Aujourd’hui à l’extrême-droite du spectre politique, Israël s’éloigne des Lumières et de la famille des nations qui y adhèrent. En temps de crise, vers qui pencheront Yaïr Lapid et ses sympathisants ? Et les travaillistes ?
Un week-end du mois dernier, un millier de membres du PS, y compris plusieurs ministres et dirigeants du parti, se sont réunis à Paris pour débattre du Front National, mouvement d’extrême-droite dont on s’attend selon de récents sondages à voir croître le poids électoral de manière significative. L’objectif était d’arriver à comprendre en profondeur le phénomène du Front National et ses vastes dimensions historiques et culturelles, et de forger les instruments de la lutte contre le chauvinisme et le racisme.
À la lumière des événements actuels, une chose toute simple demande à être comprise : la droite xénophobe, raciste, fait partie intégrante de la culture européenne et constitue un élément solide du nationalisme ethnique et culturel du continent. Qui plus est, il nous appartient de comprendre que l’émergence de la droite xénophobe et raciste au XXe siècle ne fut pas seulement la conséquence de la Première Guerre mondiale et des crises qui éclatèrent dans son sillage. Nombreux sont ceux qui se posent maintenant cette inquiétante question : sommes-nous témoins d’un retour aux années trente ?
Un Israélien participant à cette conférence ne pouvait s’empêcher ni de comparer la situation en Europe avec ce qui advient aujourd’hui en Israël, ni de se souvenir que la dernière fois où la gauche israélienne tint semblable débat, ce fut dans la période immédiatement consécutive à la débâcle des élections de 1977. La gauche israélienne bannit l’idéologie ; elle se raccroche à un “pragmatisme”, qui n’est qu’un opportunisme crasse – espérant prouver, en faisant preuve de souplesse, qu’elle est apte à gouverner. Segundo, faute de s’opposer avec vigueur à la perception ethnique, religieuse et messianique du fait national défendue par la droite, l’establishment de gauche que représente le parti travailliste collabore de facto avec la droite.
Dans la situation qui prévaut actuellement en Europe et en Israël, qui ne mène pas une guerre ouverte contre la xénophobie et le racisme pactise en réalité avec la présence du phénomène le plus destructeur de l’histoire contemporaine. Au bout du compte, on doit se demander si l’actuelle vague de xénophobie n’est pas, dans son essence, similaire à l’antisémitisme qu’affrontaient dans les années trente les Juifs vivant ou nouvellement immigrés en Europe de l’ouest. En d’autres termes, l’islamophobie prend-elle aujourd’hui la place de l’antisémitisme en tant que maladie du corps social ? L’ensemble des composantes de la gauche européenne trouve la question dérangeante au plus haut point. Tout le monde est conscient que les groupes d’extrême-droite gagnent en force sur le continent européen – même dans des pays où la croissance de cette mouvance surprend, telle la Norvège dont les taux de chômage et de pauvreté ne sont guère élevés et qui jouit d’un superbe système d’assistance sociale. Beaucoup admettent aujourd’hui à contre-cœur que la racine du mal réside dans les profondeurs de la culture européenne et de son concept de nationalisme organique.
Quand on compare l’Europe et Israël en 2013, il est difficile d’échapper à la conclusion qu’au nombre des États occidentaux, celui où l’extrême-droite est la plus puissante (jusqu’à s’y trouver au pouvoir) et où la gauche est la plus faible, est Israël. Là encore, la racine du mal réside dans la culture du pays, dans le concept de la nation comme tribu et dans la définition problématique de l’identité juive. Et il est plus difficile encore d’échapper à la conclusion que la droite israélienne – du Likoud et d’Israël Beïtenou [1] à HaBaït haYehoudi [2] – distance de très loin la droite du Front National de Marine Le Pen. Comparée à la plupart des membres du gouvernement et de la Knesseth, cette dernière ressemble à une dangereuse gauchiste.
Israël est aujourd’hui à l’extrême-droite du spectre politique et les groupes qui y composent la droite sont parmi les pires, et les plus redoutables, de ceux qui œuvrent actuellement dans les sociétés démocratiques, à l’exception des mouvements néo-nazis. L’État d’Israël s’éloigne progressivement du cercle des nations éclairées par des propositions de loi ouvertement fondées sur une discrimination ethnique et nationale et un régime d’oppression en Cisjordanie.
Tout comme en Europe, la clef de la perpétuation d’Israël en tant que nation éclairée se trouve entre les mains de la droite dite modérée et de ceux qui se vautrent dans ce marécage qualifié de centre, comme le leader de Yesh Atid [3], le ministre des Finances Yaïr Lapid, et ses partisans. En temps de crise, avec qui s’allieront-ils et vers qui se tournera le parti travailliste ? Se dirigera-t-il vers les nationalistes de la ligne dure qui mènent jour après jour Israël à sa perte, ou vers la gauche, qui colle à ses principes et se bat pour eux ?
NOTES
[1] “Israël est notre Maison”, le parti d’Avigdor Lieberman qui s’est allié au Likoud de Benyamin Nétanyahou lors des dernières Législatives [NdlT].
[2] “La Maison juive”, le parti de Naftali Bennet, avatar du parti National-Religieux, progressivement passé de ses positions modérées antérieures à la guerre des Six Jours au plus ultra des nationalismes [NdlT].
[3] “Il y a un Avenir”, le parti qui bâtit celui de son chef et fondateur, le maître ès-Médias Yaïr Lapid [NdlT].