Coteret, 11 avril 2010

[->http://coteret.com/2010/04/11/david-grossman-at-sheikh-jarrah-we-cultivated-
a-kind-of-carnivorous-plant-that-is-slowly-devouring-us/]

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Mzintenant


Vendredi 9 avril, l’écrivain israélien David Grossman prononça un discours
inopiné lors de la manifestation contre les expulsions de familles
palestiniennes dans le quartier arabe de Sheikh Jarrah et leur remplacement
par des colons fondamentalistes.

« Je pense que nous commençons tous à comprendre (même ceux qui n’en ont pas
réellement envie) comment, il y a 43 ans, en refusant de voir, en
collaborant passivement ou activement, nous avons de fait cultivé une espèce
de plante carnivore qui est en train de nous dévorer lentement et
d’engloutir tout ce qu’il y a de bon en nous, faisant ainsi de notre pays un
endroit où il ne fait pas bon vivre. Il n’y fait pas bon vivre, non
seulement si on est citoyen arabe israélien, et très certainement si on est
un Palestinien résident des territoires occupés, mais aussi pour tout
Israélien juif qui souhaite vivre ici, qui a au cœur l’espoir de se trouver
dans là où les humains sont respectés en tant qu’humains, où vos droits sont
une donnée de base, où humanité, morale et droits civiques ne sont pas des
gros mots et non quelque chose de la « gauche dont le cœur saigne toujours
». Non. Nous sommes le pain et l’eau de ce pays, le beurre et le lait de
notre pays, le matériau avec lequel nous faisons notre vie, et qui la rend
vraiment digne d’être vécue, ici. »

Grossman parla après la répression par la police d’une tentative, avant la
manifestation, d’un groupe de vieux routiers pour la paix accompagnés de la
jeune garde du mouvement de protestation de Sheikh Jarrah, de voir les
maisons des familles déjà expulsées et de celles menacées de l’être.

Depuis le premier vendredi où les manifestations avaient commencé, en
janvier, la police entourait dès 14 h d’un cordon les maisons des familles
déplacées, de sorte que les manifestants étaient dans l’incapacité
d’exprimer leur solidarité envers les expulsés. En réaction (sorte
d’opération par le flanc), le groupe invita une trentaine d’entre nous,
parmi lesquels David Grossman, Avrum Burg, ancien président d la Knesset, la
présidente du New Israel Fund Naomi Hazan, et Zeev Sternhell, lauréat du
Prix Israël, à se réunir dans les foyers des familles à 13h30, pour y mener
une sorte de séminaire impromptu de deux heures environ (chose peu difficile
pour des écrivains et des professeurs).

Vers 15h 30, nous avons tous surgi dans la rue avec nos pancartes et sommes
restés devant les maisons des expulsés. Quand les chefs de la police se sont
rendu compte que nous nous trouvions en fait derrière leurs lignes, ils se
sont organisés rapidement et envoyèrent un groupe de policiers lourdement
armés pour former une ligne derrière nous, et commencèrent alors à nous
repousser vers le lieu de la grande manifestation, dans un parc au-delà de
la rue.

Nous nous étions mis d’accord à l’avance pour ne pas résister ni faire quoi
que ce soit pour défier l’autorité de la police. (…)

Les organisateurs furent arrêtés sans résistance. Une phrase de La Peste
de Camus me revint en mémoire, qui dit qu’il n’y a aucun héroïsme à lutter
contre quelque chose qui ressemble à la peste et que la simple honnêteté
suffisait.