Jerusalem Post, 17 août 2005
Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant
Le désengagement unilatéral d’Israël représente un tournant très important dans l’histoire du conflit israélo-palestinien. Mais il n’est pas sans précédent.
En mai 2000, le gouvernement israélien ordonnait à ses forces de se retirer du Sud Liban sans qu’un accord avec le Liban ou la Syrie ne soit intervenu. Le gouvernement libanais, l’opinion et le Hezbollah célébrèrent leur victoire :avoir forcé Israël à quitter le territoire libanais, unilatéralement, sans prix à payer pour le Liban. Le Hezbollah n’eut pas à désarmer, bien que l’occupation se soit terminée, et un faible gouvernement libanais dut composer avec sa présence armée, aux frontières les plus sensibles du pays.
Les conditions ne sont pas nécessairement les mêmes pour la bande de Gaza, mais le résultat net pourrait être le même, ou pire.
Considérons d’abord la seule différence importante entre les deux désengagements : dans le cas du Sud Liban, aucun des acteurs libanais (gouvernement, opinion ou Hezbollah) ne voulait coordonner le retrait avec Israël (ne parlons même pas de négociations!). Pour Gaza, si le Hamas est ravi par l’unilatéralisme de Sharon et le perçoit comme une victoire de la lutte armée, l’Autorité palestinienne (AP) et l’opinion sont résolument contre l’unilatéralisme israélien et veulent des négociations, ou pour le moins, une coordination.
Si Israël ne négocie pas, ou ne coordonne pas l’après retrait de Gaza, il est probable que le Hamas s’appropriera le désengagement de Sharon. Cette victoire de la violence pourrait assurer au Hamas un très beau résultat lors des prochaines élections parlementaires palestiniennes de janvier 2006.
Les sondages réalisés par le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) à Ramallah montrent que si les élections avaient lieu aujourd’hui, le Fatah aurait 44% des sièges, le Hamas 33%, les autres 15%, tandis que 8% sont indéterminés. Si le Hamas réussit à écrire l’histoire du désengagement, ce qui est certain si ce désengagement reste unilatéral, les résultats peuvent s’inverser en faveur des islamistes.
Dans le contexte d’une victoire du Hamas, les tentatives par l’AP de désarmer le Hamas et de faire de Gaza une « success story » seraient vouées à l’échec. Dans ce cas, les Palestiniens auront échoué à traiter le problème qui s’est révélé le plus difficile à résoudre au cours des 4 dernières années de l’ère de Yasser Arafat : régler, une fois pour toutes, la question du rôle de la violence dans leur relation à Israël.
L’alternative, c’est une coordination pleine et entière de l’après-retrait avec l’AP, et cela inclut la solution de problèmes vitaux pour les Palestiniens, comme le contrôle du passage de Rafah, la liaison Gaza-Cisjordanie, un aéroport en état de marche et un port maritime, et enfin, des relations commerciales entre Gaza, Israël et la Cisjordanie. Dans ce cas, ce ne serait pas le Hamas qui écrirait l’histoire du désengagement et se l’approprierait.
Une pareille victoire de l’AP, si elle est accompagnée d’un gel de la construction dans les colonies de Cisjordanie, pourrait avoir des conséquences très positives, à la fois pour les Palestiniens et pour les Israéliens. Signalons deux de ces conséquences : cela pourrait permettre une victoire du camp nationaliste modéré lors des prochaines élections législatives palestiniennes, et permettre aussi à l’AP de confisquer les armes des groupes armés palestiniens, un engagement qu’a pris l’AP dans le cadre de la première phase de la Feuille de route.
Non seulement l’opinion palestinienne est en faveur d’une négociation du désengagement, mais, il est important de le souligner, elle soutient pleinement le cessez-le-feu avec Israël et pourrait soutenir une cessation totale des violences depuis la bande de Gaza une fois terminé le retrait israélien.
En réalité, une majorité des partisans du Hamas est en faveur de la fin des hostilités entre Israël et Gaza si Israël se retire complètement de la bande de Gaza. En revanche, une majorité de Palestiniens se prononce contre la confiscation des armes des différentes milices qui opèrent actuellement dans les territoires palestiniens.
Compte tenu de la faiblesse démontrée par les services de sécurité palestiniens, il serait suicidaire de la part de l’AP d’ordonner le désarmement des milices sans s’assurer d’abord d’un soutien important de l’opinion.
Un gel de la construction dans les colonies de Cisjordanie pourrait jouer un rôle central dans la confiscation des armes des milices, en générant un soutien de l’opinion. Un sondage réalisé en juin 2005 montre clairement que ceux des Palestiniens qui pensent que les colonies de Cisjordanie se développeront après le désengagement tendent à être hostiles à la confiscation des armes. En revanche, ceux qui pensent que les colonies ne se développeront pas soutiennent pleinement cette confiscation par l’AP.
Afin de s’assurer que cette confiscation se déroule sans violences, l’AP doit faire en sorte de minimiser les mauvais calculs de la part de ses adversaires de l’intérieur : en clair, les menaces de l’AP doivent être perçues comme crédibles. Le refus obstiné d’Israël d’autoriser le réarmement des forces de l’AP, comme le recommandent l’Egypte et le général William Ward, émissaire des Etats-Unis, amoindrit la motivation des forces de sécurité tout en renforçant les milices.
Les récents développements au sein du monde politique israélien semblent mal augurer de la possibilité qu’Israël réponde positivement aux besoins des Palestiniens, même si une pareille réponse peut se révéler extrêmement utile à Israël. Alors que Benjamin Netanyahou, le rival de Sharon, commence sa campagne électorale en jouant sur les ressorts cauchemardesques de la peur, Sharon pourrait se montrer encore plus dur dans sa définition des besoins sécuritaires d’Israël dans le contexte du désengagement.
Il se pourrait que la coordination israélo-palestinienne sur les affaires économiques, civiles et de sécurité devienne intenable et que les impératifs électoraux de Sharon le forcent à se tourner vers la droite et à défendre davantage de construction de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem Est, tentant ainsi de justifier son pari sur le désengagement.
Ce serait dommage, car une coordination réussie pourrait, non seulement faciliter le démantèlement des infrastructures de la violence, mais encore, et c’est au moins aussi important, faciliter le retour à de véritables négociations. De plus, pour Mahmoud Abbas et pour Ariel Sharon, une coordination réussie garantirait davantage de force pour se défaire de leurs ennemis de l’intérieur, en apportant prospérité économique et plus de sécurité.