Si la presse palestinienne n’a pas beaucoup couvert la defaite subie par le
camp de la paix israelien aux dernieres elections, elle ne s’est pas etendue
non plus sur un evenement d’une importance au moins egale : l’echec de la
conference du Caire qui reunissait 12 delegations palestiniennes sous les
auspices de l’Egypte, et qui avait pour objectif de determiner une strategie
palestinienne commune. Apres cinq jours de pourparlers, les 12 delegations,
qui allaient du Fatah au Hamas, se sont separees sans parvenir a un accord.
Pour sauver les apparences, les Egyptiens ont publie une declaration selon
laquelle les delegations avaient emporte un document redige au Caire pour
examen par leurs directions respectives, les reponses en provenance des
organisations etant attendues pour mardi.
En quittant Le Caire, Bassam al-Salhi, representant du Parti du Peuple (ex
communiste), a declare que les reunions s’etaient deroulees dans une bonne
ambiance, et qu’il existait encore une chance de parvenir a un accord. Mais
si l’on en croit les fuites en provenance des autres participants, la
conference a ete un echec. Un journaliste palestinien a resume les choses
ainsi : « apres le refus par le Hamas et le Jihad islamique des propositions
egyptiennes, on peut dire que mardi dernier, ce n’est pas seulement le camp
de la paix israelien qui a subi une defaite, car la meme chose est arrivee
au camp de la;paix palestinien. » En d’autres termes, l’echec de la
conference du Caire est une victoire importante pour l’opposition
palestinienne.
Pour comprendre ce qui a transpire du Caire, il faut remonter quelques mois
en arriere. En aout dernier, des militants palestiniens, soutenus par des
diplomates europeens dont l’homme de terrain de l’Union europeenne dans les
territoires, Alistaire Crooke, se rencontraient a Doha, au Qatar. Le but de
ces rencontres etait de parvenir a une coordination entre les differents
groupes palestiniens.
Deux groupes etaient au coeur des discussions : le Fatah, parti au pouvoir
au sein de l’Autorite palestinienne, et le Hamas, parti d’opposition le
plus important. Progressivement, l’Egypte assuma le role d’organisateur. Le
president Hosni Moubarak chargea son chef des services de renseignements,
Omer Souleiman, de superviser les discussions; Souleiman communiquait
constamment avec le gouvernement israelien, par l’intermediaire d’Efraim
Halevi, alors chef du Mossad et aujourd’hui president du Conseil de securite
nationale, ainsi qu’avec les gouvernements saoudien, europeens et americain.
Souleiman conscra la majeure partie de son temps a discuter avec les leaders
des differents groupes. Tous accueillaient favorablement l’initiative
egyptienne.
Les groupes palestiniens, et l’Egypte, ont decide de ces discussions a cause
du sentiment que l’on ne savait pas ou allaient les choses. Pourquoi
l’intifada se poursuivait-elle, alors qu’elle coutait si cher aux
Palestiniens? Etait-elle destinee a se debarrasser le l’occupation par
Israel des territoires conquis en 1967 et a etablir un Etat aux cotes de
l’Etat d’Israel? Ou bien avait-elle un objectif plus large : celui de
remplacer Israel par un Etat palestinien (et si possible islamique)?
Cette question essentielle conduisit a de nombreuses autres questions. Quel
etait le statut de l’OLP et de l’Autorite palestinienne, qui avaient reconnu
l’Etat d’Israel dans le cadre des accords d’Oslo? Les groupes d’opposition
etaient-ils prets a parvenir a un cessez-le-feu avec Israel, ou a une
« houdna », une treve selon la tradition musulmane, qui pouvait signifier une
reconnaissance au moins temporaire d’Israel? Cela souleva une question
d’actualite immediate : les groupes palestiniens d’opposition etaient-ils
prets a stopper les attentats a l’interieur d’Israel?
Souleiman rencontra les representants de tous les groupes, et fut encourage
par la reaction du Hamas. Le Hamas dit qu’il etait pret a envisager l’idee
d’un document qui promettrait de stopper les attentats contre les civils
israeliens, a condition qu’Israel produise un document similaire qui
s’engagerait a ce que l’armee israelienne cesse toute attaque contre des
civils palestiniens. Dans la terminologie palestinienne, la reference aux
attentats contre les civils signifie les attentats a l’interieur de la Ligne
verte. Du point de vue palestinien, les colons au-dela de la Ligne verte
font partie du processus de colonistation, et sont donc consideres comme des
soldats.
