[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/740444.html]

Ha’aretz, 26 juillet 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Ce qui va suivre est un florilège de signes avant-coureurs qui signalaient la manœuvre exécutée par le Hamas et le Hezbollah pour rallumer le théâtre israélo-arabe. Tous les signes convergent sur un événement et une date : la réunion du G8. Difficile de dire ce qui est le plus grave : soit les politiques et les militaires ont perçu ces signes et n’en ont pas tenu compte, soit ils ne les ont pas vus.

Le 21 juillet, au matin de l’attaque contre le nord d’Israël, le journal conservateur iranien Jomhuri Islami choisit de publier un discours prononcé par Hassan Nasrallah le 23 mai. Le secrétaire général du Hezbollah y déclarait : « Nous avons aujourd’hui en notre possession plus d’armes qu’il n’en faut, quantitativement et qualitativement… Plus de 2 millions de Juifs vivent dans le nord d’Israël, où se trouvent des centres de tourisme et de loisirs, des usines, de l’agriculture ety d’importantes bases militaires… Notre présence au sud Liban, voisin de la partie nord de la Palestine occupée, constitue notre atout le plus important. »

Le 11 juillet, après une rencontre avec Javier Solana, Ali Larijani, chargé des affaires nucléaires au gouvernement iranien, s’envole pour une visite surprise à Damas. Suite à cette visite, le vice-président syrien Farouk a-Shara annonce que « les mouvements de résistance au Liban et en Palestine [en clair : le Hezbollah et le Hamas] vont prendre les décisions qui les concernent. »

Le même jour, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad menace les Etats occidentaux à la télévision, et les avertit de ne pas soutenir Israël, car « la rage des peuples musulmans ne se limité pas aux frontières de la région… les ondes de l’explosion … atteindront les forces corrompues [les Etats occidentaux] qui soutiennent ce régime fantoche. »

Le 3 juillet, Hossein Shariatmadari, rédacteur en chef du journal Kayhan et très proche du dirigeant iranien Ali Khamenei, écrit : « Nous ne pouvons pas ne réagir aux crimes perpétrés à Israël qu’à Gaza, seulement dans les terres occupées. Pourquoi les sionistes devraient-ils se sentir en sécurité alors que des musulmans n’ont aucune sécurité ? » Dans une interview à l’agence de presse iranienne Mehr, Shariatmadari dit que le monde musulman ne doit pas restreindre sa réaction aux attaques sionistes à la seule bande de Gaza, mais qu’il doit créer une situation où « aucun sioniste ne se sentira en sécurité, où que ce soit dans le monde ». (…)

Le 16 juin, le journal Asharq Al Awsat rapporte la signature d’un accord de coopération militaire entre la Syrie et l’Iran « pour repousser les menaces [des Etats-Unis et d’Israël] ». Le journal souligne qu’entre autres sujets, il a été question, lors de conversations entre le ministre syrien de la défense Hassan Turkmani et son collègue iranien Mustafa Mohammed Naijar, de la situation au Liban et en Palestine et de l’aide à apporter au Hamas et au Jihad islamique dans leur affrontement avec le Fatah. Le ministre syrien déclare officiellement « un front commun contre les menaces israéliennes… L’Iran considère la sécurité de la Syrie comme la sienne propre. »

Asharq Al Awsat rapporte aussi que ce même ministre s’est rendu à Téhéran à la tête d’une importante délégation accompagné d’officiers militaires et de renseignement, et y avait rencontré des dirigeants politiques et militaires. Le journal rapporte que l’Iran accepté de se porter garant d’un achat par la Syrie de matériel militaire lourd auprès de la Russie, de la Chine et de l’Ukraine, et d’équiper l’armée syrienne d’artillerie, de munitions, de véhicules militaires et de missiles de fabrication iranienne. Iran allait également contribuer à l’entraînement de forces navales syriennes.

Ecrit noir sur blanc

La Syrie annonce publiquement qu’elle a étendu ses précédents accords aves l’Iran à la facilitation du passage de camions transportant des armes au Liban. C’était là, noir sur blanc.

Tous ces signes ont été compilés dans les bureaux de MEMRI (Middle East Media Research Institute), à Jérusalem. Igal Carmon, fondateur et directeur de l’institut, qui a travaillé de nombreuses années au sein de l’establishment militaire, a téléphoné à un ministre de ses connaissances peu après l’attaque du Hamas contre la base militaire de Kerem Shalom. Il proposait au ministre l’hypothèse selon laquelle la déviation du Hamas par rapport à sa politique de cessez-le-feu (exprimée à l’époque par son acceptation du document des prisonniers) était liée à la pression exercée sur l’Iran pour son programme nucléaire.

Carmon dit au ministre et ami qu’il percevait une escalade dans les menaces exprimées par l’Iran, qui augmentaient à mesure que se rapprochait la date de la réponse que devait apporter l’Iran au G8 sur son programme nucléaire. Il a imploré le ministre de parler à ses collègues du gouvernement, en leur demandant de tenir leur langue jusqu’à la rencontre à Bruxelles entre le coordinateur de l’Union européenne, Javier Solana, et le secrétaire du Conseil national de la sécurité de l’Iran, Ali Lanjani.

