Rav Rivon KRYGIER : «Les orientations du gouvernement actuel d’Israël s’opposent à notre vision du judaïsme qui est une éthique de conviction et non de coercition. »
Depuis dix semaines, nous assistons à d’impressionnantes manifestations de masse en Israël. A ce jour, on considère que près d’un demi-million de personnes se sont mobilisées contre la réforme de la justice du gouvernement Netanyahou. Certains voudraient y voir une opposition gauche / droite. C’est une mauvaise interprétation ! Les citoyens qui s’opposent au changement de régime que veut imposer l’actuel Premier ministre d’Israël viennent de tous les horizons : progressistes certes mais aussi libéraux de droite et, surtout, des personnes sans tendance politique particulière qui souhaitent conserver le caractère juif ET démocratique des institutions. Évidemment, il y a des laïcs et également des religieux. Ces derniers ne sont pas moins attachés à l’État de droit que les autres.
Après avoir présenté succinctement ce qu’est le courant Massorti, Rivon Krcygier évoque la déclaration(1) du courant Massorti mondial, qui regroupe plus de deux millions de fidèles juifs. Il souligne qu’il n’est pas dans la tradition de son obédience de s’exprimer sur des orientations gouvernementales car elle est apolitique. Mais il précise : «Nous prenons la parole en cas d’urgence ou de danger, quand nous estimons que les lignes rouges sont dépassées concernant Israël en tant qu’État dans sa définition propre, c’est-à-dire juif et démocratique, le «et» étant très important.» Or, le rabbin d’Adath Shalom constate que ce qui est en jeu en ce moment, c’est «la remise en cause des fondements de l’État d’Israël par le biais du projet de loi sur la justice du gouvernement Netanyahou. Il conduit à un changement de régime allant à l’encontre de la déclaration d’indépendance du pays en 1948.»
Le rav Rivon Krygier témoigne que la nature de la gouvernance induite par ce projet de réforme heurte ses principes spirituels car «dans le monde moderne, le judaïsme doit s’imposer par la conviction et non par la coercition. Si le projet de loi sur la justice est adopté par la Knesset dans sa forme actuelle, cela pourrait conduire à une dictature de la majorité qui ne serait plus limitée par les contre-pouvoirs qui font barrière aux abus et aux iniquités dans toutes les vraies démocraties. Nous ne voulons pas d’une société de ségrégation où les droits individuels et ceux des minorités ne sont plus garantis.»
Rivon Krygier craint qu’une diminution de la protection des droits individuels conduise à une extension du pouvoir religieux dans tous les domaines de la vie civile. En Israël, la loi rabbinique deviendrait de plus en plus la norme. Il s’en inquiète car «la discrimination s’accentuera alors envers les courants non orthodoxes du judaïsme, Massorti, Libéral ou autre. Nous serons davantage ostracisés et cela sera identique pour les juifs laïcs, les autres religions et les minorités sexuelles.» Il évoque à ce propos une récente déclaration d’Itsrak Yossef, le grand rabbin séfarade, qui affirmait : «Les juges de la Cour suprême sont des réformés et Israël est un pays orthodoxe.» Rivon Krygier pense que, derrière ce discours, il y a un «véritable programme radical, théocratique, émanant des partis orthodoxes qui participent à la coalition gouvernementale, celui d’un État de la halakha(2), comme d’autres, dans d’autres circonstances, réclament un État de la chari’â(3), émanant des partis orthodoxes qui participent à la coalition gouvernementale de Netanyahou.»
Pour le rav Rivon Krygier, l’essentiel de la protestation doit avoir lieu en Israël et le rôle des Juifs de Diaspora doit être, avant tout, de soutenir tous les citoyens de ce pays qui se mobilisent contre le projet de réforme de la justice et pour les libertés. Il affirme que «tous les Juifs ont un rôle à jouer car la plupart ont toujours soutenu Israël, d’une façon ou d’une autre, chaque fois que le pays a connu des grandes crises. L’amour du pays et la solidarité ne sont pas de vains mots.» Pour terminer, il évoque la conférence de Bruxelles, « Sauver la démocratie israélienne », le 27 mars prochain, organisée par JCall, La Paix Maintenant et le Centre Communautaire Juif Laïque de Bruxelles ( où le rabbin est né) et dont il sera l’un des intervenants : «C‘est une manifestation de soutien à l’État d’Israël, à l’unité d’Israël. »
(1)Déclaration du mouvement Massorti concernant la situation en Israël : https://www.adathshalom.org/declaration-dirigeants-massorti-situation-en-israel/
(2) La halakha (« voie ») regroupe l’ensemble des prescriptions, coutumes et traditions collectivement dénommées « Loi juive ».
(3) La chari’ä : (« chemin » ) : loi canonique islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle des musulmans. C’est la voie qui permet d’obtenir le salut dans l’autre monde.