Haaretz, 6 mars 2002

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La declaration du Premier ministre Ariel Sharon selon laquelle l’objectif
principal de Tsahal a partir d’aujourd’jui est « d’augmenter les pertes » du
cote palestinien pourrait amener sur le champ de bataille 40.000 soldats
armes, qui attendent avec impatience d’entrer en lice. Ces soldats ne font
pas partie des Givati ou des Golani (regiments de Tsahal, ndt), mais des
forces de la Police palestinienne qui, jusqu’a present, n’ont pas activement
participe aux combats contre Tsahal en tant que force organisee.

Si des milliers d’officiers de police palestiniens en armes s’emparaient
d’une colonie juive, les ministres du cabinet israelien seraient pris par
surprise. Neanmoins, s’ils avaient pris la peine d’etudier les scenarions
etudies au sein de Tsahal, ils auraient decouvert ce que les « huiles » savent
parfaitement : dans un futur proche, les soldats de la police palestinienne
(une armee dans tous les sens du terme) vont descendre de leur perchoir pour
se transformer en une force combattante organisee, sous un commandement
unifie.

Les policiers palestiniens ont deja pris part, dans des cas isoles, a des
operations militaires contre Tsahal. Cependant, pour l’instant, le gros de
cette police, controlee par l’Autorite palestinienne, ne l’a pas fait. La situation pourrait changer du tout au tout, a la suite de la nouvelle politique adoptee par Sharon, avec le soutien indu du chef d’etat-major Shaul Mofaz et son haut commandement.

Dans l’ombre des actions de terrorisme et de guerilla, on n’a pas
suffisamment releve les propos qu’a tenus lundi le Premier Ministre devant
certains journalistes. Sharon a dit tres clairement qu’a partir de maintenant, Israel se conduirait comme les Palestiniens. Le temps de la raison n’est plus, et avec lui, toutes les restrictions que le gouvernement d’un Etat souverain impose a son armee. A partir de maintenant, l’objectif est de tuer autant de Palestiniens que possible. Quelle difference y a-t-il entre un Premier ministre dont le message est « on va les bousiller », et Marwan Barghouti, chef du Fatah en Cisjordanie?

Il semble que, contrairement aux ministres de son cabinet, Sharon sache
parfaitement qu’une politique dont le seul principe est d’augmenter le
nombre de morts chez les Palestiniens, et qui n’est accompagnee d’aucun
objectif diplomatique, conduira inevitablement l’armee de Yasser Arafat a la
guerre. Il est tres possible que ce soit precisement ce que veut le Premier
ministre. Quand des milliers de policiers palestiniens s’empareront de
colonies juives, ou se deploieront de nuit sur l’autoroute Petah Tikva –
Rosh Ha’ayn, pour tirer le matin sur des dizaines de vehicules, la route
sera degagee pour decider d’occuper toute la Cisjordanie.

Le probleme est qu’il n’y a personne pour refrener Sharon. Pendant la
premiere intifada, ce fut le haut commandement de Tsahal qui expliqua au
gouvernement qu’il n’existait pas de solution militaire. Cette fois, en
revanche, le chef d’etat-major declare a qui veut l’entendre qu’il est
possible d’eliminer le terrorisme par des operations militaires. Quand le
terrorisme ne fait qu’augmenter, Mofaz explique que ce qu’il faut, c’est de
la fermete, et l’intensification des operations militaires, parce que les
Palestiniens sont sur le point d’etre brises. Ainsi, Tsahal est passe de
l’utilisation d’armes legeres au deploiement massif de tanks, d’helicopteres
de combat et d’avions F-16, et des tanks qui tiraient a Beit Jala a la prise
de Tulkarem et de Jenine. Tous ces developpements ne font, bien entendu,
qu’augmenter la motivation des terroristes. Quand Tsahal, de facon assez
embarrassante, echoue a defendre ses propres soldats aux barrages miltaires,
la reponse est la prise de camps de refugies a Balata et a Jenine.

Ce qui est reellement effrayant, c’est la pensee monolithique qui regne chez
le haut commandement. Aucun officier de haut rang n’a le courage de dire a
Mofaz qu’il pourrait avoir tort. Le consensus au Quartier General de Tsahal
est que l’usage continu et intensifie de la force est inevitable. Tous les
officiers superieurs ont dopte le slogan : « il faut empecher les Palestiniens d’obtenir quelque gain que ce soit par la violence ». Si l’usage de la force ne produit pas l’effet escompte, la seule solution est : encore plus de force, jusqu’a la « mort legere » de l’Autorite palestinienne. Voila la position du Quartier General. Cela dit, personne n’a la moindre idee de ce qui arrivera dans les territoires une fois que l’Autorite se sera ecroulee.

Tsahal a echoue, mais refuse de l’admettre. En fait, Tsahal se trompe de
guerre. Il n’a meme pas commence a utiliser sa force correctement dans les
territoires. Au lieu d’y envoyer de petites unites, souples et bien armees, le haut commandement prefere utiliser des quantites massives de blindes, comme si Tsahal se battait contre une armee reguliere. Meme dans les deploiements les plus simples sur le terrain (les barrages), Tsahal a echoue lamentablement. Le massacre des soldats au barrage d’Ofra n’est que la partie emergee d’un iceberg de negligence, de manque de respect pour les procedures et d’un manque incomprehensible de communication entre l’etat-major et les soldats (particulierement les reservistes) sur le terrain.

Ainsi, alors que Mofaz s’apprete a quitter Tsahal, il prepare encore une defaite ecrasante des Palestiniens. S’il prenait le temps d’etudier la guerre d’Algerie, il comprendrait qu’aucune armee ne peut vaincre un terrorisme et une guerilla qui prennent leur source dans une resistance a l’occupation.

Au lieu de s’inspirer de l’experience des autres, Mofaz joint ses forces a celles de Sharon, et ces deux-la, les yeux grands ouverts, sont en train de mener Israel sur le chemin d’une guerre cruelle et inutile pour la Cisjordanie. Ce n’est que lorsque Naplouse, Hebron et Bethleem auront ete occupees, et que des milliers et des milliers de gens auront paye cette occupation de leur vie, qu’il apparaitra que personne n’aura gagne, mais que tous auront perdu.