[Interrogée de bon matin sur la Deux, la déléguée générale de la Palestine en France, Leïla Shahid, répondait hier à une question faisant état des rumeurs d’empoisonnement du président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, et de l’accès qu’elle aurait eu au dossier médical. Les médecins de l’hôpital Percy, qui avaient pratiqué à l’arrivée de leur illustre patient des examens approfondis, dont une analyse toxicologique, n’avaient trouvé trace d’aucune substance toxique, affirmait-elle. Mais, ajoutait-elle aussitôt, une substance inconnue n’est pas à exclure.
Allégation gratuite mais non dénuée d’effet, comme l’expose l’article de Danny Rubinstein sorti au même moment dans les kiosques israéliens. La position des extrémistes s’en trouve renforcée, au détriment de l’Autorité palestinienne que Mme Shahid représente officiellement.
Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que l’actuel Premier ministre palestinien, Ahmed Qorei, demande la communication du dossier médical français, comme l’affirmait une dépêche de l’agence Reuters tombée hier en fin d’après-midi. ]
[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/501543]
Ha’aretz, lundi 15 novembre 2004
Trad. Tal Aronzon pour La Paix Maintenant
Dans la vaste foule réunie dans la Muqata de Ramallah pour les funérailles du Raïs, le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, on pouvait voir circuler d’importantes bandes de manifestants en un constant défilé chantant des slogans. L’un au moins de ces groupes s’unissait autour de ce cri « Qui l’a empoisonné boira son sang ! »
Nombreux sont ceux, dans l’opinion palestinienne et peut-être au sein de la direction elle-même, qui attribuent la cause de la mort d’Arafat à un empoisonnement par des agents secrets israéliens. Nous ne connaîtrons probablement jamais la réalité, puisqu’aucune autopsie n’a été pratiquée sur Arafat, et il est douteux que l’hôpital français donne des informations précises à ce sujet. Le médecin personnel d’Arafat, le Dr. Ashraf Al-Kurdi, qui l’a examiné avant son départ pour Paris, dit – sans pour autant désigner Israël d’un doigt accusateur – que l’empoisonnement n’est pas exclu.
Les implications politiques de cette affaire ne sont pas dénuées d’intérêt. Khaled Meshal, qui dirige le Bureau politique du Hamas et a lui-même réchappé d’une tentative d’empoisonnement par des agents du Mossad [[Services secrets israéliens.]], fut prompt à clamer, ce week-end, que la cause de la mort d’Arafat était claire à ses yeux – un empoisonnement d’origine israélienne. Pareille accusation fait flamber la haine contre Israël dans l’opinion palestinienne et plus généralement arabe, excite les rêves de vengeance et s’inscrit donc dans la démarche politique du Hamas, qui tente de mobiliser les appuis à la lutte armée et au terrorisme.
Au plus haut niveau de l’Autorité palestinienne, les objectifs sont symétriquement contraires – réduire la haine et le soutien aux attentats. Il est bien possible que ce soit la raison pour laquelle le ministre palestinien des Affaires étrangères, Nabil Sha’ath, a déclaré lors d’une conférence de presse à Paris, tenue alors qu’Arafat était mourant, que les médecins de l’hôpital militaire français avaient rejeté l’hypothèse d’un empoisonnement.
Si importante que soit la vérité en cette affaire, ce que croit l’opinion publique ne l’est pas moins. Il y sans doute plus d’un exemple d’incidents similaires dans l’histoire du conflit israélo-arabe, et ceci des deux côtés. L’un d’eux est la croyance autrefois ancrée dans le monde arabe, et qui persiste peut-être, que la Knesseth affiche en son sein une carte d’Israël s’étendant du Nil à l’Euphrate. Des porte-parole arabes et palestiniens ont propagé cette légende en d’innombrables occasions. Arafat ne fut pas le dernier, ajoutant, lors d’une interview, que les deux bandes bleues du drapeau israélien représentent le Nil et l’Euphrate. A l’appui de cette théorie, il déclara, il y a des années de cela, que la pièce de dix agoroth [[Il s’agit de la pièce de dix centimes.]], sur laquelle le symbole de la Ménorah (le chandelier) apparaît sur le fond indistinct d’une image dépeignant à l’entendre les régions sur lesquelles Israël veut s’étendre – de l’Égypte à l’Irak, là encore.
Il n’est pas un Israélien, même parmi ceux qui comprennent le désespoir des Palestiniens, pour admettre ces affabulations. Ni la légende de la carte, ni les bandes bleues du drapeau, qui fut dessiné à partir des couleurs du talith traditionnel (le châle de prière), ni l’histoire de la pièce, une réplique d’une pièce de l’ancien royaume d’Israël.
Ces croyances, qu’Arafat partageait, avaient leur importance. Elles confirmaient la thèse qui prévaut dans l’opinion arabe et palestinienne quant aux objectifs politiques d’Israël, qui voudrait s’étendre aux dépens des Arabes. Elles cristallisèrent les sentiments hostiles de la rue, et servirent d’instrument pour mobiliser les soutiens dans la guerre contre Israël.
La croyance palestinienne que des agents israéliens ont empoisonné Arafat prouve la profondeur de l’amertume, de la haine et du ressentiment à l’encontre d’Israël. Du point de vue de ceux qui partagent cette conviction, non content d’emprisonner leur leader dans sa résidence et d’humilier celui qui était leur symbole national, Israël à la fin l’a éliminé par des moyens occultes. Si une telle croyance devait l’emporter dans l’opinion palestinienne, il serait difficile d’imaginer un accord de paix. Seuls régneraient la violence et le sang versé.