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Ha’aretz, 10 novembre 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Le pacte tacite entre les Etats-Unis et Israël est fondé une vision du monde commune. Les deux pays croient aux valeurs démocratiques, au respect des droits de l’homme, à la résolution des conflits par la négociation, en utilisant des arguments logiques et rationnels. Les deux pays aimeraient voir un monde meilleur, plus raisonnable, qui vivrait en paix et dans la prospérité, où les peuples ne seraient pas opprimés, qui offrirait à chacun des chances égales et qui bénéficierait des capacités de chacun.

Mais ces fondations communes reposent bien plus sur des principes que sur un mode opératoire, et les différences entre modes opératoires dérivent essentiellement du fait que les Etats-Unis sont une super-puissance dont les intérêts au Moyen-Orient sont plus larges que ceux d’Israël qui, lui, cherche à vivre en sécurité (et si possible, en paix) dans une région qui n’a jamais accueilli l’Etat juif à bras ouverts.

Ces différences existaient déjà avant la création de l’Etat d’Israël, et les deux pays ont appris à vivre avec elles. A l’occasion, les Etats-Unis se sont arrangés pour faire en sorte qu’Israël adopte la politique qu’ils souhaitaient, que ce soit par l’ultimatum (retrait israélien du Sinaï en 1956), ou par la médiation active : l’accord de paix entre Israël et l’Egypte qui n’aurait pu être signé sans l’engagement personnel de Jimmy Carter, l’accord de cessez-le-feu entre Israël et l’OLP en juillet 1981, qui aurait été impossible sans la médiation de Philip Habib, etc. Il y eut des cas où les tentatives américaines n’ont pas été acceptées par les deux parties : plan Rogers en 1969, plan Reagan en 1982, et, pour une bonne part, le plan Clinton de 2000.

En 2006, il existe un véritable conflit d’intérêts entre Israël et les Etats-Unis, conflit d’une importance sans précédent dans les relations entre les deux pays. L’administration américaine est en plein dans de ce qu’elle appelle « la guerre contre le terrorisme » qui comprend, entre autres choses, une distinction nette entre « l’axe du Mal » et ceux qui ne ceux pas liés à lui, la tentative d’instituer la démocratie dans des pays non-démocratiques, et l’usage de la force contre quiconque met en danger la paix dans le monde.

Au nom de ces principes, les Etats-Unis ont forcé Israël à permettre au Hamas de participer en janvier dernier aux élections législatives, puis au nom de ces mêmes raison, les Etats-Unis boycottent le gouvernement du Hamas. Et toujours au nom de ces principes, les Etats-Unis empêchent Israël d’entamer des négociations avec la Syrie sans conditions préalables.

Telle est la situation au début du 21ème siècle : la Ligue arabe appelle Israël à parvenir à une paix globale avec ses voisins sur la base des frontières d’avant 1967, et promet dans ce cas une pleine normalisation des relations avec le monde arabe ; le président syrien Bachar Assad appelle Israël à entamer avec lui des négociations immédiatement et sans conditions préalables en vue d’une paix israélo-syrienne ; et Mahmoud Abbas demande à Israël d’entamer avec lui des négociations sur une paix israélo-palestinienne et promet de soumettre à son peuple les résultats de ces négociations par référendum.

Tandis que les Américains continuent à se référer à la « Feuille de route » (dont personne au Moyen-Orient n’a bougé le petit doigt pour l’appliquer), comme s’il s’agissait de la Pierre philosophale du 21ème siècle, ils boycottent le Hamas et la Syrie, et demandent à Israël de faire de même.

L’étendue de l’absurdité actuelle se retrouve dans l’un des voyages dans la région de la secrétaire d’Etat américaine, en pleine guerre du Liban. Condoleezza Rice était très désireuse de contribuer à mettre fin à la guerre dans la région, dans la bande de Gaza et au Liban. Mais elle n’a pas pu rencontrer les représentants du Hamas, puisque les Etats-Unis les boycottent, elle n’a pas pu se rendre en Syrie, puisque les Etats-Unis boycottent Assad, elle n’a pas pu parler avec le Hezbollah, et le gouvernement libanais n’a pas souhaité la rencontrer à cause des bombardements israéliens qui avaient causé de nombreuses victimes civiles à Kafr Kana. Au bout du compte, Rice a rencontré les dirigeants israéliens, puis elle est rentrée chez elle…

Un gouvernement comme celui d’Itzhak Rabin serait allé voir les Américains et leur aurait dit clairement que l’intérêt national d’Israël est la paix, que la démocratisation nous est chère, mais qu’elle ne peut pas constituer une condition pour la paix avec le monde arabe. Un gouvernement de paix aurait fait tout son possible pour parvenir à un accord avec les Palestiniens, avec le soutien indirect du Hamas, et pour parvenir à un accord de paix avec les Syriens qui impliquerait de renoncer au Golan.

Le gouvernement d’Ehoud Olmert, qui préfère nommer quelqu’un comme Avigdor Lieberman au poste de ministre chargé de la menace iranienne, n’envisage même pas d’exiger des Américains qu’ils lèvent leur veto contre les négociations avec nos voisins immédiats. Au contraire, ce veto convient à ce gouvernement.

D’ailleurs, quiconque ne veut pas résoudre le conflit du Moyen-Orient parce qu’il n’a pas envie de payer le prix du compromis, se cache opportunément derrière des slogans comme « guerre de religions » ou « choc des civilisations », pour expliquer que le conflit est insoluble et qu’aucun accord territorial ne satisfera ceux qui combattent au nom de leur religion ou de leur civilisation. Conclusion : il vaut mieux ne renoncer à rien, garder ce que l’on a, nous fortifier en attendant l’Armageddon qui s’annonce, et voler ce que l’on peut à l’éducation et au social pour nous armer jusqu’aux dents.

Les différences d’intérêts sont devenues un conflit d’intérêts entre les Etats-Unis et Israël, mais compte tenu de sa faiblesse, le gouvernement Olmert se retrouve dans une situation où il ne peut ni ne souhaite se révolter contre cela. Le prix que nous pourrions payer pourrait se révéler trop fort.