«La judaïsation de Jérusalem-Est pourrait peut-être bien torpiller un futur accord de paix avec les Palestiniens», écrit le Ha’Aretz en tête de son éditorial du 21 octobre.
Les efforts pour torpiller tout accord de paix éventuel à venir entre Israël et les Palestiniens continuent. C’est la même méthode que d’habitude: des généralités sans engagement quant au désir de paix d’Israël, alliées à des actes sur le terrain qui vident ces mots de tout sens et menacent de rendre la situation irréversible.
Il y a quelque trois semaines, des colons de l’association Elad sont entrés dans sept maisons du quartier de Silwan à Jérusalem-Est. Un fort contingent de police accompagnant les provocateurs a dû affronter les jets de pierre des Palestiniens, mais le but était atteint – un autre bâton dans les roues d’un possible compromis diplomatique.
Comme à son habitude en pareil cas, le Premier ministre Benyamin Nétanyahu est demeuré coi. Peut-être voit-il d’un bon œil l’implantation massive de Juifs à Jérusalem-Est; peut-être que non. Ça n’a pas d’importance, parce que son principal objectif est de ne pas heurter ses électeurs. L’avenir du pays est secondaire comparé à ses chances de remporter un nouveau mandat. Heureusement pour lui, le ministre de l’Économie Naftali Bennett a comblé le vide, expliquant que l’action de Silwan était un événement «de taille historique».
Dans la nuit de dimanche, l’histoire a changé de cours. Là encore, des colons se sont installés à Silwan, cette fois dans deux bâtiments vides au centre du faubourg. L’avantage de cette provocation est qu’à la différence du précédent emménagement – dans une zone abritant déjà des dizaines de familles juives – il n’y avait qu’une poignée de Juifs au centre de Silwan; les nouveaux colons ont ainsi pu planter le doigt plus profond dans les yeux des habitants.
Comme dans le cas précédent, la démarche était parfaitement légale. Les colons avaient acquis les immeubles – l’un pouvant loger cinq familles et l’autre quatre – par l’intermédiaire de sociétés étrangères faisant écran au Comité pour la restauration du village yéménite de Shiloah (Silwan). Pour agrémenter la provocation du contenu sioniste de rigueur, on raconte l’histoire d’un groupe de Juifs du Yémen qui s’étaient installés là avant la Première Alyah (1881-89) et avaient dû abandonner leurs maisons du fait des pogroms arabes [1]. L’emménagement opéré dans la nuit de dimanche est censé «avoir bouclé la boucle en ces lieux» [2].
Et comme dans le cas de l’initiative de l’organisation Elad, cette provocation a elle aussi été rendue possible par les objectifs nationalistes du gouvernement. En fait, ce n’est que lorsque la justice intervient (comme dans la décision d’annuler un accord de transfert à Elad de la gestion du mur sud du Mont du Temple) que les associations à but non lucratif qui se font une spécialité d’allumer des incendies politiques se voient contraintes à un repli stratégique… mais seulement jusqu’au coup suivant.
Quoiqu’il en soit, les victoires d’Elad sont les défaites de l’État. Plus cette provocatrice association à but non lucratif gagne en puissance, plus les chances de vivre un jour une vie normale en Israël se font rares.
La tragédie pourrait être de portée historique.
NOTES
[1] Un groupe de Juifs du Yémen arrivent à Jérusalem en 1881 et 1882, mûs par des aspirations messianiques, et y sont assez mal accueillis du fait de coutumes inconnues et d’une prononciation peu familière de l’hébreu. Réduits à demander la charité aux chrétiens de la colonie suédo-américaine, ils emménagent finalement en 1884 dans les maisons de pierre nouvellement construites sur les terrains acquis pour eux à l’extrémité du village de Silwan par l’association juive d’aide aux nécessiteux Ezrat Nidda’him.
À son plus haut niveau, la population du “village yéménite de Shiloah” compte environ 200 personnes et ne fait que décroître dans les premières décennies du XXe siècle. Selon les recensements de la puissance mandataire britannique, en 1922 Silwan ne compte plus que 153 juifs pour 1 699 musulmans ; et, en 1931, une population de 124 juifs pour 2 553 musulmans (à quoi on peut ajouter 91 chrétiens dans trois monastères d’obédiences diverses).
Lors de la grande révolte arabe (1936-1939), et alors que les craintes de pogroms vont grandissant, le Bureau d’aide sociale du Yishouv fait partir la plupart des habitants du village yéménite, les réinstallant dans le quartier juif de la Vieille Ville; puis les autorités britanniques évacuent en 1938 ceux qui restent encore.
[2] Pour que «la boucle soit bouclée», encore faudrait-il qu’il s’agisse de maisons situées dans le “village yéménite” et non n’importe où à Silwan, et que seuls viennent s’y s’installer des descendants des propriétaires de l’époque – comme dans le quartier juif de la Vieille Ville, où le légendaire maire Teddy Kollek avait pour programme le respect de l’équilibre entre les quartiers intra-muros.
Or, c’est précisément en Vieille Ville que les familles yéménites ont été réinstallées par les soins des institutions du Yishouv… avant que les guerres d’Indépendance et des Six Jours ne rebattent tour à tour et inversement les cartes. Outre que lesdits descendants des évacués de Silwan ne sont pas forcément désireux d’aller vivre au beau milieu d’un faubourg palestinien, les droits acquis sur les lieux de leur réimplantation viennent là contre, détruisant l’argumentation implicite du Comité pour la restauration du village yéménite de Shiloah.
* Toutes les notes sont de la traductrice.