« Je lui ai dit qu’il était important que les Européens comprennent que les Iraniens n’avaient aucune intention de répondre favorablement à la proposition de compromis américaine », se souvient Carmon. « Je lui ai dit qu’à mon avis, s’il existait un plan iranien destiné à repousser les pressions internationales, il faudrait alors s’attendre à une menace sur notre frontière nord. »

Le lendemain, le Hezbollah attaquait le long de la frontière libanaise, et une fois de plus, Carmon demandait de la retenue. Carmon a également jugé que les actes terroristes en Irak, dirigés par les alliés chiites de l’Iran emmenés par Mustafa Sadr, étaient également liés à la question nucléaire. Il prédit qu’avant peu, les Iraniens déchaîneront des attentats terroristes contre des cibles juives et israéliennes partout dans le monde.
« Nous assistons à un échec très grave de nos dirigeants. Ils ont laissé l’Etat d’Israël tomber dans le piège iranien en répondant à la provocation iranienne. Provocation destinée à perturber les discussions du G8 qui était censé parvenir à former un consensus international contre le programme nucléaire iranien. Un dirigeant responsable aurait retardé sa réaction de plusieurs semaines, et n’aurait pas fait le jeu de l’Iran. »

« Nous avons manqué une chance de montrer au monde entier les provocations iraniennes avant le G8. Nous avions la latitude de lancer des attaques contre le Liban plus tard. Il aurait été possible de fixer un ultimatum selon lequel, si les soldats n’étaient pas libérés dans un court délai, nous utiliserions alors tous les moyens nécessaires pour les ramener à la maison. Et entre temps, nous aurions pu prendre des mesures sur le front intérieur, qui a été pris par surprise, et déployer trois divisions sur la frontière syrienne. »

« L’opinion n’est pas stupide. Elle aurait compris qu’une menace contre quatre millions de personnes due au programme nucléaire iranien est bien plus grave que la mort et l’enlèvement de soldats au nord. »

L’explication à l’insistance têtue des Iraniens à retarder leur réponse à la proposition américaine jusqu’au 22 août peut être trouvée dans les médias iraniens. Il y a quelques semaines, des informations ont été publiées sur une déclaration imminente d’Ahmadinejad à propos d’un « développement important dans la capacité nucléaire de l’Iran. »

Carmon estime qu’ils pourraient avoir besoin de quelques semaines supplémentaires pour finaliser leur capacité d’enrichissement total ou partielle d’uranium, sans dépendre d’aucun autre pays. Ce développement pourrait aussi avoir à voir avec le développement de missiles avancés.

Peur ou colère

En entendant Olmert dire mardi que la crise au nord était une « tricherie iranienne », Carmon n’a pas su s’il devait trembler de peur ou exploser de colère. Furieux après Olmert, il dit : « ce n’est pas une tricherie comme au football. Cela m’inquiète que même le président américain ne comprenne pas qu’il ne s’agit pas ici de la ‘merde’ du Hezbollah, ou de tensions régionales, mais bien d’une crise de dimension mondiale. » MEMRI parle du danger que courent les alliés traditionnels des Etats-Unis, comme l’Arabie saoudite et l’Egypte, qui sont en train de perdre leur statut régional au profit de l’Iran, qui se trouve, lui, en train d’acquérir une capacité nucléaire.

En même temps, la Russie, considérée comme un allié de l’Iran, prend de nouveau position contre les Etats-Unis, en tant que puissance mondiale qui exerce son influence au Moyen-Orient, dont elle est le principal fournisseur en pétrole et en gaz.

Ainsi, la structure de deux super-puissances est en train de renaître, avec la rivalité entre les blocs Est et Ouest au Moyen-Orient, comme au temps de la guerre froide.

Le fait de ne pas tenir compte de cette menace inquiète particulièrement Carmon, car toutes ces informations étaient disponibles, y compris le chemin que prenaient les armes livrées par la Syrie au Liban, soudainement « découverts » par les généraux israéliens qui l’appellent une « route de contrebande « .

Pour Carmon, si tous les décisionnaires au sein du gouvernement et de l’armée avaient tenu compte de l’implication de l’Iran, ils auraient compris que tous les missiles, y compris le C-802 qui a frappé le navire israélien, seraient en possession du Hezbollah.

« Il ne s’agit pas de tricheries », raille-t-il. « Il faut intégrer le fait que Tsahal combat une milice iranienne, qui a le soutien logistique de l’Iran. Les Etats-Unis doivent comprendre que Poutine est en train d’édifier un centre d’enrichissement d’uranium en Sibérie, et que la Russie est le principal soutien de l’Iran. La Russie y a 6.000 experts, et elle sait comment garder cet allié, situé dans un endroit sensible. Ils sont certains que nous serions incapables d’endurer une guerre sur le front intérieur, comme l’ont fait les Arabes. Dans la guerre Iran-Irak, plus de deux millions de musulmans sont morts. »

Carmon s’inquiète de la possibilité que, dans quelques jours, après avoir usé notre armée de l’air, l’Iran, de mèche avec la Russie, se porte « volontaire » pour régler la crise entre Israël et le Hezbollah, et en échange de cette bimbeloterie, ne gagne le véritable diamant : faire avancer son programme nucléaire.

/…