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Haaretz, 30 janvier 2004
L’attentat suicide d’hier contre un bus en plein centre de Jerusalem, qui a
tue 10 personnes et blesse plusieurs dizaines d’autres, a d’autant plus
choque les Israeliens qu’il s’est produit au milieu d’une etrange
celebration autour de l’echange de prisonniers avec le Hezbollah, et les a
renvoyes a la sombre realite dont est faite ici la vie quotidienne. Depuis
quelque temps, les services de securite lancaient l’alarme et disaient que
le calme relatif du cote israelien etait trompeur, que quasiment pas un jour
ne passait sans qu’un attentat ne soit dejoue ou sans une alerte, et que les
forces de securite ne pouvaient en aucune maniere garantir une prevention
totale des attentats.
Cette sombre realite, dont il est naturel que beaucoup aient envie de
l’oublier, explique peut-etre la soudaine effervescence qui s’est emparee du
public alors que l’accord (d’echange de prisonniers) etait en cours
d’execution – un mauvais accord, politiquement comme moralement. Une societe
moins tendue et moins frustree, et dont les dirigeants auraient ete moins
preoccupes de leur survie politique, aurait probablement reagi avec
davantage de reserve aux cotes absurdement inegaux et peu sages de cet
accord.
Alors que le public suit, avec une extraordinaire emotion, le retour des
depouilles des soldats tues dans l’accomplissement de leur mission, et avec
beaucoup de curiosite le retour au sein de sa famille d’un aventurier, sinon
d’un criminel, des dizaines de gens se font tuer. L’indifference des
dirigeants a cette tuerie continuelle de Palestiniens et d’Israeliens
s’accorde mal avec les enormes efforts investis par le gouvernement pour
celebrer la « fete » d’hier soir, qui marquait le retour de ceux dont on
savait qu’ils etaient morts.
De fait, la paralysie des dirigeants des deux cotes du conflit accompagne
ces tueries incessantes, et dans une certaine mesure les encourage. Du cote
palestinien, l’impuissance du Premier ministre Ahmed Qorei saute aux yeux. A
part quelques series de discussions steriles avec les organisations
terroristes de Gaza, il n’a pris aucune mesure prouvant son intention
d’appliquer les engagements palestiniens dans le cadre de la feuille de
route.
La terreur fait rage, les organisations terroristes se renforcent, les
forces de securite de l’Autorite palestinienne sont fragmentees, Yasser
Arafat continue a tirer les ficelles, et Qorei ne leve pas le petit doigt
pour changer la situation.
L’echec de la direction palestinienne fournit a Ariel Sharon un pretexte
confortable pour se figer dans l’inaction politique, qui convient a la fois
a son caractere et a sa vision politique. Le Premier ministre fait des
declarations fracassantes, mais vides de sens, sur le demantelement
d’avant-postes, l’evacuation de colonies, la levee de bouclages et le
retrait de troupes des villes palestiniennes, mais en realite, il ne fait
rien. Les colonies fleurissent, et avec elles l’occupation et la repression.
Apres l’attentat d’hier, Qorei s’est hate d’informer les Americains qu’il
accepterait de rencontrer Sharon sans condition prealable. Le message a bien
ete achemine a la bonne adresse, mais il semble que Washington ait cesse de
considerer le conflit comme quelque chose qui exige son intervention
immediate.
Les Americains semblent penser qu’aussi longtemps que les massacres ne
menaceront pas de s’etendre au-dela de des limites d’Israel/Palestine, ils
peuvent continuer a poursuivre leurs objectifs strategiques dans la region,
sans s’encombrer du conflit israelo-palestinien.
On pouvait s’attendre a cette chute de l’activite diplomatique americaine
dans la region, dans une annee d’election, mais ce n’est pas une raison pour
s’en rejouir. Au contraire, l’absence de pression serieuse de la part de Washington devrait renforcer le sentiment, chez les dirigeants des deux camps, que ce sont eux les principaux responsables et qu’ils ont le devoir de prendre les decisions politiques necessaires pour mettre fin aux souffrances de leurs peuples respectifs.