Entretien avec Claude Klein, juriste, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, spécialiste du système politique israélien. Diffusé en direct le vendredi 11 mars 2005 sur Judaïques-FM 94.8, dans le cadre de « Chroniques pour la paix ».
Trnscription de l’interview
Interview réalisée par Charles Szlakmann, pour La Paix Maintenant
La Paix Maintenant : chers amis, l’actualité israélienne est dominée par la publication d’un rapport, dont le contenu provoque un véritable scandale. Il s’agit du rapport Talya Sasson, du nom de la procureure qui a rédigé ce document commandé par le chef du gouvernement lui-même. Il révèle que le gouvernement israélien avait mis en place des circuits clandestins destinés à financer les implantations dites « illégales ». En d’autres termes, le gouvernement a ainsi enfreint clandestinement les règles de fonctionnement de sa propre administration. Pour en savoir plus, avec nous ce matin en direct en direct de Jérusalem, un juriste réputé, spécialiste du système politique israélien, et auteur de nombreux ouvrages à ce sujet, il est bien connu de notre communauté, il s’appelle Claude Klein, bonjour.
Claude Klein : bonjour
LPM : ma première question : pourquoi fait-on ainsi la distinction entre implantations illégales et implantations légales? Quel est le sens de cette distinction, si toutefois elle a un sens?
CK : Il y a un premier sens qui est celui de l’engagement du gouvernement israélien vis-à-vis du gouvernement américain qui a été pris il y a 2 ou 3 ans déjà, et qui faisait une très vague distinction, le gouvernement israélien s’engageant de toute façon à permettre l’érection de nouveaux postes de ce type après, je crois, 2001. Par conséquent, lorsque Mme Sasson parle d’une centaine de postes illégaux, la droite et d’autres personnes ici font remarquer que, depuis 2011, il n’y a eu l’addition que d’une trentaine de postes. Mais, en réalité, cette distinction est un peu fallacieuse. C’est pratiquement l’ensemble de ces postes avancés qui sont illégaux. Simplement, leur statut peut varier politiquement face au gouvernement américain.
LPM : je crois justement que, selon le droit international, toutes les implantations sont considérées comme illégales. Quelle est votre point de vue de juriste sur cette question?
CK : Alors là, nous parlons pas seulement de ces avant-postes dont il est question dans le rapport de Talya Sasson, mais de toutes les implantations et de toute la politique. Il y a une grande discussion en droit international. Je dirais que la majorité des juristes considère que les grandes implantations, les implantations qui, en réalité, sont purement civiles, sont tout à fait illégales. Elles sont assimilables à des transferts de populations, qui sont interdites, notamment par les conventions de Genève. Les seules implantations qui peuvent être autorisées, et cela a été pendant très longtemps la justification officielle, ce sont celles qui ont un but de sécurité. Vous êtes une armée d’occupation, et il faut entendre ici le mot « occupation » au sens juridique, c’est-à-dire qu’Israël occupe, et donc il y a un droit militaire de l’occupation. Il ne faut pas se leurrer. les gens, en France en particulier, n’aiment pas beaucoup l’expression, mais elle fait partie du droit international. Donc, lorsqu’une armée occupe, elle installe ses troupes, dans des casernes , des campements, des cantonnements, et elle autorisée éventuellement à saisir des terres, en général domaniales, mais parfois même des terres privées. Se pose alors le problème de savoir dans quelle mesure il peut y avoir plus ou moins des civils dans ces implantations. Evidemment, là, Israël a beaucoup joué sur cette distinction, sur cette possibilité, mais l’ensemble des juristes a toujours considéré que la grande politique d’implantation était une politique illégale.
LPM : Ce rapport, en fait, a été commandé par le chef du gouvernement, Ariel Sharon lui-même. Pourtant, Ariel Sharon savait bien que ce rapport allait révéler des irrégularités de fonctionnement que lui-même avait couvertes, semble-t-il. Dans ce cas, pourquoi l’a-t-il commandé? Si c’est un signe politique, quelle est sa signification?
CK : Il y a plusieurs explications. On peut évidemment en prendre une : Ariel Sharon est un naïf, qui veut savoir où l’on en est, quelle est la situation, et qui se trouve soudain absolument stupéfait par un rapport qui lui est présenté par Mme Sasson, qui d’ailleurs n’est pas réputée pour être particulièrement à gauche. Mais, en réalité, il faut voir les choses différemment. Ariel Sharon va se lancer, au cours des semaines à venir, dans la campagne, je ne dirais pas militaire, mais la campagne la plus difficile de sa carrière. C’est le démantèlement de toute la bande de Gaza et de ces avant-postes, et il lui faut pour cela notamment des armes légales. Et c’est ainsi que Mme Sasson les lui fournit, et il est prêt, en réalité, à dire : « eh bien oui, tout le monde sait que j’ai changé de politique, dans le passé j’ai couvert cette politique (qui était une politique un peu clandestine, le texte du rapport le montre bien), eh bien maintenant, ça y est, tout a changé ».
LPM : autrement dit, on peut considérer que la commande et la publication de ce rapport sont une sorte de signe révélateur qui montre qu’Ariel Sharon est résolu à mettre en oeuvre au minimum le plan de retrait.
CK : Ah, il est absolument résolu. Pour la bande de Gaza et pour ce qu’on appelle le Nord de la Samarie. Simplement, cela va être difficile à réaliser. Les observateurs israéliens essayent d’évaluer ce degré de difficulté. Pour les uns, ce sera beaucoup moins dur qu’on ne le prévoit, d’autres disent qu’il y aura des victimes.
LPM : dernière question, plus générale, sur la démocratie israélienne. Vous aviez réagi avec force, il y a quelques années, contre un certain Eric Hazan, qui avait accusé l’Etat d’Israël de tous les péchés, et vous aviez alors utilisé le terme de « démocratie imparfaite ». A savoir que la démocratie israélienne est, certes imparfaite, mais qu’elle reste une démocratie. Aujourd’hui, compte tenu des derniers développements, pensez-vous qu’il y a plutôt une certaine dégradation des moeurs politiques, ou au contraire va-t-on vers plus de transparence. La démocratie se renforce-t-elle et sera-t-elle capable d’affronter l’épreuve qui l’attend?
CK : là, nous ne parlons pas du plan purement politique, mais des moeurs. Par exemple, un problème qui se révèle en France également à l’heure actuelle, vous le savez, c’est le rapport de la politique et de l’argent. Oui, c’est vrai, il y a maintenant de plus en plus de transparence en Israël. Au cours de la période où commence la transparence, on voit beaucoup de choses, et donc ces rapports avec l’argent, qui provient de différentes sources, et parfois de sources malpropres, et, effectivement, nous sommes à la veille d’un certain nombre de scandales. L’un dans l’autre, je dirais quand même que les choses vont commencer à aller mieux, mais pour qu’elles aillent mieux, il faut que beaucoup d’autres choses se dévoilent, et il y a alors une période au cours de laquelle on a l’impression que la situation est catastrophique. La situation n’est pas catastrophique. Autrefois, on n’en parlait pas. Je crois qu’on peut faire la comparaison avec la France : on ne parlait guère de ces affaires, donc on avait l’impression qu’il n’y avait pas d’affaires. Simplement, maintenant, elles émergent.
LPM : nous en resterons sur cette évaluation optimiste et encourageante. Merci, Claude Klein.