Le port de Haïfa, bien qu’insignifiant économiquement pour la Chine comme pour les U.S.A, pourrait devenir un dangereux champ de bataille dans la nouvelle guerre que se livrent les deux grandes puissances.


Traduction : Armande Kaplanski pour LPM

Photo : haifa-port-photo-by-zvi-roger-for-haifa-municipality-via-wikipedia

BESA Center* Perspectives Paper No. 1,071, January 23, 2019

https://besacenter.org/perspectives-papers/china-haifa-port/

BESA Center (Centre Begin-Sadate d’études stratégiques) est un think tank indépendant consacré aux questions de politique au Moyen-Orient et de stratégie mondiale, en particulier lorsqu’elles sont liées à la sécurité nationale et la politique étrangère d’Israël et à la stabilité et la paix régionales.


En juillet 2018, 90 hectares du Port Nord de Haïfa furent transférés à la Compagnie du Groupe portuaire de Shangaï International (SIPG) qui doit l’exploiter pendant une durée de 25 ans. Ceci souleva une discussion enflammée dans la presse israélienne et l’Académie. Le problème surgit également au cours des entrevues entre le Conseiller National de la Sécurité des U.S.A. John Bolton et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, lorsqu’ils se rencontrèrent le 7 janvier 2019.

En apparence, l’exploitation du port par une compagnie chinoise concerne Israël lui-même, et les liens d’Israël avec son allié stratégique principal, les U.S.A. Mais bien que la gestion du port implique directement la Chine et les U.S.A., ses conséquences sont davantage liées à une lutte de type guerre froide.

Il n’y a pas eu de réaction officielle d’Israël ni des U.S.A. lors de la récente et extraordinaire publication par le Parti Communiste Chinois d’un article dans le journal israélien Ha’Aretz. Intitulé « La Chine n’aspire pas à l’hégémonie mondiale », l’article envoyait un message rassurant au public israélien : Beijing (ShangaÏ) n’avait pas d’intérêt à profiter de sa présence pour augmenter   son contrôle sur le pays et n’avait pas le désir de faire concurrence aux U.S.A. pour la domination mondiale.

Deux mois auparavant, pour éviter de perdre ce qu’il avait déjà gagné là, Beijing inaugurait « l’Association des entreprises chinoises en Israël ». La nouvelle association reçut Erez Lin, journaliste   israélien qui publia ultérieurement son point de vue sur la relation israélo-chinoise dans le journal Israël Hayom du 5 janvier 2019. Dans son article, Lin soulignait les nombreux points forts du marché et du régime chinois, paraissant parfois faire de la propagande en faveur de la Chine.

Dans le dernier paragraphe, il expliquait pourquoi la nouvelle association avait été établie et il concluait en affirmant que la Chine croyait profondément au marché israélien et entendait rester en Israël.

Bien que des modifications au contrat signé entre Israël et le S.I.P.G puissent aboutir à une perte financière pour la compagnie chinoise, il est improbable que cette inquiétude soit le motif de l’article chinois publié dans Ha’Aretz et de la création de la nouvelle association.

Le Parti Communiste Chinois avait vraisemblablement deux autres intentions : atténuer un « effet domino » redouté, et embarrasser les U.S.A sur le sol de l’un de ses plus proches alliés.

Si l’accord avec le S.I.P.G. est révoqué pour des raisons stratégiques et /ou de sécurité, d’autres pays pourraient commencer à reconsidérer leurs liens avec la Chine. Ceci pourrait entraîner un contrôle plus rigoureux de tous les contrats, y compris de ceux qui ont déjà été signés.

Un tel exemple pourrait mettre en danger l’initiative « Route et Ceinture » (BRI) de Beijing. Sans la coopération des pays européens, il ne serait pas possible de rendre le traité effectif ou du moins viable financièrement.

Comme les Soviétiques et les Américains luttant durant la guerre froide, Washington et Beijing sont en compétition quant à leurs lieux de contrôle et de protection. La question de l’influence en Israël est très importante pour les deux pays. Dans la perspective américaine, Israël représente l’un de ses plus anciens et plus importants alliés au Moyen-Orient et l’un de ses meilleurs amis en ce qui concerne l’administration actuelle. Aux yeux de Beijing, augmenter son influence dans un pays qui maintient des liens aussi étroits avec les Etats-Unis peut avoir de profondes répercussions.

Le renoncement d’Israël à la protection américaine, si faible soit-elle, signalerait aux pays occidentaux et aux Etats–Unis eux-mêmes que leur puissance décline. Ceci pourrait renforcer la position chinoise   en tant que puissance alternative, avec un but purement économique, sans intérêt politique ou militaire direct. Plus important pour Israël : la Chine ne procurerait aucune garantie de sécurité.

Le port de Haïfa, bien que primordial pour l’économie du pays (99 % des marchandises atteignent leur destination par la mer) demeure insignifiant pour les économies américaine et chinoise. Cela peut cependant représenter un facteur critique dans les relations entre les trois pays et probablement au-delà. Israël doit considérer soigneusement les conséquences de toutes les démarches possibles et conduire un dialogue ouvert avec les deux parties afin de minimiser une menace éventuelle visant ses intérêts. Les Etats-Unis et la Chine doivent développer un dialogue pour empêcher une évolution vers une nouvelle guerre froide.

Les luttes sur les zones de contrôle peuvent s’aggraver et entraîner une guerre commerciale plus large, allant éventuellement jusqu’à utiliser la force militaire.

 

Roie Yellinek, journaliste indépendant, doctorant au département d’études du Moyen-Orient à l’université Bar-Ilan (Tel Aviv), est membre du Kohelet Policy Forum et participe au China-Med Project.