et sur internet, des personnalités des deux côtés s’adressent aux opinions, chacun à l’autre côté, avec pour message qu’il y a un partenaire pour faire la paix. [Ces clips sont disponibles sur le site [ qui deviendra bientôt le site commun des équipes israélienne et palestinienne des accords de Genève. Voir à ce propos notre article [->https://www.lapaixmaintenant.org/article898] ]]

Chers amis,

Permettez-moi de terminer par là où j’ai commencé. Nous avons une chance, et
il ne faut pas la gâcher. Il vous est facile de dire que vous n’avez pas de partenaire, ou d’attendre pour voir si la nouvelle direction palestinienne sera à la hauteur. Comme il nous est facile de désigner le Sharon de 1982 ou de 2002 et de dire que cet homme n’a pas réellement changé. Tout cela est facile, mais ne nous conduira qu’à plus de souffrances et à plus de sang versé.

Les partenaires ne poussent pas sur les arbres, ils se façonnent : pas par des déclarations et des opérations de relations publiques, mais par l’action, concrète et courageuse. Lorsque nous parviendrons à une vision commune de notre avenir, claire et réaliste, les choses deviendront plus faciles. Les partenaires que vous avez toujours eus en Palestine seront là, pour marcher à vos côtés sur ce chemin.