DE BE’ERI à LA HAYE, QUE LE SANG SÈCHE VITE EN ENTRANT DANS L’HISTOIRE…* Cette vérité que Jean Ferrat dans Nuit et Brouillard avait chantée en 1963, retrouve 60 ans plus tard, toute son actualité.
Le 7 octobre, des Israéliens, parce que Juifs, sont massacrés et martyrisés. Israël, face à l’horreur innommable, bénéficie alors, le plus souvent, de la compassion du monde, même si quelques voix discordantes se font déjà entendre. Il faudrait tenir compte du contexte (ce n’est pas encore « l’affaire Harvard »…), le 7 octobre ne vient pas de nulle part, etc. Mais la documentation par le Hamas lui-même de ses atrocités, de ses crimes, la référence appuyée à la judéité des victimes plus qu’à leur citoyenneté israélienne, la localisation des meurtres perpétrés sur le territoire israélien reconnu par la communauté internationale et non pas dans les « territoires occupés », le nom de l’opération Déluge d’Al-Aqsa » (et non pas « Libération de la Palestine »), autant d’éléments qui rattachent cette attaque à un islamisme fondamentaliste dont le monde a déjà éprouvé le caractère meurtrier et qu’il réprouve.
Trois mois plus tard, le vent a tourné, les images des destructions à Gaza, des corps de Palestiniens dans les sacs de plastique… ont effacé celles des kibboutzim brûlés et des corps suppliciés. Israël se retrouve sur le banc des accusés devant la Cour Internationale de Justice, l’Afrique du Sud l’accusant de génocide à l’encontre des Palestiniens de la bande de Gaza. Elle demande aux juges de prendre des mesures d’urgence en ordonnant à Israël de suspendre son opération militaire, de « cesser de tuer », d’arrêter de « causer de graves blessures mentales et physiques au peuple palestinien à Gaza » et de « ne pas imposer des conditions de vie qui pourraient entraîner la destruction physique » des Gazaouis. On sait que ces trois crimes peuvent être qualifiés de génocide s’ils sont commis dans l’intention d’exterminer le groupe des Palestiniens de Gaza. Les génocidés du 7 octobre 2023 deviennent génocidaires le 11 janvier 2024!
Il ne fallait pas être grand clerc pour anticiper cette évolution à partir du moment où la réponse aux horreurs de 7 octobre impliquait un recours massif à la force, à la destruction ( il n’y avait sans doute pas d’autre alternative dans un premier temps ), pas tant par vengeance mais dans une perspective politique largement partagée : le Hamas s’est disqualifié et il convient, non pas de l’éradiquer selon une formulation malheureuse des autorités israéliennes, mais de le mettre hors jeu, de l’affaiblir militairement et politiquement pour permettre l’émergence d’autres acteurs de la reconstruction de Gaza et rendre possible un devenir qui ne soit pas celui d’une destruction réitérée toutes les quelques années.
La tragédie endurée par les Palestiniens ne laisse personne insensible, même si elle a été quasiment voulue et planifiée par le Hamas qui a tout fait pour entraîner la population civile dans la tourmente et n’a rien fait pour la protéger. La stratégie israélienne ne pouvait réussir que, d’une part, avec le retour des otages, et d’autre part, avec la création d’une possibilité de sortir du conflit par le haut, c’est-à-dire politiquement, en insufflant de l’espoir, en dégageant une perspective sous-tendue par une coalition internationale efficace non exclusivement occidentale. La poursuite concomitante de ces objectifs et la nécessité de répondre simultanément à ces conditions impliquaient une attention exacerbée d’Israël, quant aux modalités de sa nécessaire intervention militaire. Tout faux pas risquait de compromettre l’acceptabilité d’une opération militaire particulièrement périlleuse et destructrice.
La stratégie du Hamas était limpide : pousser Israël à détruire et à causer un maximum de victimes, déconsidérer le pays et en faire un État paria. Nul besoin n’était qu’une partie de la classe dirigeante israélienne donne des verges pour se faire battre. Par des déclarations irresponsables et populistes, des ministres et des députés décérébrés ont fourni l’habillage nécessaire à l’accusation de génocide : l’intention de « faire le vide », d’expulser l’ensemble des Gazaouis, de les pousser dans le désert ou les envoyer en Afrique pour pouvoir s’accaparer cette bande de terre et y reconstruire des implantations démantelées en 2005. Les Palestiniens tués ne le seraient plus dans une guerre défensive mais dans le cadre d’une opération de « nettoyage » et de prise de contrôle territorial. Certes B. Netanyahu, Y. Galant et autres ont dénoncé ces déclarations fallacieuses, mais le mal était fait, d’autant qu’aucune sanction n’a été prise car la survie d’une coalition bancale ne le permet pas.
Aussi dénuée de bon sens que puisse être la politique de ce gouvernement, alors qu’une partie croissante de la population demande son remplacement immédiat par des élections « maintenant », rien ne justifie l’accusation de génocide, la tentative de faire du pays des victimes du génocide le génocidaire des Palestiniens. L’Afrique du Sud n’en est pas à son coup d’essai dans sa tentative de « démoniser » Israël : souvenons-nous de la « Conférence mondiale de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée » qui, en septembre 2001, assimilait sionisme et racisme. Le sionisme qui sous-tend l’État d’Israël est un racisme, et cet État s’adonne au génocide. La boucle est bouclée. Qui regretterait sa disparition dans une « Palestine du fleuve à la mer »?
Il convient de ne rien laisser passer, sans renoncer à notre éthique, à nos valeurs, à notre ouverture au monde, tout en récusant les courants racistes et rétrogrades qui existent et se développent en Israël. Invoquer à tout bout de champ l’antisémitisme ne favorise pas la prise de conscience qu’Israël a aussi sa part de responsabilité dans l’opprobre dont il est accablé, préalable à la restauration de son statut international.
*Nuit et Brouillard https://www.youtube.com/watch?v=SxrHNPTxkYU
Illustration : Riss. Charlie Hebdo.fr du 9 janvier 2024
Mis en ligne le 16 janvier 2024