Les craintes israeliennes
Le Premier ministre Ariel Sharon etait parfaitement informe des positions du
Hamas. En substance, sa reaction a Souleiman fut : une garantie de la part
du Hamas ne suffit pas, tous les groupes palestiniens, sans exception,
doivent s’engager clairement a mettre un terme aux actions militaires et a
la violence. Alors, et seulement alors, Israel accepterait de stopper ses
actions militaires dans les territoires. La crainte d’israel etait qu’alors
que les porte-parole officiels du Hamas et de l’Autorite palestinienne
auraient annonce un cessez-le-feu, certains groupes dans les territoires,
plus ou moins bien identifies, poursuivent leurs actions terroristes contre
les Israeliens.
Munis de la reponse d’Israel, les Egyptiens, sur instruction de Moubarak,
entamerent alors une serie de conversations directes avec les representants
de tous les groupes palestiniens. Certaines parmi les 12 organisations qui
prirent part aux discussions appartenaient a l’opposition palestinienne et
etaient basees a Damas, mais toutes saisirent que ce serait le Hamas qui
determinerait l’issue de cette initiative.
Les Egyptiens preparerent un avant-projet de declaration, sur les principes
suivants : toutes les organisations reconnaissent l’OLP (cest-a-dire
l’Autorite palestinienne) comme seul representant du peuple palestinien, et
sa legitimite a mener des negociations politiques ; l’objectif du combat
palestinien est d’etablir un Etat en Cisjordanie et a Gaza, avec Jerusalem
pour capitale ; pour atteindre cet objectif, un cessez-le-feu d’une annee
avec Israel est necessaire, afin de remettre le processus politique sur les
rails.
Depuis le debut, il etait clair qu’il etait hautement improbable que le
Hamas (suivi de groupes d’opposition moins importants) puisse accepter ces
termes. Reconnaitre l’OLP et accepter les frontieres de 1967 aurait
constitue une revolution totale par rapport a ses positions traditionnelles.
Meme si ses leaders l’avaient accepte, ils auraient ete dans l’incapacite
d’expliquer a leurs partisans ce brutal changement ideologique.
Le Hamas connaissait le projet egyptien. Une question se pose alors :
pourquoi ont-ils accepte de se rendre au Caire la semaine derniere? Il
existe plusieurs raisons,a commencer par la difficulte qu’il y a a refuser
une invitation du president egyptien, surtout quand la direction du Hamas
est soumise a une pression enorme, non seulement de la part d’Israel, mais
aussi de la part de plusieurs Etats arabes. Il y a trois ans, Khaled Mashal,
leader poliique du Hamas, a ete expulse de Jordanie avec trois de ses
collegues. L’une des exigences du Hamas au Caire etait que l’Egypte fasse en
sorte qu’ils soient autorises a retourner a Amman. Le Hamas connait
egalement une crise financiere. Les Saoudiens, se soumettant en cela aux
exigences americaines apres le 11 septembre, ont coupe les fonds aux groupes
islamistes radicaux, y compris le Hamas, dans le cadre de la guerre contre
le terrorisme.
Les efforts de l’Egypte
Les leaders du Hamas accepterent donc l’invitation dans l’espoir de faire
baisser la pression et ils avaient quelque chose a offrir en echange. Tout
en refusant de reconnaitre l’autorite de l’OLP/Autorite palestinienne dans
les territoires, ou les frontieres de 1967, ils etaient prets a arreter les
attentats contre les civils, dans le cadre d’une houdna, comme ils l’avaient
dit a Souleiman quelques mois auparavant. Mais ils exigeaient de Souleiman
qu’il leur produise un engagement israelien equivalent. Les Egyptiens
echouerent. Ces derniers jours, les medias arabes sont remplis
d’informations selon lesquelles l’une des raisons de l’echec de la
conference etait le raid de Tsahal a Gaza en plein milieu de la conference,
raid qui tua 12 Palestiniens.
Malgre cet echec, il semble que les Egyptiens n’aient pas renonce. On peut
penser que les felicitations que Moubarak a adressees par telephone a Sharon
apres sa reelection, et son invitation surprise a Sharon, alors qu’il
l’avait boycotte pendant deux ans, font partie d’un effort egyptien pour
obtenir cet engagement mutuel israelo-palestinien a mettre fin
provisoirement a la violence.
Mais en attendant, l’echec du Caire a renforce la puissance et le prestige
du front islamste. Les Egyptiens ont negocie avec les fanatiques religieux
palestiniens, qui conduisent l’opposition a Arafat, comme s’ils etaient sur
un pied d’egalite avec le Fatah et l’Autorite palestinienne. Le pays arabe
le plus important et le plus puissant a reconnu, de fait, la legitimite d’un
Hamas extremiste, qui n’a que 15 ans d’existence. Ainsi, ce fut un coup
porte au camp des moderes palestiniens.