Depuis des années, un puissant camp arabe dirigé par l’Arabie Saoudite offre à Israël la sécurité et la coopération régionale. L’annexion provoquera la fermeture cette porte.
Traduction : Jacqueline London pour LPM
Auteur : Nawaf Obaid pour Haaretz, 18 juin 2020
Photo : Un manifestant tient des drapeaux palestiniens lors d’une manifestation à Kfar Qaddum près de Naplouse, le 6 juin 2020, contre le projet d’Israël d’annexer certaines parties de la Cisjordanie occupée. © MOHAMAD TOROKMAN/ REUTERS
Mis en ligne le 6 juillet 2020
Depuis deux décennies, les États arabes les plus importants envoient aux Israéliens des messages d’espoir pour un meilleur avenir commun. Or, même si les Israéliens prétendent être intéressés par de meilleures relations avec les principales nations arabes, ils n’ont jusqu’à présent pas répondu.
Jusqu’à récemment, ces messages transmettaient une proposition simple : nous allons progresser sur le front palestinien avec réciproquement des progrès dans les relations bilatérales et la coopération régionale. Mais si Israël annexait les colonies juives en Cisjordanie, il condamnerait tous les espoirs de paix avec les Palestiniens, fermerait la porte aux liens stratégiques régionaux et inverserait tous les progrès qui ont été réalisés avec certains pays arabes.
Tout a commencé en 2002, lorsque le prince héritier Abdallah d’Arabie Saoudite de l’époque a lancé l’initiative de paix saoudienne, dont une version a ensuite été adoptée par la Ligue Arabe et l’Organisation de la Conférence Islamique sous le nom d’Initiative de Paix Arabe (API). Quelque 57 pays, se sont déclarés conjointement prêts à une normalisation complète des relations avec Israël une fois que le conflit avec les Palestiniens aura été résolu dans le cadre d’un accord négocié à deux États.
Mais beaucoup de choses sont survenues dans la région au cours des deux décennies suivantes. Plusieurs pays arabes ont connu des bouleversements internes traumatisants dont certains n’ont pas encore été résolus. Parallèlement, face aux efforts déstabilisateurs de forces hostiles telles que l’Iran, l’Etat islamique (ISIS), Al-Qaïda, le Hezbollah, les Frères musulmans et diverses milices chiites régionales, les principaux États arabes et Israël se sont retrouvés du même côté de la fracture régionale, cherchant à contrôler ces forces destructrices.
Les Arabes, conduits dans cet effort par le Quartet arabe – Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Égypte et Jordanie – et d’autres pays dans le Golfe arabe et même au-delà, ont choisi de ne pas se résigner aux échecs répétés des négociations israélo-palestiniennes, mais plutôt d’essayer d’améliorer les perspectives et les chances d’un éventuel succès en démontrant aux Israéliens et aux Palestiniens les avantages régionaux potentiels si l’on se dirigeait vers la voie bilatérale de la paix.
Le premier à exprimer publiquement cette vision a été le prince Turki Al Faisal, ancien chef de longue date du renseignement saoudien. Sa courageuse démarche publiée en hébreu dans les pages de Haaretz le 7 juillet 2014, invitait les Israéliens à « rêver à quoi ressemblerait cette terre déchirée par la guerre s’il y avait un accord entre les deux peuples: imaginez que je puisse m’envoler pour Jérusalem et vous inviter à Riyad. »
Ce n’était pas le dernier message du prince Turki aux Israéliens, d’autres dignitaires arabes ont suivi avec leurs propres gestes publics de paix. Certains ont invité des athlètes israéliens, des experts dans divers domaines et des diplomates à participer à des événements internationaux organisés par les États Arabes du Golfe. D’autres sont même allés plus loin, invitant des responsables israéliens – membres du cabinet et le Premier ministre inclus – à des réunions bilatérales.
Parallèlement, des initiatives mineures ont été prises sur des questions telles que la diminution du temps de voyage des Israéliens vers l’Extrême-Orient en permettant le survol de l’espace aérien de pays avec lesquels Israël n’a pas encore établi de relations diplomatiques. Les déclarations officielles du ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, du représentant aux Nations Unies des Émirats Arabes Unis et d’autres diplomates arabes, ainsi que des médias locaux dans ces pays, reflètent de plus en plus la naissance d’une préparation des peuples à un nouveau chapitre des relations avec Israël. Le schéma principal est : la paix, la coopération, la prospérité, la sécurité et la stabilité.
Mais toute cette vague d’évolutions reposait sur cette seule prémisse : une fois que les Israéliens se rendront compte que le message de l’Initiative Arabe de Paix n’est pas une simple rhétorique, et qu’ils verront qu’elle est la preuve d’une promesse de coopération régionale mutuellement bénéfique dans tous les domaines – affaires, investissements, tourisme, sports, sécurité et plus encore, ils exhorteront leurs élus à rendre la pareille pour ces indications de bonne volonté avec comme seul facteur nécessaire à sa réalisation un engagement clair du gouvernement israélien en faveur d’une solution négociée à deux États et des preuves irréfutables de progrès concrets pour cela.
Près de quatre décennies après la présentation du premier plan de paix arabe le 7 août 1981 par le prince héritier Fahd d’Arabie Saoudite de l’époque, les échecs répétés n’ont pas dissuadé ceux du monde arabe qui sont depuis longtemps convaincus que la majorité des Israéliens et des Palestiniens soutiendrait les dirigeants courageux qui prendraient les décisions audacieuses requises. Pour l’y encourager, maintes et maintes fois, les engagements collectifs et individuels à l’égard de l’Initiative Arabe de Paix ont été inlassablement réitérés. Et pourtant, Israël n’a pas encore répondu. Il faut se demander : où est la majorité silencieuse d’Israël ?
Un puissant camp arabe dirigé par l’Arabie saoudite tend toujours à Israël une main de coopération basée sur des lignes directrices claires de longue date de l’Initiative arabe de paix qui contredisent le plan de paix délirant de Trump qui vise à humilier les Palestiniens dans la soumission. Les Saoudiens, en tant qu’auteurs du plan de paix arabe et seuls capables de légitimer cette ouverture de paix avec Israël à 1,5 milliard de musulmans à travers le monde, surveilleront de très près un renversement de dernière minute dans la décision d’annexion. Ceci constituerait un signal montrant que, lorsque les Arabes parlent de paix, les Israéliens sont prêts à écouter.
Si le projet de loi sur l’annexion de la Cisjordanie est adopté par la Knesset, toutes ces possibilités seront réduites à une note de bas de page d’histoire. Une annexion unilatérale enverra à la région un message clair : Israël a décidé de claquer la porte à une solution négociée à deux États, et avec elle, à tout espoir de normaliser les relations avec le monde arabe et plus largement avec l’ensemble des musulmans.